Droits de douane de Donald Trump : coup dur pour les pays émergents

Pourquoi des pingouins devraient-ils payer des droits de douane sur les exportations vers les États-Unis ? C’est la question que les autorités australiennes ont dû se poser en découvrant la longue liste des taxes douanières par pays dévoilée, mercredi 2 avril, par Donald Trump et sur laquelle figure une taxe de 10 % pour l’île Heard, un territoire australien où ne vit aucun être humain.

Une incompréhension probablement similaire pour les 18 membres de la station météorologique du territoire norvégien de l’île Jan Mayen, seules âmes qui vivent sur ce bout de terre situé à 950 km du pôle Nord, et qui n’exportent rien a priori vers les États-Unis. Ce territoire se voit pourtant imposer un droit de douane de 10 %.

Des énigmes tarifaires - Washington n’ayant pas commenté ces exemples - qui illustrent les limites de l’approche américaine pour ces tout nouveaux droits de douane. "L’une des explications possibles tient au mode de calcul retenu pour fixer ces taxes", extrapole Juan Carlos Palacios Civico, spécialiste du commerce international à l’université de Barcelone. Il suffirait en effet qu’il y ait, par exemple, dix dollars d’exportations vers les États-Unis, et que les météorologues n’achètent rien ou presque venant d’Amérique… pour qu’il y ait un déficit commercial américain relatif très important. Et les droits de douane pourraient être très élevés.

Un calcul des droits de douane qui défavorise les émergents

Ce mode de calcul a également desservi d'autres territoires beaucoup moins inhabités : les pays émergents et certaines nations qui traversent des périodes difficiles. La Birmanie, meurtrie par un important tremblement de terre fin mars, se voit ainsi infliger par l’administration Trump des droits de douanes de 44 %. C’est bien plus que les taxes sur les exportations en provenance de l’Union européenne (20 %) ou de la Corée du Sud (25 %), deux économies dites "avancées".

Le Bangladesh, Madagascar ou encore le Lesotho doivent aussi regarder avec envie le niveau de taxation relativement faible imposé à ces puissances économiques majeures. Ces pays économiquement beaucoup plus fragiles écopent de taxes respectives à 37 %, 47 % et même 50 %.

L’administration Trump a-t-elle voulu punir les pays les plus démunis ? "Ces droits de douane ne sont pas ciblés contre telle ou telle nation. Le principal déterminant est le déficit commercial des États-Unis par rapport aux pays en face. Donc un État comme Madagascar qui exporte beaucoup de vanille vers les États-Unis mais n’importe pas grand-chose d'Amérique a un important excédent commercial et se retrouve, d’après la formule présentée, avec un fort droit de douane", décrypte Pauline Wibaux, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) dans le programme scientifique "Analyse du commerce international".

C’est le lot de nombre de ces pays en développement dont les économies sont très spécialisées et qui dépendent de quelques filières d’exportation vers les États-Unis – le textile pour le Bangladesh, la vanille pour Madagascar et les diamants pour le Lesotho –, expliquent les experts interrogés par France 24. Aussi, ils appliquent souvent des droits de douane "historiquement justifiés par le fait que des économies émergentes ont, un temps, besoin de protéger leurs industries nationales" avant de les livrer à la jungle de la concurrence internationale, souligne Juan Carlos Palacios Civico. Mais aux yeux de Donald Trump, ce protectionnisme relève de l’injustice et fait obstacle à son "America First".

La foire d'empoigne du commerce international

 "C’est l’application mécanique d’un mode de calcul qui relève d’une approche économique du commerce complètement ridicule", s’emporte Lukasz Rachel, professeur d’économie à l’University College de Londres.

Cet expert compare ceux qui ont élaboré ces droits de douane aux platistes, ces complotistes qui croient que la terre est plate. Mais contrairement aux élucubrations de ces illuminés, l’application de ces droits de douane par la première puissance mondiale risque d’avoir des conséquences profondes pour les pays émergents ainsi sanctionnés.

