Tennis : "Le but est de forcer à un dialogue", explique un responsable du syndicat des joueurs qui a porté plainte contre les instances internationales
Le début d'une révolution dans le tennis professionnel mondial ? Le Professional Tennis Players Association (PTPA), syndicat de joueurs, a annoncé, mardi 18 mars, intenter une série d'actions contre plusieurs instances et gouvernances du tennis mondial, notamment contre la WTA et l'ATP, qu'ils accusent de promouvoir un "système corrompu, illégal et abusif". Romain Rosenberg, directeur exécutif adjoint de la PTPA, revient, pour franceinfo: sport, sur le but de cette action et les reproches contre le fonctionnement actuel du circuit.
Franceinfo: sport : Pourquoi avoir effectué ce dépôt de plainte ?
Romain Rosenberg : Concrètement, il y a deux choses sous-jacentes. La première idée, c'est forcer à un dialogue. Depuis deux ans et demi, on a eu beaucoup de discussions cordiales avec les instances et les gens en position de pouvoir. Au final, on se rend compte qu'il n'y a pas beaucoup de choses qui avancent. On voit de petits progrès, des effets d'annonce avec des nouvelles propositions, mais pas vraiment de revue en profondeur, qu'on estime nécessaire. C'est la raison principale : forcer le dialogue pour s'asseoir à la table et discuter des changements nécessaires.
La deuxième idée est que beaucoup de choses nous étonnent dans la manière dont le tennis est structuré. On estime qu'une certaine partie de ces règles et structures sont illégales, et respecter la loi n'est pas une option. Si effectivement la réponse des instances légales, c'est-à-dire la loi, prouve que certaines de ces règles doivent être changées, ce n'est plus une option : ça doit être fait.
Qu'est-ce qui est illégal aujourd'hui sur le circuit selon vous ?
Dans les grandes lignes, il y a d'abord cette création de Tour fermé (les circuits masculin et féminin) complètement contrôlé par l'ATP et la WTA. Aujourd'hui, tous les tournois sont sélectionnés par l'ATP, il y a impossibilité pour des nouveaux de rentrer dans l'équation. Les Masters 1000, par exemple, ont un contrat qui leur garantit d'être sur le Tour et ne pas perdre leur statut pendant 30 ans. Dans beaucoup d'industries, si on donnait des exclusivités à un partenaire pour 30 ans, ce serait regardé d'un œil assez suspicieux.
Deuxième point important : au-delà de ces accords pluriannuels, il y a aussi une formule établie qui détermine le prize money. Larry Ellison, un milliardaire qui détient le Masters 1000 d'Indian Wells (Etats-Unis), un tournoi très lucratif, avait la volonté d'augmenter le prize money pour les hommes et les femmes. Il a reçu une fin de non-recevoir parce que, apparemment, ça ne respectait pas les règles de l'ATP. Ça nous paraît choquant.
"Au final, les tournois continuent à réaliser des profits, et on met une limite sur ce que les joueurs doivent gagner."
Romain Rosenberg, directeur exécutif adjoint de la PTPAà franceinfo: sport
C'est vrai qu'on peut opposer l'argument qu'au sommet de la pyramide, les joueurs gagnent très bien leur vie, c'est une réalité. Mais quand on compare à d'autres sports, c'est beaucoup moins, même au sommet. Et quand on descend dans les classements, au-delà des 200 meilleurs mondiaux, on ne peut pas en vivre. En fin d'année, on est dans le rouge. On joue dans l'espoir d'un jour percer le top 100 pour pouvoir enfin gagner un peu d'argent en tant qu'athlète professionnel. C'est quand même aberrant.
Dans le communiqué, vous utilisez des mots assez forts : "corrompu", "illégal", "abusif". Vous remettez en cause tout le fonctionnement du tennis professionnel actuel ?
