Funérailles de Hassan Nasrallah : le Liban en voie de sortir de la sphère d’influence iranienne ?
Organisées par le Hezbollah, dimanche 23 février, dans la banlieue sud de Beyrouth, les funérailles de Hassan Nasrallah sont perçues par certains comme le symbole de la fin de la mainmise iranienne sur le Liban, incarnée par les choix politiques et militaires du chef du parti chiite, tué dans une frappe israélienne massive quatre mois plus tôt.
Les dernières décennies au Liban ont été jalonnées par des funérailles qui ont eu un fort impact sur son histoire, rappelle Albert Kostanian, économiste et journaliste, présentateur de l’une des principales émissions politiques libanaises, Vision 2030, diffusée sur la LBCI.
"Les funérailles de l’ancien président René Moawad, assassiné peu après son élection en 1989, ont marqué l'entrée du Liban dans l'ère de l’hégémonie syrienne, explique-t-il. Celles de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005, ont ensuite sonné le glas de l’occupation syrienne et ouvert le début de l’ère iranienne, à travers la domination du Hezbollah ; et enfin, celles de Hassan Nasrallah, viennent sans doute signaler la fin de la mainmise de Téhéran."
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Jusqu’à la chute de son allié Bachar al-Assad, le 8 décembre 2024, Téhéran pouvait se targuer de contrôler quatre capitales du monde arabe : Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa. Certains observateurs incluaient même dans cette liste la bande de Gaza dirigée par le Hamas, membre actif de "l’axe de la résistance", façonné et chapeauté par la République islamique, ennemi juré d'Israël et des États-Unis.
La perte de la Syrie, qui permettait à l’Iran d’étendre son influence sans discontinuité territoriale, via le territoire irakien, jusqu'à la Méditerranée et surtout jusqu’aux frontières de l’État hébreu, a porté un coup sévère aux capacités d’action des Pasdarans ("Gardiens de la révolution", en persan).
"Fin de règne iranien"
"Le changement de régime à Damas, avec un pouvoir qui lui est désormais hostile, a fait perdre à l'Iran l’arrière-base stratégique qui lui permettait de contrôler le Liban, d'acheminer des armes et de l'argent au Hezbollah, explique Albert Kostanian. D'où la crise actuelle autour de l'aéroport de Beyrouth, qui reste désormais quasiment la seule voie de communication directe entre Téhéran et le Hezbollah, ce qui est très symbolique de cette fin de règne iranien."
Des incidents ont éclaté en fin de semaine dernière entre des partisans du parti chiite et l’armée libanaise autour de l'aéroport de Beyrouth, après la décision du gouvernement d'interdire l'atterrissage de deux avions iraniens. Selon une source de sécurité citée par les médias locaux, les autorités libanaises ont été informées par Washington que l’armée israélienne risquait de frapper l'aéroport, le Hezbollah étant soupçonné de recevoir des fonds iraniens à bord de vols civils.
"D'un rôle d’acteur régional de premier plan qui allait jusqu’à menacer les États-Unis et Israël, le parti pro-iranien est passé au statut d'une milice locale dont les uniques moyens d'action sont de bloquer les voies d'accès à l'aéroport, lui-même sous surveillance internationale – américaine notamment", souligne Albert Kostanian.
Entre la nouvelle réalité syrienne, le contrôle de l’aéroport qui semble lui échapper et l’occupation de cinq positions par l’armée israélienne dans le Sud-Liban, au-delà du nouveau délai fixé dans l'accord de cessez-le-feu du 27 novembre, et des fiefs en ruines à reconstruire, le Hezbollah n'apparaît plus comme le maillon fort de l’axe iranien.
Cet affaiblissement, combiné à la mort de Hassan Nasrallah, qui le dirigeait depuis 1992, ont eu un impact direct sur la scène politique libanaise et bouleversé les rapports de force interlibanais.
Deux pierres dans le jardin du Hezbollah
Plusieurs indicateurs politiques montrent qu’une page est en train de se tourner, juge Albert Kostanian. "Le nouveau chef de l’État, Joseph Aoun, élu le 9 janvier, n’était pas le candidat que le Hezbollah avait cherché à imposer à tout prix, quitte à bloquer la présidentielle pendant plus de deux ans, rappelle-t-il. La déclaration ministérielle du nouveau gouvernement rendue publique ces derniers jours, ne mentionne pas le droit à la résistance qui offrait une couverture à son aventurisme militaire".
En lieu et place du triptyque "armée, peuple, résistance" mis en avant dans les précédentes déclarations ministérielles, le gouvernement de Nawaf Salam a inscrit, en cohérence avec le discours d’investiture de Joseph Aoun, deux principes dans le texte, dévoilé en début de semaine par plusieurs médias libanais. Le premier stipule que "l’État est entièrement responsable de la défense de son territoire" et le second dispose qu’il se doit de "détenir le monopole des armes".
