« Une offensive bruyante qui masque un vide intellectuel » : derrière les polémiques, les fractures profondes entre la France et l’Algérie
Jean-Noël Barrot a-t-il sifflé la fin de la récréation ? En prenant la parole à l’Assemblée le 15 janvier, le ministre des Affaires étrangères a affirmé qu’il était « prêt à (se) rendre à Alger pour traiter de toutes les questions ». Et d’assurer qu’entre les deux pays, il s’agissait d’une « relation d’intimité profonde ».
De quoi apaiser les tensions, après une semaine marquée par l’escalade verbale ? Rien n’est moins sûr, d’autant que doit se tenir dans les prochains jours, à l’Élysée, une réunion sur cette nouvelle crise dans les relations entre la France et l’Algérie avec tous les ministres concernés.
« C’est une crise que le président de la république a générée »
Car Jean-Noël Barrot n’a rien lâché sur le sujet principal qui a ouvert cette séquence tendue : la reconnaissance unilatérale, par Emmanuel Macron, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. « La France est un pays souverain qui choisit les termes de ses alliances avec d’autres pays », a cinglé le ministre.
Pourtant, c’est bien au mépris du droit international et des résolutions de l’ONU que le chef de l’État a pris une telle décision. « C’est une crise que le président de la République a générée », estime Jean-Paul Lecoq, député PCF et secrétaire de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée.
L’élu rappelle que « l’Algérie, depuis des décennies, appuie la décolonisation, soutient et protège les réfugiés sahraouis ». La rupture de l’équilibre diplomatique a un « impact international, et pas qu’en Algérie », pointe le député. « À demi-mot, le gouvernement nous dit : « On a choisi le Maroc » », déplore-t-il.
Un langage très peu diplomatique
Ce profond désaccord de fond a ouvert la porte à une surenchère politique et médiatique dans les deux pays. Avec, en point d’orgue, les déclarations incendiaires des ministres français faisant suite à l’expulsion hâtive – alors qu’il devait être jugé en février – du fameux influenceur Doualemn et à son renvoi par les autorités algériennes.
« Expulser sans laissez-passer consulaire, c’est du jamais-vu, la France ne fait ça avec aucun autre pays. Il doit être jugé, expulsé éventuellement, mais sur une décision de justice », analyse Jean-Paul Lecoq. C’est ce qu’écrit le ministère des Affaires étrangères algérien, qui décrit une expulsion « arbitraire ».
Et rappelle que l’Algérie « n’est d’aucune façon engagée dans une logique d’escalade ou d’humiliation », pointant d’abord une « extrême droite (française – NDLR) revancharde et haineuse ».
Car, à Paris, les mots employés sont fort peu diplomatiques. « Agression », « riposte », « humiliation », suppression des visas, mesures de rétorsion diplomatiques et économiques : Bruno Retailleau et Gérald Darmanin ont rivalisé de coups de menton pour accuser l’Algérie.
La discorde autour de Boualem Sansal
Sans oublier une tribune belliqueuse de Gabriel Attal dans le Figaro. « La droite est toujours dans l’esprit colonial », déplore Jean-Paul Lecoq. « Une offensive bruyante qui masque un vide intellectuel », estime Karim Ben Cheïck, député (groupe écologiste) de la 9e circonscription des Français de l’étranger, qui couvre notamment le Maghreb. Pour lui, cet épisode marque « l’affaiblissement du Quai d’Orsay », à rebours d’une « diplomatie cohérente ».
Autre pomme de discorde : l’arrestation et la détention de l’écrivain Boualem Sansal par les autorités algériennes, qu’Emmanuel Macron a qualifié de « déshonneur » pour l’Algérie. Sur ce point, quels que soient les écrits et les positions souvent contestables de Boualem Sansal, les positions sont claires. « C’est un sujet important », pointe gravement Jean-Paul Lecoq : « Je demande sa libération, y compris auprès des diplomates algériens que je rencontre. L’Algérie n’a rien à y gagner, ça n’a rien à voir avec ce qu’il écrit. »
Le pouvoir algérien, lui, ne manque pas de saisir ces occasions pour faire oublier son incurie et sa fuite en avant autoritaire, bientôt six ans après le début du hirak. Mais ce qui se joue dans cette nouvelle crise franco-algérienne est bien le lien profond entre les deux pays. Pendant ce temps, loin des polémiques, le patron de la DGSE, Nicolas Lerner, se rendait discrètement à Alger le 13 janvier pour une réunion de travail sur la coopération sécuritaire. Au plus près des véritables enjeux partagés par les deux pays.
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