Frédérick Sigrist et la fin de « Blockbusters » : « Nous avons une ministre de la Culture qui a plus à voir avec Tony Montana qu’autre chose »
Avec « Blockbusters » vous avez créé une véritable collection de Que sais-je ? de la pop culture…
Je suis un enfant de la télé des années 1980 et je me rappelle ces rendez-vous autour de séries ou du film du dimanche ou du mardi soir. Ma prétention avec cette émission était de faire comprendre pourquoi tant de monde aime véritablement tel chanteur ou tel livre.
Une seule réplique de film ou de série ou un mot énoncé avec une certaine intonation sont autant de dénominateurs et de souvenirs communs, intergénérationnels et « intermilieu social ». Les objets culturels sont des objets politiques.
Vous avez déjà enregistré toute la saison ?
Non, nous avons enregistré une quinzaine d’émissions qui ont nourri les podcasts déjà en ligne. Dont un cycle sur Superman, celui sur la Corée du Sud et des émissions sur Shakespeare, Drag Race ou la série d’animation Gundam. Le reste des thématiques a été choisi par les auditeurs que j’avais sollicités sur les réseaux sociaux.
Cet été sonne-t-il la fin de l’aventure « Blockbusters », avec 40 nouveaux épisodes ?
Oui, et cette saison marquera la fin de dix ans de travail à France Inter.
Comment allez-vous, compte tenu de la situation ?
Je n’ai jamais été consulté en fait, j’ai été mis devant le fait accompli. Quand on travaille dans ce type de média, il faut accepter de ne pas être propriétaire de sa case. Il faut tout le temps réinventer la roue en fonction des changements de direction d’antenne.
On n’a pas une place pérenne. Et c’est dommage, parce que tous ces geeks et geekettes qui font ces émissions et qui les écoutent sont des gens qui paient des impôts aussi. Quand on parle d’antennes de service public financées par l’argent des Français, c’est aussi avec mon argent à moi. Alors, bien sûr, que je ne suis pas extrêmement satisfait de la manière dont ça s’arrête, mais c’est encore un autre débat.
Quel genre de contrat avez-vous ?
Des CDD. J’ai totalisé entre 500 et 600 CDD en dix ans. Mon intermittence du spectacle prend fin au mois de juin. Un préavis de grève illimitée est en cours sur l’audiovisuel public, en réaction au projet de réforme de Rachida Dati.
Si je me déclarais gréviste sur les émissions où je suis censé être en direct, ça signifierait tout simplement que je n’aurais aucun revenu avant d’être viré, le 22 août, date de la dernière de Blockbusters. C’est à prendre en considération. À Radio France, énormément de gens ont des statuts précaires, des CDD qui viennent en renfort l’été ou même des CDD qui travaillent aussi sur des émissions à l’année.
Qu’allez-vous faire après ?
Depuis trois ans, j’ai vu tous les événements qui ont pu jalonner l’histoire de France Inter. Le passage au dimanche soir de l’émission « Par Jupiter » de Charline Vanhoenacker, qui explosait les audiences, puis sa décapitation à la rentrée dernière.
Je me doutais bien qu’à un moment donné, je serais remercié pour l’ensemble de mon œuvre. J’ai donc pris les devants, et écrit un nouveau spectacle qui s’appelle 39/45, et que je jouerai à Paris. Je rejoins aussi la revue de presse du Théâtre des Deux Ânes, à partir du mois d’octobre avec Régis Mailhot et Karine Dubernet.
Je reprends mon activité de chansonnier pour aborder la politique de front. Je suis un peu comme Dobby – d’Harry Potter – qui a récupéré sa chaussette et sa liberté.
Comment voyez-vous la période ?
De manière sous-jacente, il y a quelque chose de très inquiétant en ce moment, en France, pour les émissions sur la culture. Plusieurs émissions culturelles ont été arrêtées comme « Le Cercle Séries » sur Canal Plus, l’hebdomadaire dédiée aux séries d’Inter et plusieurs programmes de culture alternative sur France Culture.
La critique a de moins en moins de place, nous avons une ministre de la Culture qui a plus à voir avec Tony Montana qu’avec autre chose. Elle ne traite pas bien ce milieu et ce domaine, à la veille d’une échéance électorale. Je vois tout un paysage audiovisuel qui se met déjà au pas, et j’utilise le terme à dessein. Tout cela ne sent pas bon.
« Blockbusters » n’est pas un cas isolé. Cela touche tellement de rédactions de presse écrite, télé ou radio. Plus largement, la culture et les festivals sont attaqués. Je me demande ce qu’on est en train de nous préparer. Ce sont par les objets culturels que les grands débats de société, comme MeToo, sont arrivés. Le film Black Panther ou la série la Chronique des Bridgerton ont répondu au besoin de plus de représentation des Noirs sur la planète, par exemple.
Quand on commence à vouloir réduire des espaces d’existence, c’est que certains sont en embuscade et veulent revenir en arrière. J’appelle ça une contre-attaque réactionnaire.
Blockbusters, France Inter, du lundi au vendredi, 17 heures.
Oui, on s’en doute : vous en avez assez
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