Funérailles de Hassan Nasrallah : le Hezbollah et l’Iran veulent montrer "qu’ils sont toujours là"

Le Hezbollah organise, dimanche 23 février, dans la banlieue sud de Beyrouth, des "funérailles populaires" pour son ancien secrétaire général et leader emblématique, Hassan Nasrallah, tué le 27 septembre dans une frappe israélienne massive sur son quartier général.

Le chef du parti chiite, qui le dirigeait depuis 1992, avait été enterré dans un lieu tenu secret en attendant que des funérailles officielles puissent être organisées. Il sera inhumé dans un terrain proche de la route de l'aéroport de Beyrouth. Théâtre de tensions ces derniers jours entre partisans du Hezbollah et l’armée libanaise, l'aéroport sera fermé pendant quatre heures dimanche, le temps des cérémonies.

"Le rassemblement principal aura lieu dans la Cité sportive Camille Chamoun. La cérémonie durera une heure environ, durant laquelle le secrétaire général du Hezbollah Naïm Kassem prendra la parole", a déclaré, au nom du parti, le cheikh Ali Daher, selon des propos rapportés par des médias locaux.

À lire aussiLiban : ce que l'on sait des funérailles de Hassan Nasrallah, ancien chef du Hezbollah

En plus des centaines de milliers de sympathisants attendus, "près de 79 pays seront présents", dont l’Iran, qui a annoncé "une large participation populaire et officielle" a-t-il précisé. Cette cérémonie funéraire rendra également hommage à Hachem Safieddine, successeur de Hassan Nasrallah, lui aussi tué par une frappe aérienne israélienne début octobre.

L’élimination de son leadership et de son commandement militaire et les conditions du cessez-le-feu signé le 27 novembre, qui a mis un terme à deux mois de guerre avec Israël et plus d’un an d’hostilités transfrontalières déclenchées par le Hezbollah au lendemain des attaques terroristes du Hamas du 7-Octobre, ont grandement fragilisé le parti pro-iranien.

Affaibli militairement et politiquement, le Hezbollah espère, selon les observateurs, donner à cet évènement un retentissement international afin de démontrer qu’il reste un acteur incontournable du Proche-Orient.

Pour comprendre les enjeux de ces funérailles aussi symboliques que politiques, France 24 a interrogé Albert Kostanian, économiste et journaliste, hôte de l’une des principales émissions politiques libanaises, "Vision 2030", diffusée sur la LBCI.

France 24 : Quelle symbolique le Hezbollah va-t-il donner aux funérailles de son chef Hassan Nasrallah ?

Albert Kostanian : Ces funérailles ont une symbolique énorme aux yeux du Hezbollah et de ses partisans, parce que Hassan Nasrallah n’était pas juste leur chef, il était un leader charismatique hors pair. Pour eux, il était un symbole de force, mais aussi religieux. Il est quasiment considéré comme un saint, la tradition chiite accordant un rôle important aux signes mystiques.

Une importante partie des chiites libanais considère qu’il va rester dans l'histoire comme leur libérateur, comme l’un des plus grands chefs politiques et religieux de cette région. Qu'on l'aime ou pas, il faut reconnaître qu’il a su marquer son temps et que son aura dépassait les frontières du Liban. Car Hassan Nasrallah étant aussi une figure de l'axe iranien, qui va du Liban jusqu’au Yémen, en passant par l'Irak et, jusqu’à la chute de Bachar al-Assad en décembre, par la Syrie. D’où la présence attendue dimanche, de délégations étrangères et de nombreux sympathisants en provenance de ces pays.

Lors de cet évènement programmé dans une atmosphère de liesse populaire, le Hezbollah veut confirmer le rang de grand de leader de son chef avec des funérailles dignes de sa stature. Le parti va aussi se servir de cette cérémonie, parce qu’il est aussi éminemment politique, pour réaffirmer son poids, sa pérennité et sa popularité. Que l’assassinat de Hassan Nasrallah n’ait pas été suivi de funérailles populaires est une humiliation suprême pour le Hezbollah et ses partisans. Après leur cinglante défaite, le parti et l'axe iranien veulent faire une démonstration de force pour montrer qu’ils sont de retour – ou du moins qu’ils sont toujours là et pas tout à fait morts.

Ces funérailles vont avoir lieu alors même que des soldats israéliens occupent toujours des positions dans le sud du pays du Cèdre. N’est-ce pas un symbole de l’affaiblissement du Hezbollah ?

Absolument. Cette réalité dans le sud [du Liban] est humiliante pour lui, alors même qu’il clame être ressorti gagnant de cette guerre avec Israël. Il y a quelques jours, des jets israéliens ont survolé Beyrouth en franchissant le mur du son. Il faut s’attendre à de telles provocations israéliennes dimanche, comme pour rappeler à la foule qu'Israël a la maîtrise du ciel, de la mer et aussi du sud du pays. Ces funérailles interviennent dans un contexte extrêmement défavorable pour le Hezbollah et l’axe iranien, qui ont été défaits à tout point de vue.

En plus de l'élimination de son leadership militaire, deux secrétaires généraux du parti ont été assassinés par les Israéliens en quelques jours. Et en plus de cette série d’éliminations, le sud du Liban est totalement détruit, tandis que la banlieue sud de Beyrouth, son autre fief, est en partie détruite. L’armée israélienne va garder cinq positions stratégiques dans le sud du Liban pour une durée indéterminée, au-delà du nouveau délai fixé dans l'accord de cessez-le-feu.

Le Hezbollah est sous surveillance, interdit d'entrer et de mener des activités militaires au sud du fleuve Litani, et ce sont deux généraux occidentaux, un Américain et un Français, qui président le comité de surveillance de la trêve. Même sur le plan de la politique interne, l’élection du nouveau président Joseph Aoun et la nomination du Premier ministre Nawaf Salam ont également échappé à son contrôle. Ni l’un et ni l’autre n’était dans ses petits papiers. Il s’agit bien d’une défaite par KO pour le Hezbollah.

Ces funérailles sont aussi un défi pour le nouveau pouvoir, puisque le Hezbollah a invité à cet évènement le nouveau président ainsi que son Premier ministre. Quel message vont-ils envoyer en décidant – ou ​​​​​​​non ​​​​​​​–​​​​​​​ ​​​​​​​de s'y rendre ​​​?

Pour le nouveau pouvoir, Hassan Nasrallah est un personnage encombrant, tout comme l'est le Hezbollah. Il s’agit d’une personnalité adulée par une partie de la population libanaise, notamment au sein de la communauté chiite, et honnie par le reste, qui voit en Hassan Nasrallah un va-t'en guerre qui a provoqué la destruction du pays à plusieurs reprises. Une frange de la population le voit même comme un chef terroriste, des membres du Hezbollah ayant été condamnés en 2022 par un tribunal pénal international pour l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005. Un certain nombre d'hommes politiques libanais ont été assassinés et leur seul point commun était d'être hostiles au Hezbollah.

Comment va se comporter le nouveau pouvoir en place ? Telle est la difficulté de gouverner le Liban avec toutes ses contradictions et tous ses clivages. Je pense que la meilleure décision serait de se faire représenter à la cérémonie. Y aller serait une erreur, en raison de la dimension clivante de Hassan Nasrallah, et cela donnerait l’impression de légitimer cette dernière guerre qu’il a lui-même décidé de mener et qui l’a menée à sa fin, mais a aussi détruit le Liban.