« A Real Pain » de Jesse Eisenberg : un retour vers l’enfer en demi-teinte

Le titre original de cette comédie douce-amère, A Real Pain, deuxième long métrage réalisé par l’acteur Jesse Eisenberg, a été conservé pour sa sortie en France. Naturellement, le mot « pain » est un faux ami qui signifie « douleur » en anglais. Subtilement, A Real Pain peut désigner plusieurs concepts et réalités dans le contexte. On pourrait le compléter par (pain) « in the ass », ou « in the neck » pour être plus poli, qui désignerait clairement un « casse-pieds ».

En l’occurrence ici il s’agit de Benjamin, alias Benji, qui retrouve son cousin David à l’aéroport de New York pour aller faire avec lui un Shoah Tour en Pologne. Comme dans tout buddy movie qui se respecte, ces cousins sont un peu le yin et le yang. Benji, rentre-dedans et un chouïa vulgaire, et David, introverti et profil bas.

Tourisme de mémoire

Mais le plus dépressif des deux n’est pas celui que l’on croit. Benjamin est incarné par Kieran Culkin, acteur remarqué ici et là, qui a littéralement explosé dans la série Succession, où il était un des héritiers tonitruants d’un horrible magnat des médias. On retrouve Culkin quasiment inchangé dans le film d’Eisenberg, où son caractère intempestif se poursuit sur un autre registre.

Loin de plier sa personnalité à son rôle, il l’agrémente de répliques ou de gestuelles de son cru. À côté de lui, Eisenberg, réalisateur-acteur jouant le cousin modéré, fait pâle figure. Il est le faire-valoir lors de cette expédition d’un groupe de touristes juifs suivant les traces des martyrs de leur famille de Varsovie jusqu’au camp de Majdanek.

D’où l’autre acception du mot « pain » : celle de la douleur, celle des ascendants et aussi des descendants en Pologne, que Benjamin ravive sans cesse par ses réactions épidermiques. Notamment dans la scène où il s’insurge que lui et ses compagnons voyagent en première classe là où circulaient jadis les convois de la mort.

Délicat mélange des genres

Outre cette figure révélatrice qui contribue également à distancier le processus par son comportement bouffon, le film reste remarquablement tenu et sobre. Le réalisateur-acteur maintient avec tact son propos à la frange de la comédie, tout en laissant constamment la place à l’émotion – indissociable du souvenir de la Shoah en Pologne.

Délicat mélange des genres qui est manifeste lors d’une scène près d’un monument militaire où Benji incite comiquement le groupe à prendre des poses héroïques devant les statues de soldats en action. Ce ludisme relativise la solennité du contexte, mais sans jamais dépasser les bornes. Cette comédie tout en finesse révèle un cinéaste prometteur, Eisenberg, qui pourrait bien prendre la relève, en plus subtil, de Woody Allen – ou d’Alexander Payne, spécialiste des demi-teintes, lequel a également revisité le road movie sur un ton mélancolique.

La seule réserve à propos de A Real Pain, si réserve il y a, concerne l’emploi immodéré de la musique de Chopin, qui a parfois tendance à noyer le propos en surajoutant une note folklorique à un film par ailleurs assez abstrait sur la Pologne, un retour en douceur vers l’enfer où les autochtones brillent par leur absence.

A Real Pain, de Jesse Eisenberg, États-Unis, 1 h 29, sortie en salles le 26 février

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