« Reconnaître l’État de Palestine et surtout appliquer des sanctions pour que cesse le génocide »
La reconnaissance de l’État de Palestine (148 pays sur les 193 membres de l’ONU l’ont déjà fait) a l’avantage d’exercer une pression sur le gouvernement israélien et d’isoler sa position radicalement opposée à la création d’un État palestinien, de même qu’elle fera des États-Unis le seul pays du Conseil de sécurité à ne pas reconnaître cet État, puisque la Grande-Bretagne s’est également prononcée pour (bien que sous conditions), de même que le Canada. l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Finlande et d’autres à venir. Il faut isoler les gouvernants israéliens, comme cela a été fait avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, en utilisant des sanctions économiques et judiciaires.
Le document détaillé, endossé par 17 pays (cinq pays européens et la Grande-Bretagne, quatre pays arabes et le Brésil et la Turquie, notamment) et par la Ligue arabe et l’Union européenne à l’issue de la conférence initiée par la France et l’Arabie saoudite (28 au 30 juillet), comprend des points positifs visant à revenir sur des dispositions émanant du processus d’Oslo et à mettre enfin en œuvre la souveraineté inhérente à tout État : réviser le protocole de Paris signé en 1994, qui a instauré une dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis de l’économie israélienne et un marché captif pour celle-ci ; abroger la collecte des droits de douane par l’État israélien, qui ont fait de leur rétrocession un outil de pression politique constant ; permettre un accès normalisé au système bancaire. Il prône le contrôle par l’État de Palestine de ses propres frontières et de ses ressources naturelles (terre, eau, mais aussi gaz au large de Gaza). Il affirme par ailleurs la nécessité de soutenir politiquement et financièrement l’UNRWA jusqu’à la résolution de la question des réfugiés, en vertu de la résolution 194 (III) des Nations unies.
Les moyens contraignants pour les mettre en œuvre manquent cependant, et la section consacrée à l’application du droit international semble plus relever de la parole performative que d’actes concrets : sont réitérées des mesures à venir visant à refuser la normalisation de la colonisation de la Cisjordanie (par la non-importation des produits des colonies par exemple), à s’opposer aux violations des droits humains par l’État israélien, en invitant à suspendre les accords multilatéraux ou bilatéraux en cas de non-respect de ceux-ci, à arrêter l’exportation d’armes vers Israël si elles sont utilisées dans les territoires occupés, ou encore à coopérer aux enquêtes de la Cour pénale internationale.
Au-delà même de la forme de la décolonisation à venir et du débat entre les solutions dites à deux États et celles à un État, qui font l’objet de plusieurs autres propositions, telles que celle de Nasser Kidwa et Ehud Olmert, du collectif A Land for All, ou de One Democratic State, qui relèvent de l’autodétermination des Palestiniens et des Palestiniennes, ce texte ne permet pas d’arrêter la famine et le génocide à Gaza.
Un génocide qui n’est pas nommé. Et pour cause, il oblige ces mêmes États à le punir et surtout à le prévenir en vertu de la Convention de 1948, et les expose à des poursuites dans le cas contraire. Il tente de raviver un processus de paix mort depuis de longues années en se plaçant à nouveau dans un horizon, quand l’urgence du moment est d’arrêter le génocide et l’annexion de la Cisjordanie en appliquant d’ores et déjà des sanctions.
Ce pour quoi la France n’a pas plaidé, lors de la réunion de l’Union européenne de juillet, qui n’a abouti à la suspension d’aucun des échanges commerciaux avec Israël (qui représente plus de 30 % des échanges de marchandises de ce pays) ou de coopération comprise dans l’accord d’association UE-Israël.
Les livraisons d’armes et de tout matériel pouvant avoir un usage militaire auraient déjà dû être arrêtées : la France ne l’a fait que partiellement, et la Grande-Bretagne a participé à la guerre israélienne par des activités de renseignements et de reconnaissance depuis la base d’Akrotiri à Chypre. Plus encore, que signifie soutenir la Cour pénale internationale – et au-delà le droit international – quand la France a déclaré ne pas vouloir appliquer le mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou que la Cour a émis et a autorisé celui-ci à emprunter notre espace aérien à au moins trois reprises depuis ?
La déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères européens, du Canada et de l’Australie du 29 juillet est à cet égard particulièrement honteuse quand elle condamne vigoureusement le 7 octobre mais se dit seulement préoccupée face au nombre élevé de victimes et à la situation humanitaire à Gaza. Elle n’interpelle pas le gouvernement israélien, mais uniquement l’Autorité palestinienne en la rappelant à ses engagements, alors qu’elle n’est pas en guerre et n’a pas remis en question sa coopération sécuritaire avec Israël, même en plein génocide, ce qui a fini de décrédibiliser ses dirigeants aux yeux de la population palestinienne.
Ce qui n’a pas empêché la Knesset de voter fin juillet une motion pour l’annexion de jure de la Cisjordanie. Cette déclaration prend notamment acte de la décision de Mahmoud Abbas de réformer le système d’assistance aux prisonniers et ex-détenus palestiniens, un sujet sur lequel les autorités israéliennes appuyées par Trump exercent de longue date une pression massive. Et ce, alors que les incarcérations arbitraires se sont multipliées depuis le 7 octobre (56 % des personnes détenues par Israël ne seront pas jugées), qu’on ignore le nombre de Gazaouis enfermés dans des camps militaires, que la torture est monnaie courante et que plus de 74 prisonniers au moins sont morts en prison.
De surcroît, qui peut à présent ignorer que seules les sanctions, économiques mais aussi judiciaires, et une pression résolue pourront contraindre Netanyahou et ses partisans suprémacistes et techno-césaristes, orthogonalement opposés au droit international et à tout règlement politique, à arrêter le génocide et le futuricide à l’œuvre, à renoncer à l’occupation et à la colonisation, et au transfert de la population de Gaza (une idée à laquelle 82 % des Israéliens se disaient favorables selon l’étude de mars 2025 de la Penn State University).
Aujourd’hui, les voix qui s’élèvent pour un cessez-le-feu en Israël demandent des sanctions ou des pressions conséquentes. Le groupe de La Haye, qui réunit une trentaine de pays, s’est en revanche résolument engagé en juillet à prendre immédiatement des mesures efficaces pour arrêter le génocide, garantir la responsabilité pour les crimes les plus graves, la justice pour les victimes et appliquer le droit international face à l’impunité. En septembre, c’est aussi la résolution de l’AG des Nations unies, signée par 124 pays dont la France, qui avait donné un an pour mettre fin à l’occupation du territoire palestinien qui arrive à échéance. Nous ne pouvons que demander aux autorités françaises de mettre en œuvre des sanctions bilatérales et un embargo total sur tout matériel militaire, d’agir pour la suspension de l’accord de coopération UE-Israël et de rejoindre le groupe de La Haye.
Dernier ouvrage paru : Gaza. Une guerre coloniale, direction Avec V. Bontemps, Actes Sud, 2025.
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