Oui, c'est un peu ça. Il y a beaucoup d'exemples qui font qu'on se pose de grandes questions. Dans une entreprise gérée de manière saine et professionnelle, il y a des choses qu'il faut faire dans les règles, par exemple dans l'attribution de gros marchés comme la ville hôte du Masters et de la Coupe Davis, ou l'ouverture d'un nouveau Masters 1000. Dans le cas du nouveau Masters 1000 en Arabie saoudite [en discussion], après plainte de pas mal d'acteurs, il y a eu un appel d’offres ouvert en dernière minute, mais a priori, selon notre compréhension, le marché était déjà attribué. Et sur les deux autres exemples mentionnés, il n'y a même pas eu d'appel d’offres.
"C'est un peu du copinage et des accords sur lesquels on a le droit de se poser des questions."
Rosenberg, directeur exécutif adjoint de la PTPAà franceinfo: sport
Vous parlez des calendriers qui deviennent difficiles pour les joueurs. Est-ce que ce n'est pas contradictoire quand on en voit certains disputer des exhibitions ?
C'est l'argument favori de l'ATP. Il faut savoir qu'on ne parle pas du tout du même type d'exigence sur deux jours d'exhibition où le joueur joue à 50%, s'amuse. La pression mentale et physique n'est pas du tout la même. C'est aussi le reflet du problème actuel du système : quand les joueurs peuvent y gagner une fois et demie ce qu'ils gagnent potentiellement sur un Grand Chelem, c'est qu'il y a un problème.
En NBA, on ne va pas voir LeBron James faire une exhibition, parce qu'on ne pourrait pas le payer assez. Il gagne très bien sa vie, il n'a pas besoin d'aller faire une exhibition en Arabie saoudite. Dans le tennis, on propose 1,5 million de dollars (1,38 million d'euros) juste pour venir et potentiellement six millions (5,5 millions d'euros) en cas de victoire. On peut se poser la question de la décence des chiffres annoncés, mais par rapport à ce qu'on gagne sur le circuit normalement, ça a un attrait indéniable.
Pour moi, la réponse, c'est plutôt de dire au Tour : "Faites en sorte que les joueurs gagnent encore mieux leur vie et il y aura moins ces questions-là". Enfin, on revient à cette histoire de cercle fermé. Ce qui embête majoritairement le Tour, c'est de se dire que les joueurs jouent ailleurs, et donc dévaluent la valeur du Tour.
Combien de joueurs et de joueuses ont signé ou sont parties prenantes de ces actions en justice ?
Légalement parlant, c'est très compliqué de faire signer une action collective avec des centaines de joueurs. Donc le but était d'avoir environ une vingtaine de joueurs représentatifs des différentes classes : des joueurs de simple très bien classés, moins bien classés, des joueurs de double, des hommes, des femmes...
Ensuite, se posait la question de savoir dans quelle mesure les joueurs soutenaient notre action. Cette action ne signifie pas nécessairement être membre de la PTPA, ou nous soutenir dans tout ce que l'on fait. On leur a demandé très précisément s'ils étaient d'accord sur le fait qu'il fallait une action forte qui amène un changement. Sur le mois passé, on a parlé à plus de 300 joueurs, et aucun ne nous a dit que c'était une mauvaise idée. On estime qu'à partir de là, on a un soutien, un mandat auprès des joueurs pour pousser cette action.
Comment avez-vous accueilli les déclarations de Carlos Alcaraz, qui s'est dit "surpris" de cette action, et n'a pas apporté son soutien ?
Pour être honnête, ce n'est pas l'une des personnes à qui on a parlé directement. On l'a, depuis, contacté pour le mettre au courant. C'est quelque chose qu'on va réparer, on va lui partager l'approche et les objectifs. Maintenant, c'est une des rares exceptions. Je pense qu'il y a 80% du Top 10 avec qui on a discuté. Certains n'ont pas voulu, pour des raisons légales, ou de conviction, mettre leur nom, en étant des plaintifs. En revanche, ils sont au courant, et soutiennent une action qui amène à un changement.