L’Éducation nationale annule la commande de « La Belle et la Bête » de Jul en catastrophe, l’auteur dénonce une « censure »

L’annulation a eu lieu « la veille du lancement de l’impression ». Le livre en question, une nouvelle mouture du conte de La Belle et la Bête en bande dessinée, devait atteindre les 900 000 exemplaires. Surtout, l’album était destiné aux élèves de CM2 de la France entière, afin que ces derniers aient accès gratuitement à un livre à partir de juin 2025, juste avant les vacances d’été. Les délais nécessaires risquent de ne pas leur permettre de recevoir un autre livre à temps.

C’est l’auteur de cette nouvelle version, l’illustrateur et scénariste Jul – derrière Silex and the city, Lucky Luke, et des dessins de presse pour l’Humanité – qui a annoncé la nouvelle. Ce dernier a publié un communiqué, dans la soirée du mercredi 19 mars, afin de donner sa version du contentieux.

« Quelques coups de vin »

L’auteur y déplore une « décision politique » ayant amené à une « censure » de son travail. Julien Berjeaux, de son vrai nom, avait été choisi pour l’opération annuelle « Un livre pour les vacances », grâce à laquelle 800 000 élèves de CM2 obtiennent un classique de la littérature française revisité.

Jul s’est penché, à cette occasion, sur la version de La Belle et la Bête imaginée par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1756. Un texte où le père de Belle boit « quelques coups de vin ». Jul a ainsi pris le parti de le représenter ivre, bouteille à la main, en train de chanter Les Lacs du Connemara.

Toujours dans l’optique de moderniser le récit, et en écho à la recette ayant fait le succès de Silex and the city, le dessinateur y incorpore des téléphones portables et les réseaux sociaux. Cette version n’a pas semblé plaire au ministère de l’Éducation nationale, qui a annoncé à l’auteur vouloir faire marche arrière lundi 17 mars. Jul a ainsi reçu une lettre datée et signée par la directrice générale de l’enseignement scolaire, Caroline Pascal.

« L’ouvrage finalisé », selon elle, ne permet « pas une lecture en autonomie, à domicile, en famille et sans l’accompagnement des professeurs pour des élèves âgés de 10 à 11 ans ». De plus, il « pourrait susciter nombre de questions chez les élèves qui ne trouveraient pas nécessairement de réponse adaptée ». Caroline Pascal estime que « les deux illustrations de l’ouvrage abordent des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés, en fin de collège ou en début de lycée, telles que l’alcool, les réseaux sociaux, ou encore des réalités sociales complexes », ajoute-t-elle.

Des « prétextes fallacieux et pour partie mensongers »

La lettre de Caroline Pascal annonce, enfin, que le ministère avait émis des « réserves » devant de premières illustrations qui lui avaient été soumises par Jul, en décembre dernier. Or, le dessinateur rétorque, dans un commentaire de cette lettre transmis à l’Agence France-Presse, que « les éléments qui ont soulevé des critiques ont été pris en compte ».

Selon Jul, le problème est ailleurs : « Les prétextes fallacieux et pour partie mensongers invoqués pour justifier la censure ne tiennent pas la route une seconde devant l’examen du livre en question, espiègle, tendre et féerique. » L’auteur ayant hérité de la série Lucky Luke pense que « la seule explication semble à chercher dans le dégoût de voir représenté un monde de princes et de princesses qui ressemble un peu plus à celui des écoliers d’aujourd’hui ».

La dimension politique de cette décision prise en catastrophe ne fait ainsi aucun doute pour le bédéiste. « Le « grand remplacement » des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait-il la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ? », s’interroge-t-il dans son communiqué.

Le budget de l’opération « Un livre pour les vacances », lancée en 2018 avec les Fables de La Fontaine et reconduite chaque année depuis par le ministère de l’Éducation nationale, n’est pas connu. Les albums de bande dessinée devaient être édités par la filiale édition de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais. En réaction à la décision du ministère, la directrice de la maison d’édition, Sophie Laporte, a annoncé au journal le Monde que « ce livre signé Jul et Jeanne-Marie Leprince de Beaumont est un très bon livre. Nous allons donc l’éditer de notre côté ».

La temporalité de cette affaire laisse donc l’auteur perplexe et illustre surtout une situation paradoxale. De fait, le livre n’était pas inconnu au cabinet de l’actuelle ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne… qui en avait rédigé la préface. « Vous découvrirez dans cette version, dessinée pour vous, la touche malicieuse et le regard affûté de Jul, qui insufflent à ce conte une modernité nouvelle », a ainsi écrit l’ex-première ministre. La Belle et la Bête version Jul aura finalement été trop malicieuse.

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