INTERVIEW. Superman, un super-héros qui "permet d'explorer la complexité américaine vis-à-vis de sa propre histoire", estime un spécialiste

Superman est-il toujours politique ? Sa dernière adaptation au cinéma fait en tout cas vivement réagir aux Etats-Unis, avant même sa sortie vendredi 11 juillet sur le territoire américain (et en salles depuis mercredi 9 en France). À 87 ans, le célèbre super-héros de l'univers DC est bien plus complexe qui n'y paraît et n'a rien perdu de sa pertinence malgré une trajectoire chahutée, selon William Blanc, historien et auteur de Super-héros, une histoire politique (éditions Libertalia).

Franceinfo : En quoi Superman est-il un super-héros exceptionnel parmi tous ?

William Blanc : Il incarne le mythe super-héroïque, un mythe qui croit dans le futur. Quand il apparaît en 1938, Superman incarne cet espoir que le futur va foncièrement amener un "mieux" à la fois technologique, social et politique. Le personnage est créé par Jerry Siegel et Joe Shuster, deux juifs issus de familles d'immigration juive. On est alors dans une époque trouble, avec la montée du fascisme, la crise économique... Il y a cette volonté de leur part de dire au public que le futur va être positif. Superman, c'est quelqu'un du futur, ou en tout cas d'une civilisation futuriste (Krypton), qui débarque aux Etats-Unis et qui concrètement incarne cette idée. Dès les premiers numéros de comics, on va voir cette volonté qu'a Superman d'être extrêmement offensif, par exemple en arrêtant un patron de mine qui néglige la sécurité de ses employés, etc.

"Il y a cette idée que Superman accompagne une forme de transformation sociale."

William Blanc, historien

à franceinfo

Il y a aussi l'activité de l'alter ego de Clark Kent, l'archétype du journaliste. Un journaliste qui enquête, on est vraiment dans le journalisme très militant aux Etats-Unis, qui découvre des scandales sanitaires, par exemple. Clark Kent enquête et Superman, une fois qu'il voit les scandales, agit. Il y a presque une allégorie de l'Etat rooseveltien. L'ancien président Roosevelt avait lancé le New Deal, c'est cette idée que l'Etat doit agir et investir massivement. Dans les tous premiers comics, Superman détruit des taudis, ce qui pousse le gouvernement à construire des HLM tout neufs. 

Est-ce que Superman a toujours été aussi politique ?

Dans la première moitié des années 1950, au moment du maccarthysme aux Etats-Unis, vous avez une campagne de presse énorme à l'encontre des comics, qui les accuse de tous les maux. Beaucoup d'auteurs de comics venaient de milieux progressistes ou étaient issus de l'immigration. Il y a alors eu une sorte de déchaînement contre des comics accusés de développer un discours anti-famille, notamment un discours homosexuel caché (par exemple Batman et Wonder Woman ont été accusés). Les éditeurs de comics ont donc décidé de s'autocensurer en créant le Comics Code, un code qui interdit de montrer certaines scènes, un peu à l'image du code Hays pour le cinéma à Hollywood. Et Superman est un des rares super-héros à avoir survécu pendant ces années-là.

En fonction des époques, vous allez avoir dans les films et les comics des propos critiques vis-à-vis de l'Amérique. Par exemple, dans le film Superman 4 (1987), certes critiqué pour son esthétique, le super-héros décide de détruire tous les arsenaux nucléaires du monde, celui de l'URSS comme celui des Etats-Unis. 

"C'est une manière de dire : est-ce que les Etats-Unis ne font pas défaut à leur mission d'incarner un futur radieux ? Est-ce que l'Amérique en fait assez, est-ce qu'elle en fait trop ? Superman est un personnage qui permet ce genre de réflexion."

William Blanc, historien

à franceinfo

Vous relevez que Superman n'a pas toujours eu une image progressiste...

L'histoire des super-héros est longue et complexe : Superman a désormais 87 ans. Il a été influencé dans tous les sens, et notamment vers un côté plus conservateur. Certains pensent qu'il est forcément progressiste, mais ça dépend des périodes. Il y a tellement d'auteurs qui s'en sont emparés, sans compter la pression des éditeurs. Dans le film Man of Steel (2013), vous avez une vision plutôt conservatrice, avec par exemple une scène où Superman adopte une posture christique, une posture pensée pour plaire à une Amérique très chrétienne.

Des partisans de Donald Trump se sont récemment indignés des propos de James Gunn, le réalisateur du dernier film, qui a comparé Superman à un "immigrant illégal"...

Sauf que c'est vrai, c'est une réalité. Tous les prétextes sont bons aujourd'hui pour créer des paniques morales. C'est classique sur les super-héros. Ça fait au moins 15 ans que ça existe, vous avez la même chose sur Captain America. Quand on regarde l'histoire des super-héros, Superman est un migrant, un immigré. Et c'était fait exprès de la part des auteurs Jerry Siegel et Joe Shuster, qui voulaient affirmer que l'Amérique est une nation d'immigrés. Il faut rappeler que la terre d'origine de Superman est détruite, donc il arrive dans un nouveau monde, il y a cette idée que le migrant apporte quelque chose de mieux, une plus-value, pour employer un terme contemporain. Quand on s'intéresse un peu à la production autour de Superman, on s'aperçoit que c'est un personnage qui a plein de facettes, et qui permet d'explorer une ambivalence et une complexité américaine vis-à-vis de sa propre histoire.