Il est des disparitions qui, en matière de politiques publiques, en disent plus que de longs discours. D'après les informations de la cellule investigation de Radio France, la mention "limiter les produits ultra-transformés" a été effacée d'un document clé que le gouvernement doit rendre public aujourd'hui.
Attendue depuis plus de deux ans, la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), censée poser les bases d'un modèle alimentaire plus juste et plus soutenable, devait initialement être publiée le 1ᵉʳ juillet 2023. Mais la rédaction du document a fait l'objet, jusque dans la dernière ligne droite, d'un long bras de fer entre les trois ministères en charge du dossier : Santé, Agriculture et Transition écologique.
Un enjeu majeur de santé publique
Le texte final qui doit être rendu public ce vendredi, et que la cellule investigation a pu consulter, rappelle que les problèmes de santé liés à l'alimentation — cancers, maladies cardiovasculaires, diabète, surpoids — constituent un "enjeu majeur de santé publique". Pour y répondre, il prévoit de "réduire l'exposition des enfants et des adolescents aux publicités pour les produits trop gras, sucrés ou salés", d'"encadrer réglementairement la qualité nutritionnelle des repas" dans les crèches, les Ephad et les prisons, ou encore de "communiquer et sensibiliser sur une alimentation saine et durable".
Mais tandis que le gouvernement s'engage à mieux expliquer ce qu'est une alimentation plus saine, il retire pourtant de sa stratégie toute référence à une catégorie d'aliments reconnue comme particulièrement délétère pour la santé : les produits ultra-transformés. Dans la version précédente du texte, adopté début septembre par le gouvernement de François Bayrou mais jamais publié en raison du remaniement, la formule "limiter les produits ultra-transformés" apparaissait bien, afin de rappeler les recommandations officielles du Programme national nutrition santé (PNNS), la référence française en matière de politique nutritionnelle. "Les nouvelles recommandations du PNNS encouragent à privilégier le ‘fait maison', les produits de saison et locaux issus de l'agriculture biologique et à limiter les produits ultra-transformés".
Cette mention, déjà sibylline, a finalement disparu de la version arrêtée de la stratégie. Selon la cellule investigation de Radio France, l'expression "limiter les produits ultra-transformés" a été retirée à la demande expresse du ministère de l'Agriculture — tandis que ceux de la Santé et de la Transition écologique ont tenté, en vain, d'en empêcher l'effacement. Et c'est finalement Matignon qui a tranché lundi, endossant la responsabilité de publier un document expurgé de toute référence à cette limitation.
Un choix d'autant plus singulier qu'il intervient quelques jours seulement après la publication, dans la très sérieuse revue scientifique The Lancet, d'un appel signé par une quarantaine de chercheurs internationaux. Ces derniers y détaillent les effets délétères des produits ultra-transformés (obésité, diabète, dépression) et exhortent les pouvoirs publics à mettre en place, d'urgence, des mesures de régulation du secteur pour protéger la santé.
La catégorisation d'aliment ultra-transformé (AUT) est pleinement reconnue par la recherche internationale, utilisée notamment par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) ou la FAO (Food and agriculture organization). Elle désigne des aliments contenant des ingrédients qu'on ne trouve pas dans les cuisines des foyers (émulsifiants, sirop de glucose, arômes, colorants alimentaires, conservateurs). Les consommateurs peuvent identifier ces produits — céréales du petit déjeuner, snacks et sucreries, charcuteries industrielles, sodas — grâce à des outils comme Open Food Facts, qui s'appuient sur la classification NOVA : une échelle en quatre niveaux, dont le dernier correspond aux aliments ultra-transformés.
Selon une source proche du dossier, "le fait que le gouvernement ait choisi de supprimer la mention ‘limiter les produits ultra-transformés' au moment où The Lancet publie des études alarmantes n'est pas seulement un choix de vocabulaire : c'est un renoncement politique et un signal inquiétant sur l'emprise des lobbies agroalimentaires sur les politiques de santé".
Une notion contestée par le lobby de l'industrie
Car le terme n'a pas totalement disparu de la SNANC. Il apparaît bien, à la dernière page du document gouvernemental, mais dans l'optique d'être redéfini. Parmi ses objectifs, la SNANC prévoit en effet de poursuivre les travaux de recherche pour arriver à une "définition opérationnelle" des aliments ultra-transformés.
Une demande récurrente de l'Association nationale des industries alimentaires, le principal lobby du secteur en France, qui qualifie la notion d'ultra-transformation d'"arbitraire et contestée par beaucoup de scientifiques".
Début 2024, une délégation de chefs d'entreprise représentée par l'ANIA, avait profité d'une rencontre à l'Elysée avec Emmanuel Macron pour "exprimer des inquiétudes sur le qualificatif injuste d'alimentation dite ‘ultra-transformée' et le dénigrement systématique de toute une profession qui l'accompagne."
L'ANIA, dont le directeur de la communication Benjamin Le Sant, a quitté son poste il y a quelques jours. Ce dernier a en effet été nommé le 17 novembre conseiller technique en charge de la presse au sein du cabinet du Premier ministre Sébastien Lecornu. Sur son profil LinkedIn, il apparait encore pourtant, à la veille de la publication de la SNANC, comme directeur de la communication de l'ANIA.
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