«Je crois aux villages, au curé, au maire, à la cellule familiale et au garde champêtre» : la première interview de Jean-Louis Debré au Figaro en 1978
À l’occasion de la mort de Jean-Louis Debré, Le Figaro vous propose de découvrir la première interview parue dans ses colonnes de l’ancien président de l’Assemblée et du Conseil constitutionnel.
Âgé de 33 ans, le fils de l’ancien premier ministre du général de Gaulle est alors candidat RPR dans la première circonscription de l’Eure lors des élections législatives de 1978. Après avoir échoué en 1973 dans le Pas-de-Calais, le jeune magistrat, proche de Jacques Chirac, part à l’assaut d’Évreux, contre le maire communiste nouvellement élu Rolland Plaisance et le député sortant UDF Pierre Monfrais. Une tentative ratée sur laquelle le futur ministre de l’intérieur prendra sa revanche lors du scrutin de 1986. Il ravira la mairie d’Évreux à Rolland Plaisance en 2001.
Article paru le 25 février 1978.
«Depuis trois générations, ma famille maternelle habite près de Pacy-sur-Eure ; la sœur de mon père est maire de Cravent, limite des Yvelines ; j‘ai passé ici toute ma petite enfance.»
Candidat à Évreux, dont le maire, communiste, depuis les municipales, est le mieux placé à gauche, Jean-Louis Debré ne sent pas du tout «parachuté» dans une circonscription qui lui est affectivement très proche.
Et, pour être vraiment de la famille, il habite en H.L.M., à la Madeleine, le quartier populaire de la capitale ébroïcienne.
Chez les Debré, rien ne se fait sans sincérité, ce qui leur vaut l‘estime, même chez leurs adversaires, et l‘amitié, dès que le cœur se laisse prendre. «Les H.L.M., pour moi, c‘est important. J‘étais jusqu‘ici magistrat à Evry, juge des enfants, et je sais ce que signifie de vivre en cité-dortoir, sans amis, sans sécurité, sans hygiène dans l‘environnement. Ici, à la Madeleine, quatre fonctionnaires de police pour 23.000 habitants...»
«Ce que je veux prouver, c‘est que le R.P.R. est un parti populaire. On n‘avait jamais vu un candidat modéré à la Madeleine, simplement et toujours les communistes. Maintenant, j‘ai mon stand sur le marché, je suis présent là où il y a des problèmes, des difficultés, et si l’on m‘élit député, je ne jouerai pas le bon notable enfermé dans son bureau.
C‘est une drôle de région, de transition et de contrastes, le plateau de Saint-André avec des exploitations de 90 à 130 hectares, très riches, et le pays d‘Ouche, morcelé, 40 à 50 hectares .en moyenne et un électorat qui se laisse séduire par les socialistes. Là-dessus Évreux qui absorbe toutes les retombées industrielles de Paris, les Normands qui se déracinent pour trouver du travail à la ville. Je crois aux villages, au curé, au maire, à la cellule familiale et au garde champêtre. Quand cela disparaît, un certain type de délinquance apparaît en milieu rural, et là, c‘est le magistrat qui vous parle.
Je pense aussi qu‘il ne faut pas trop de résidences secondaires, pas de villages morts du lundi au vendredi soir avec des Parisiens qui font leurs courses dans les hypermarchés sur la route du week-end. 70 % de résidents secondaires, c‘est trop ; beaucoup trop.»
— L‘industrialisation est-elle possible en un lieu rural?
«J‘y crois, il faut redéployer. Je vous citerai une entreprise de reliure industrielle à Breteuil, Didot-Bottin à côté de Nonancourt, une entreprise de forges à Bourth, Bronzacior à lvry-la-Bataille, des pépiniéristes çà et là. Tous ont souffert de la crise économique, mais pas plus que dans les grandes villes. Je sais bien qu‘en milieu rural, quand l‘entreprise tousse, c‘est tout le village qui s‘enrhume, que trois licenciements, c‘est un drame pour toute une bourgade, mais il faut croire aux villages.»
«Je crois aussi aux petits artisans et aux petits commerçants. Ils constituent un facteur privilégié de relation sociale, il ne faut pas penser à eux en termes économiques mais en termes sociaux.»
— Mais le poids des charges?
«Si l’on ne fait rien dans les cinq ans qui viennent, Ils ne pourront plus vivre. L‘État doit prendre en charge la revitalisation des petites communes. Le gouvernement a pris de bonnes mesures conjoncturelles vis-à-vis des apprentis,. Il faut les prolonger et les étendre.
Il y a aussi un gros effort à entreprendre en matière sanitaire et sociale en milieu rural.»
— Vous défendez la campagne, mais Évreux représente 43 % de vos 73.000 électeurs potentiels?
«Évreux me préoccupe puisque j‘y réside avec ma famille. Si je suis élu, c‘est là que j‘exercerai mon mandat de député, car la place du député c‘est le chef-lieu. J‘ai des ambitions pour Évreux.
Laissant à Rouen et Caen le rayonnement universitaire je voudrais en faire un centre tant de formation professionnelle à 100 kilomètres de Paris, une ville de techniciens, d‘apprentis, y compris dans le travail manuel, le bâtiment, la doter aussi, en équipements hospitaliers, en médecine préventive, en stades, de tout ce qui doit accompagner cette ambition.»
— Politiquement, comment vous situez-vous?
«Évreux a été la première ville à faire l‘union de la gauche ; puis la première à la défaire, puisqu‘il n‘y a plus un socialiste dans une municipalité devenue communiste! Je pense que l‘électorat local découvre peu à peu que je ne suis pas un notable. Je pense que des notables découvrent aussi un candidat jeune et de la générosité dans ses ambitions.»
Dans une famille illustre, dont l‘aïeul est professeur en médecine, et le fils fut Premier ministre du général de Gaulle, c‘est une coutume de se faire un prénom.
Jean-Louis Debré acquiert paisiblement ce droit, en œuvrant, avec simplicité, en homme de bonne volonté.
Par Henri Husson