« Incompréhension », « brutal » : comment le Sénat a voté la suppression de l’Agence bio avec l’aval du gouvernement
Il n’aura pas fallu longtemps à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, pour renier ses promesses. Lors de la passation de pouvoir avec le précédent ministre, en septembre dernier, elle assurait pourtant avec conviction « témoigner un soutien indéfectible aux agriculteurs, à tous les agriculteurs quelles que soient leurs régions et la spécificité de leur activité ».
Quatre mois plus tard, ses actes la font mentir : les producteurs en agriculture biologique n’ont plus droit à son appui. C’est en tout cas ainsi que syndicats agricoles et associations interprètent l’accord de bienveillance que la ministre a donné à un amendement voté au Sénat vendredi 17 janvier. Celui-ci, défendu Laurent Duplomb (LR) dans le cadre de l’examen de la loi de finances, prévoit la suppression pure et dure de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, autrement appelée « l’Agence bio ».
Incompréhension
« Nous sommes dans l’incompréhension, c’est insultant pour le travail que l’agence fournit », estime Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique. À un mois de l’ouverture du Salon de l’agriculture, l’incertitude plane ainsi sur l’avenir de l’inédite campagne de promotion de l’alimentation biologique que prépare l’agence depuis de long mois.
L’organisation du bio auprès de l’ensemble des filières agricoles risque elle aussi d’être suspendue. « Qui va porter ces campagnes de promotion transversales de la bio sans agence ? Il est peu probable que la filière de la volaille, par exemple, s’investisse dans ce domaine alors que leur priorité est avant tout la consommation de volaille », s’interroge Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
Sur la forme, l’événement surprend l’ensemble des acteurs du secteur par sa brutalité. Le gouvernement a donné son blanc-seing à la suppression de l’agence sans aucune concertation et ne semble pas vouloir – pour l’instant – revenir sur cette disparition malgré l’opprobre général. La décision a par ailleurs été prise en totale contradiction avec le plan Ambition bio 2027, pourtant paraphé par le précédent ministre il y a neuf mois seulement.
Ce programme s’est donné pour objectif de parvenir à 17 % des surfaces agricoles cultivées en biologique d’ici à 2027, au moyen d’une aide apportée aux filières et d’une stimulation de la demande. Une aspiration qui sera mise à mal par la suppression de l’Agence bio, principal acteur de promotion de produits biologiques. « Vouloir rejeter le Mercosur et des normes inférieures aux nôtres et en même temps supprimer le bras armé de l’État et des professionnels au service de la meilleure de nos normes écologiques n’est pas cohérent », alertent les administrateurs de l’Agence bio dans un communiqué.
Des économies de bouts de chandelle
Les produits issus de l’agriculture bio traversent en effet ces dernières années une grave crise de consommation. Selon les chiffres de l’agence, les surfaces bio ont perdu 54 000 hectares en France en 2023, notamment du fait de la chute des ventes. Celles-ci ont dégringolé de 7,2 % au premier semestre de l’année 2022 selon la Coopération agricole, et stagnaient en 2023.
Le ministère de l’Agriculture semble toutefois guidé par d’autres impératifs, et fait de son côté valoir que cette suppression de l’agence s’inscrit dans la « trajectoire de réduction du nombre d’opérateurs de l’État ». Selon les principaux intéressés, la suppression de l’Agence bio, qui emploie 23 salariés, ne représenterait toutefois que 2,9 millions d’euros d’économie.
S’il y a ainsi une apparente contradiction entre les moyens alloués au développement de l’agriculture biologique et la disparition de l’opérateur public, la Confédération paysanne note toutefois que le gouvernement reste dans sa droite ligne de promotion d’une agriculture libérale et intensive.
« Il y a quelque temps qu’il n’y a plus de conseiller dédié au bio au ministère de l’Agriculture. Par ailleurs, les paysans et paysannes bio ne sont plus éligibles à l’aide au maintien en exploitation biologique, qui avait été acquise avant d’être supprimée », liste Sylvie Colas, dénonçant un « non-sens alors que l’agriculture va droit dans le mur ».
Après le vote du Sénat, l’ensemble du secteur bio appelle les parlementaires à censurer cet amendement lors de l’examen de la loi en commission mixte paritaire à la fin du mois. Faute de quoi il en appelle au « bon sens » de François Bayrou face à la menace que représente l’utilisation de produits phytosanitaires pour la santé et l’environnement. L’association Générations futures, estimant que la ministre de l’Agriculture a manqué à son devoir, va jusqu’à demander sa démission.
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