Notre critique de Sirât, prix du jury à Cannes : radical et mystique
Apocalypse now. La teuf est finie. Pourtant, elle continue. Au Maroc, des « ravers », au pied des montagnes de l’Atlas et d’un mur d’enceintes, se laissent traverser par les basses, entre carnaval grotesque et rituel chamanique. Dans cette foule en transe hirsute et tatouée, un père, Luis, cherche sa fille aînée, disparue six mois plus tôt. Il est accompagné de son fils, Esteban.
Des soldats finissent par couper le son et escorter les caravanes des teufeurs vers un ailleurs qu’on devine moins dansant. Luis (Sergi Lopez, rondeur débonnaire d’homme ordinaire, déjà hagard), décide de suivre un groupe qui s’échappe, d’abord méfiant puis bienveillant à l’égard de ce père en détresse. Direction une autre « free party » dans le Sud, près de la Mauritanie.
Passer la publicitéPuissance visuelle et sonore
Luis arpente la marge de la société et un territoire à la beauté époustouflante et terrifiante, paysage physique et mental, minéral et poussiéreux. Le désordre du monde parvient à travers des flashs infos à la radio des camions. Il est question de situation chaotique, de guerre sur plusieurs fronts, de colonne de civils sur les routes (Ukraine, Gaza, Soudan, le choix est vaste).
« Sirât », c’est « Mad Max » revu par Bruno Dumont, les cascades motorisées en moins, la puissance visuelle et sonore en plusSirât, c’est Mad Max revu par Bruno Dumont, les cascades motorisées en moins, la puissance visuelle et sonore en plus. On pense surtout à l’auteur de L’Humanité pour les acteurs non professionnels qui composent le groupe de ravers : Stef, Josh, Jade, Bigui et son bras en moins, Tonin et sa jambe manquante - son moignon se transforme en marionnette pour chanter Le Déserteur, de Boris Vian.
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Sur les routes de montagne en lacet ou dans le désert sans fin, les deux camions filent vers la mort. Film d’aventures mystique, au croisement du Salaire de la peur, de Clouzot, et de La Route, de McCarthy, Sirât sidère sans avoir besoin d’ingurgiter des champignons hallucinogènes. L’effondrement d’un monde est avant tout celui d’un homme. Le sable assèche les larmes de Luis. Dans le désert, personne ne vous entend pleurer. Sirât, dans l’islam, désigne le pont qui relie l’enfer au paradis mais on est bien incapable de dire dans quel sens Luis fait le chemin.
Dans son précédent long-métrage, Viendra le feu (2019), le réalisateur franco-espagnol Oliver Laxe filmait les montagnes de la Galice en proie aux flammes, visions infernales que les incendies de l’été qui s’achève rendent prophétiques. Le champ de mines de Sirât, dancefloor d’une humanité mutilée et extatique, apparaît comme le monde de demain. À moins que ce ne soit celui d’aujourd’hui. « C’est pas fait pour entendre, c’est fait pour danser », dit Jade à propos de la techno brute et tribale de David Letellier, alias Kangding Ray, bande-son idéale du grand délitement. Alors on danse.
La note du Figaro : 2,5/4.