Pourquoi les États-Unis pourraient rompre avec les élections démocratiques en 2026
Romuald Sciora
Essayiste franco-américain et directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’Iris
Il faut désormais regarder en face une réalité que beaucoup s’obstinent à refuser d’envisager – par peur, par confort ou faute de lucidité sur le fait que les règles du jeu ont changé : les élections de mi-mandat prévues en 2026 aux États-Unis pourraient ne plus répondre pleinement aux standards démocratiques. Elles auront sans doute lieu, mais dans quelles conditions, et avec quelles garanties ? Ces questions n’ont plus rien d’hypothétique.
Depuis le 20 janvier, Donald Trump gouverne sans frein. Le cadre institutionnel américain, déjà affaibli, est contourné à une vitesse inédite. En quelques semaines, les attaques se sont multipliées : réduction du rôle du Congrès, mise au pas du pouvoir judiciaire, pressions sur les universités, contrôle du contenu académique, attaques contre les médias, intimidation des artistes, des scientifiques, des ONG – sans oublier les offensives répétées contre les minorités raciales, sexuelles, religieuses.
Le « projet 2025 », boussole idéologique de cette présidence, n’est pas qu’un programme de gouvernement. Il vise à refonder le système, à affaiblir les contre-pouvoirs, à soumettre l’appareil d’État, certes, à un homme, mais surtout à un projet collectif, incarné au-delà de Trump par une ultradroite structurée, avec des figures comme le vice-président J. D. Vance ou Susie Wiles, secrétaire générale de la Maison-Blanche. Et à une logique : tenter de conserver le pouvoir le plus longtemps possible.
J’avais dit à plusieurs reprises que d’ici deux ans, les États-Unis ressembleraient plus à la Hongrie de Viktor Orban qu’à l’Amérique d’Obama ou de Kennedy. Je me suis trompé : il aura suffi de moins de cent jours.
Dans cette logique, pour ceux qui pilotent cette entreprise de reconfiguration autoritaire, les élections deviennent un risque. Un accident à prévenir.
Le 25 mars, un décret a restreint le vote par correspondance, sous prétexte de lutte contre la fraude. Un autre exige une preuve de citoyenneté afin de voter – ce qui n’a rien d’évident dans un pays sans carte d’identité nationale, où les pièces délivrées par les États ne précisent pas toujours la nationalité. Ces textes n’ont rien d’anodin. Ils annoncent d’autres projets : une restructuration de la carte électorale visant à réduire le poids de certaines catégories de population dans les urnes et à tenter de verrouiller le résultat avant même le vote.
Ceux qui dénoncent ces dérives sont qualifiés d’anti-américains. Les ONG chargées de surveiller les scrutins sont discréditées. Et les responsables locaux, notamment dans les États démocrates, subissent des pressions croissantes.
Dans ce climat, l’opposition semble tétanisée. Les démocrates, quand ils ne se taisent pas, peinent à formuler une stratégie, désarmés face à une offensive méthodique. Même Barack Obama, qui aurait pu être la voix forte d’une opposition morale à Trump, reste en retrait. Malgré une brève prise de parole début avril pour critiquer l’administration, il semble plus absorbé par les émissions d’Oprah Winfrey et les choix de son club de lecture que par le sort des institutions. Quant aux manifestations du début du mois d’avril, certes elles sont à saluer – et je m’en réjouis.
Mais soyons lucides : elles ont rassemblé environ 500 000 personnes, ce qui, à l’échelle américaine, reste modeste. Surtout comparé à la Women’s March de 2017 (plus de 3 millions) ou à Black Lives Matter en 2020, qui avait mobilisé plus de 16 millions de personnes. Les institutions, elles, ne jouent plus leur rôle de rempart. Le Congrès, tenu par une majorité acquise au président, accompagne la transformation. Et la Cour suprême, plus ultraconservatrice que jamais, valide l’essentiel des mesures controversées.
Dans une démocratie en train de basculer vers l’illibéralisme, où les émeutiers du 6 janvier 2021 sont désormais célébrés comme des patriotes et où envisager une future défaite républicaine relève du crime de lèse-nation, il n’est pas surprenant que, dans les couloirs de Washington, certains affirment que les élections à venir pourraient bien être « à la russe ».
Dernier ouvrage paru : l’Amérique éclatée, éditions Armand-Colin, 2025.
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