Pourquoi la décision de la France de reconnaître l'Etat palestinien pèse-t-elle plus lourd que celle d'autres pays européens ?

Une décision symbolique et politique. Dans une déclaration surprise faite sur le réseau social X, après des mois de tergiversations, Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 24 juillet, la reconnaissance par la France de l'Etat palestinien. L'officialisation aura lieu en septembre devant l'Assemblée générale des Nations unies à New York. "Ce faisant, la France voudra apporter une contribution décisive à la paix au Proche-Orient et mobilisera tous ceux de ses partenaires internationaux qui souhaitent y prendre part", écrit le chef de l'Etat dans sa lettre adressée au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

A ce jour, au moins 142 Etats ont reconnu un Etat palestinien, selon un décompte de l'AFP. Parmi eux, 12 pays européens ont franchi ce pas, dont l'Espagne, la Norvège et l'Irlande en mai 2024 puis la Slovénie en juin 2024. Mais Emmanuel Macron espère entraîner d'autres poids lourds dans son sillage, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne. La décision de la France revêt en effet plus d'importance que celle de certains de ses voisins européens. Voici pourquoi.  

Parce qu'elle abrite les plus importantes populations juive et musulmane d'Europe occidentale

Cette décision a un écho particulier dans le pays et sur le continent européen. Comme le souligne l'Observatoire de l'immigration et de la démographie, la France abrite en effet la plus grande population musulmane d'Europe. Selon la dernière estimation réalisée par l'Insee dans l'enquête "Trajectoires et Origines", 10% des personnes âgées de 18 à 59 ans se déclaraient musulmanes en 2019-2020.  

Parallèlement, comme le rappelait l'agence de presse AP après l'agression du rabbin d'Orléans en avril, l'Hexagone abrite la plus grande population juive d'Europe occidentale, avec environ 500 000 juifs, soit environ 1% de la population nationale. Il s'agit de la troisième communauté juive la plus importante au monde, après Israël et les Etats-Unis. 

Ces deux importantes communautés sur le territoire favorisent l'importation en France du conflit israélo-palestinien. Le niveau d'antisémitisme y est à "un niveau très élevé", avec une forte hausse signalée depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël, selon les chiffres publiés début juillet par le ministère de l'Intérieur. Les actes antimusulmans ont aussi augmenté de 75% par rapport à 2024 dans le pays. Dans un rapport officiel sur les Frères musulmans et l'islamisme politique en France, présenté en mai, les auteurs – un ambassadeur et un préfet –  affirmaient que le sentiment d'une "islamophobie d'Etat" était renforcé par le soutien français à Israël dans la guerre menée à Gaza et soulignaient que la reconnaissance d'un Etat palestinien par la France pourrait "apaiser ces frustrations". 

Parce qu'elle sera le premier pays du G7 à reconnaître l'Etat palestinien

Avec cette décision, la France devient le premier pays du G7 à reconnaître l'Etat palestinien. Ce groupe réunit les principales puissances économiques du monde démocratique et compte aussi les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Allemagne, le Japon et l'Italie. Il se réunit régulièrement lors de sommets. 

Selon le New York Times, c'est avec les Etats-Unis que les relations de la France sont les plus tendues dernièrement, en raison de divergences sur la guerre en Ukraine, des droits de douane américains et des invectives personnelles du président américain. Emmanuel Macron a apparemment estimé que le moment était venu de se démarquer de Washington et de proposer une vision européenne distincte pour le Moyen-Orient, analyse le quotidien.

Parce qu'elle est la seule puissance nucléaire de l'UE

La France se distingue également des autres membres de l'Union européenne sur un point non négligeable, sur fond de guerre en Ukraine et de menaces militaires russes perçues par l'Europe. Depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE en 2020, le pays est le seul des 27 à disposer de la force de dissuasion nucléaire. Mi-mai, Emmanuel Macron a dit vouloir "aller plus loin" sur le partage du "parapluie nucléaire" français, en déployant par exemple en Europe des avions capables d'emporter des charges nucléaires. Le président de la République avait rappelé la "dimension européenne" présente dans la doctrine tricolore. 

En prenant l'initiative de reconnaître l'Etat palestinien, Emmanuel Macron espère inspirer l'autre puissance nucléaire du continent. Le 10 juillet, en visite au Royaume-Uni, il avait appelé à une reconnaissance commune, sans succès pour l'heure. Les autres pays européens restent divisés sur cette question, l'Allemagne estimant qu'une reconnaissance aujourd'hui serait "un mauvais signal".

Parce qu'elle est le seul membre de l'UE à siéger de manière permanente au Conseil de sécurité de l'ONU

Autre différence notable avec les autres Etats membres de l'UE qui ont déjà reconnu la Palestine : la France est le seul pays de l'Union européenne à être membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU aux côtés de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie et du Royaume-Uni. Les cinq membres permanents peuvent recourir au veto pour empêcher l'adoption d'une résolution. 

Avec la reconnaissance de son statut d'Etat par la France, la Palestine pourrait espérer devenir membre à part entière des Nations unies, ce qui lui permettrait de voter les projets de résolution. Mais il faudrait pour cela que le Conseil de sécurité de l'ONU fasse une proposition dans ce sens, puis que l'Assemblée générale vote pour. "Ce serait difficile pour la France de s'y opposer après avoir reconnu la Palestine comme un Etat", explique à franceinfo l'historienne Frédérique Schillo. La proposition risquerait toutefois de se heurter au veto américain, comme cela a déjà été le cas en avril 2024.