Soit deux pierres lancées dans le jardin du Hezbollah, qui se voit retirer toute justification pour conserver ses armes, soit le levier qui permet au parti chiite d’imposer au pays du Cèdre son agenda et celui de son parrain iranien.
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Toujours est-il que Beyrouth est encore loin d’être perdue pour Téhéran, le Hezbollah disposant toujours de dizaines de milliers de combattants mobilisables à tout moment, et d’une forte assise populaire acquise à son idéologie.
"Si l'Iran a perdu de sa mainmise, la communauté chiite libanaise, qui reste très importante de par son nombre et son influence, demeure très attachée dans sa majorité au Hezbollah, souligne Albert Kostanian. Et même affaibli, le parti a toujours des leviers pour peser politiquement, en plus du soutien de générations entières qu’il a biberonné à ses dogmes et d’une frange très radicale très présente dans son appareil de prise de décision."
Début février, l'ayatollah Ali Khamenei a nommé Naïm Qassem, le nouveau chef du Hezbollah, comme son représentant au Liban – un titre qui avait également été accordé à Hassan Nasrallah. Pour renforcer sa légitimité affirment certains experts, alors que des rumeurs insistantes laissent entendre que le Hezbollah est en proie à des divisions internes. Pour le mettre sous tutelle raillent ses détracteurs, alors que le parti a fait de nombreuses concessions, sur le plan international avec les conditions du cessez-le-feu qui lui sont défavorables, et sur le plan interne, en laissant arriver au pouvoir un duo Joseph Aoun et Nawaf Salam qui échappe à son contrôle.
"Le parti chiite estime que l’on cherche à l’éliminer, écrit, dans un éditorial publié le 15 février, Anthony Samrani, rédacteur en chef du quotidien francophone libanais L'Orient-Le Jour. Il est dans une logique de survie. Il perçoit ses armes, son financement, son lien organique avec l’Iran et sa mainmise sur la communauté comme les conditions de cette survie. Pour ne pas les perdre, il est prêt à recourir à la rue et probablement à menacer le pays d’une nouvelle guerre civile."
L'imprévisibilité de la diplomatie américaine
Selon Albert Kostanian, la direction du Hezbollah va devoir trancher "entre faire le pari d'une libanisation du parti et d’une participer à temps plein à la vie politique, qui passe par l’abandon progressive de toute activité militaire qui le lie directement à l'Iran, ou revenir à une voie de radicalisation qui serait sans doute le pire des scénarios pour le Liban".
Et de poursuivre : "Il faut nécessairement reconstruire l'État avec la communauté chiite. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas se comporter comme des vainqueurs face à des vaincus, parce qu’une telle attitude risquerait d'exacerber les tensions interlibanaises et d'attiser les haines, ce qui serait désastreux."
Sur France 24
La question qui fâche : Le Liban est-il sauvé ?
Deux voies possibles dont semble dépendre l’avenir du pays du Cèdre, où la méfiance et l’incertitude restent de mise. Surtout depuis que c’est désormais l’administration Trump qui donne le tempo géopolitique régional à coups de déclarations et de propositions fracassantes en provenance du bureau ovale.
D’aucuns craignent même que les Libanais ne fassent une nouvelle fois les frais du bras de fer entre l’Iran d’un côté et les États-Unis et Israël de l’autre. Voire même de se voir imposer une nouvelle tutelle.
Depuis Jérusalem, où il a réaffirmé le soutien sans faille des États-Unis au gouvernement de Benjamin Netanyahu, le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a déclaré que son pays et Israël attendaient de l'État libanais qu'il "affronte et désarme le Hezbollah".
"L’ère de ce que l’on pouvait appeler, par certains aspects, 'la tutelle iranienne' est terminée, note Anthony Samrani, rédacteur en chef du quotidien libanais L'Orient-Le Jour. L’ère de ce que l’on peut appeler, par certains aspects, 'la tutelle américano-israélienne' est en train de prendre forme."
"La région est en proie à une diplomatie américaine maximaliste qui vise à mettre une pression considérable pour atteindre ses objectifs, sans être toujours très cohérente. Il suffit de se pencher sur les idées de Donald Trump pour l’avenir de Gaza", conclut Albert Kostanian. Le Liban et son nouveau pouvoir ne sont pas l’abri de son imprévisibilité et peuvent se retrouver pris en tenaille entre une enclume américano-israélienne et un marteau iranien. D'où l'importance d'une politique libanaise claire et d'une volonté nationale qui soit indépendante des agendas internationaux."