D’abord "parce que ces pays ont peu d'options pour diversifier leurs exportations, étant fortement dépendants d'un ou deux secteurs spécifiques. Leur principale chance de s'en sortir repose sur le fait que les États-Unis ne soient pas leur principal marché", analyse Pauline Wibaux.

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El presidente de Estados Unidos, Donald Trump, firma un documento en la Oficina Oval de la Casa Blanca en Washington, EE. UU., el 4 de febrero de 2025.
El presidente de Estados Unidos, Donald Trump, firma un documento en la Oficina Oval de la Casa Blanca en Washington, EE. UU., el 4 de febrero de 2025. REUTERS - Elizabeth Frantz

Si Washington était leur premier client, "la grande question est de savoir si ces entreprises vont réussir à rediriger leurs exportations vers d’autres pays", précise la spécialiste du CEPII.

Même si l’importateur providentiel existe, le changement de client ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Il faudra renégocier des contrats, adapter la production aux nouveaux besoins, trouver les bons intermédiaires. De ce fait, "il y aura un coût pour ces économies dans l’année à venir, c’est sûr", tranche Pauline Wibaux.

Sans oublier que l'imposition de droits de douane par les États-Unis va, temporairement, transformer le commerce international en une véritable foire d'empoigne. Les pays émergents ne seront pas les seuls à chercher de nouveaux débouchés plus rentables pour les exportations jusqu’alors destinées aux États-Unis. "Le Japon, la Corée du Sud ou encore la Chine sont déjà en train de négocier, est-ce que tous ces pays plus petits vont réussir à se faire entendre rapidement ?", s’inquiète Lukasz Rachel.

En outre, les pays émergents "ont moins de protection sociale que les nations plus riches et le choc économique immédiat des droits de douane risque d’être plus douloureux pour des populations qui, dans ces pays, sont déjà parfois proches de la grande pauvreté", pointe Lukasz Rachel.

Faire le jeu de la Chine et pas de la production américaine

Pour autant, la décision de Donald Trump ne sera pas indolore pour l’Union européenne. En effet, dans le grand bingo des droits de douane du président américain, le grand perdant, a priori, s’appelle la Chine. Washington vient d’ajouter des taxes de 34 % sur des exportations chinoises déjà soumises à des droits de douane de 20 %. Pour un pays en surcapacité de production, l'urgence de trouver de nouveaux débouchés est encore plus pressante. "Le plus probable, c’est que ces exportations soient redirigées vers d’autres économies avancées comme en Europe, où les entreprises craignent cette concurrence accrue", note Pauline Wibaux.

Et tout ça pour quoi ? D’abord, d’un point de vue géopolitique, Donald Trump risque d’offrir à Pékin les pays émergents sur un plateau. "Si la Chine se positionne correctement, ces États, qui étaient pour la plupart économiquement loyaux envers les États-Unis, pourraient se tourner vers la puissance asiatique, ce qui permettrait à Pékin d’étendre son influence en se présentant comme un allié de confiance", estime Juan Carlos Palacios Civico.

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Donald Trump a aussi assuré que ces droits de douane devaient inciter les entreprises à produire aux États-Unis. Mais la plupart des produits exportés de "ces pays émergents ne peuvent tout simplement pas être fabriqués sur le sol américain", note Juan Carlos Palacios Civico. Il s’agit souvent de matières premières qui n’existent pas aux États-Unis, comme les bananes ou la vanille.

Quant à certains produits manufacturiers, tels que le textile du Bangladesh, il est difficile d’imaginer une filière renaître aux États-Unis, car "l’avantage de ces pays était qu’ils avaient des coûts de main-d’œuvre peu élevés", souligne Lukasz Rachel. Même si Washington réussissait à rapatrier une partie de cette production, où trouver des travailleurs ? "Le pays connaît déjà presque le plein emploi, et l’éventuelle réserve de main-d’œuvre bon marché se trouve parmi les immigrés que l’administration Trump se donne tant de mal à essayer d’expulser", conclut Juan Carlos Palacios Civico.