«C’est un symbole qui tombe» : émotion des riverains après la chute des ailes du Moulin Rouge à Paris

«Ça fait tout drôle… C'est comme si on coupait la tête de la Tour Eiffel !». Ce jeudi matin à Pigalle, un petit groupe de badauds regarde, médusé, l’hélice du Moulin Rouge qui gît à terre. Le célèbre cabaret s’élance dans le ciel froid de Paris, les ailes coupées, à la fois manchot et cul-de-jatte. «J'allume la télé ce matin, je vois ça. Je suis venu tout de suite», raconte André, retraité, qui habite le quartier depuis 50 ans.

Vers 2h du matin, les pales de cet emblématique lieu de fête parisien, créé voilà 135 ans au pied de la butte Montmartre, se sont effondrées. Sur la chaussée, de profondes marques du choc sont visibles. Pas de tempête pourtant, ni de vent particulier. Le boulevard de Clichy était presque désert à cette heure-là et aucun blessé n’est à déplorer. «Ça aurait pu être dangereux ! En tout cas ça a dû faire un sacré bruit», commente un passant, sidéré. «Les ailes du moulin rouge qui tombent… eh bien», reprend-il dans un rire, avant de reprendre le chemin du travail.

Dès 7h, une remorque est arrivée sur les lieux pour embarquer les ailes de fer tombées à terre. Deux d’entre elles sont largement écornées. «Ça me rend triste. C'est un symbole qui tombe», confie Jean-Baptiste, un riverain trentenaire. «Ça rappelle Notre-Dame», avance même un postier qui passe chaque jour devant le lieu emblématique pour distribuer le courrier. «J'ai fait tous les cabarets de Paris. Mon préféré, c'est le Moulin Rouge», affirme-t-il.

Le Moulin Rouge s'élance dans le ciel ce jeudi matin, sans ses ailes emblématiques. Elisabeth Pierson / Le Figaro
Une remorque a récupéré l’hélice. Elisabeth Pierson / Le Figaro

Un bâtiment «vieillot»

«Ah oui... il n’y a plus d'hélice en fait !», réalise à son tour un cuisinier du cabaret, tout juste arrivé. «Elles devaient être un peu vieilles - tout est un peu vieillot ici. Dans nos cuisines au sous-sol, il faut beaucoup de rénovations, faut pas se mentir. Mais c'est ça aussi, le charme du Moulin Rouge !».

Ce cabaret parisien, fondé en 1889 par l’Espagnol catalan Josep Oller et par le Français Charles Zidler, qui possédaient déjà la salle de concert L'Olympia, est connu notamment pour son spectacle de «French cancan». Quelque 1800 spectateurs y viennent chaque jour, pour une moyenne de 600.000 spectateurs par an. Depuis 50 ans, la grande majorité sont toutefois des touristes étrangers, souligne Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur du Dictionnaire amoureux de Paris (Plon, 2015). «Le lieu fait partie du Paris carte postale, aucun parisien n’y va vraiment», affirme l’écrivain, rappelant qu’il s’agit d’un lieu «artificiel». «Le Moulin Rouge a remplacé un autre cabaret qui était là avant, explique-t-il. C'était une astuce commerciale, comme un décor de cinéma».

Par sa situation en hauteur, la plus haute de la capitale, la butte abritait à l’origine une vingtaine de moulins qui servaient à moudre le blé ou presser les vendanges pour faire le vin local. Les meuniers les ont transformés ensuite en cabarets ou en guinguettes, si bien qu’au 19e siècle, «à part le Moulin de la Galette, les vrais moulins de Montmartre ont tous disparu», relate Nicolas d’Estienne d’Orves. Devenu l'incarnation du Paris festif, ce prestigieux lieu de spectacle, notamment popularisé par les affiches de Toulouse Lautrec, correspond aujourd'hui à «une vision de Paris fantasmée dans l’imaginaire international», souligne l’écrivain.

Des ailes changées il y a 20 ans

Il n’empêche que pour André, voir ces pales effondrées est douloureux. Le sexagénaire est d'autant plus attaché au lieu qu'il y a travaillé cinq ans comme maître d'hôtel. «La sécurité les clients, le champagne, le service à table, la charge des chefs de rang… C'est une usine le Moulin Rouge !», se souvient-il avec nostalgie.

Deux des ailes sont tordues par la chute. Elisabeth Pierson / Le Figaro

«Je peux en prendre un bout ?», demande-t-il sans obtenir de réponse, aux agents de sécurité du cabaret qui aident à attacher les ailes cassées à une grosse pince, qui les hisse dans la remorque. Vont-elles aller à la casse ? «Ça ferait mal au cœur», commente André.

La direction du cabaret, elle, assure qu'il ne s'agit «pas d'un acte malveillant», mais «à l'évidence d'un problème technique». Ces pales ne sont d'ailleurs pas d'origine : elles avaient été changées voilà 20 ans pour une structure plus allégée, mélange de bois et d'aluminium. «Rien n'est endommagé à part les ailes, donc le programme habituel des spectacles est maintenu», a déclaré jeudi matin Jean-Victor Clerico, le directeur général du Moulin Rouge, dont la famille a pris la direction du lieu depuis 1955.