Guerre en Ukraine : "La Russie nous reconnaît comme étant un adversaire avec lequel il est difficile de traiter", affirme le lieutenant-colonel Vincent Arbarétier, historien militaire

Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est en visite en Ukraine. Dans un contexte tendu depuis que Donald Trump a annoncé, lundi 14 juillet, un réarmement massif de Kiev après des échanges infructueux avec Vladimir Poutine. Invité de Leïla Salhi sur franceinfo, le lieutenant-colonel Vincent Arbarétier décrypte le symbole du déplacement de la France en Ukraine et la stratégie du président américain, dont il se dit "déçu".

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Leïla Salhi : Quel est le message envoyé par la France avec la visite de Jean-Noël Barrot ?

Vincent Arbarétier : Le message est très simple. C'est le soutien inconditionnel à l'Ukraine jusqu'à ce que le cessez-le-feu soit signé avec les Russes. D'ailleurs, c'est ce qui fait de la France un adversaire de la Russie. La Russie nous reconnaît elle-même comme étant un pays difficile, avec lequel il est difficile de traiter.

Vladimir Poutine ne nous écoute donc pas du tout ?

Il estime qu'il n'a pas obtenu, sur le terrain, ses objectifs. Il est dans une logique de guerre. Et évidemment, pour l'instant, il n'a qu'une partie des objectifs qu'il s'était fixés. Ce qui est très curieux, c'est que le jour où Donald Trump lui a donné les 50 jours avant les sanctions américaines à l'égard de la Russie, ce jour même, Guérassimov, le chef de la majorité des armées russes, était sur le terrain. Il disait à ses généraux : "Là, maintenant c'est le moment, il faut y aller." L'air de dire : "Cette occasion ne se représentera pas." Donc on sait que les Russes ont entamé, début du mois de juillet, une campagne d'été, avec des moyens considérables au plan humain et aussi au plan matériel. On sait qu'ils ont fait évoluer leur doctrine. Ainsi, actuellement, ils sont en train d'essayer d'encercler Pokrovsk. Cela pose des soucis aux Ukrainiens, parce que le problème des Ukrainiens, c'est qu'ils veulent garder Pokrovsk tout en étant ravitaillés. Ils ne vont pas laisser une garnison complètement perdue. Donc actuellement, on est dans une situation militaire critique pour l'Ukraine. Les missiles anti-aériens Patriots qui ont été promis par les États-Unis avec l'argent des Européens ne sont pas tous encore arrivés. Les Allemands s'investissent beaucoup en Ukraine. Il y a un groupe de planification militaire permanent, germano-ukrainien, dirigé par un général, qui est d'ailleurs le futur chef d'état-major de la Bundeswehr. Les Allemands essaient d'aider avec leurs moyens militaires les Ukrainiens en fonction des lacunes, des manques, des brèches qui sont constatées. Donc actuellement, la France a un rôle important. Non seulement dans la dissuasion nucléaire en cas d'une attaque d'un pays de l'OTAN par les Russes, mais aussi dans l'assurance d'avoir des moyens non négligeables comme les Mirage 2000, les canons Caesar et d'autres systèmes encore qui sont envoyés par les Français. Sans parler de l'instruction qui est actuellement faite par les officiers français aux officiers ukrainiens.

La question, bien sûr, des armes est cruciale. À quoi joue Donald Trump avec ses 50 jours ? Veut-il finalement que les Russes gagnent ?

Alors c'est très curieux, parce que je ne sais pas s'il veut que les Russes gagnent, mais je pense qu'il ne veut pas leur faire perdre la face.

Il y a eu un changement de ton, quand même.

Oui, avec les Iraniens, il exigeait une capitulation sans condition qui n'a finalement pas eu lieu. Il a envoyé l'armée américaine bombarder les centrales de recherche nucléaire et l'uranium. Avec les Russes, il est beaucoup plus prudent. Ce qui est antinomique avec sa volonté d'être la superpuissance mondiale. D'ailleurs, c'est pour ça que je citais cet exemple du général Guérassimov. Lui, il est pragmatique. "Voilà, j'ai 50 jours pour essayer d'avancer mes troupes sur le terrain. Et je n'en aurai pas 51." Poutine a dû certainement lui dire avant : "Maintenant, c'est à vous de jouer." Et oui, je suis, comme vous, assez surpris. Surpris, ce n'est peut-être pas le bon mot, mais un peu déçu aussi de cette avenue laissée aux Russes, jusqu'à la fin de l'été.

Un mot aussi de l'Union européenne, puisqu'il y a eu un nouveau volet de sanctions. Est-ce que ça fonctionne, ou là encore, on est dans quelque chose de plutôt symbolique ?

Ça fonctionne nécessairement, même si j'ai entendu, çà et là, des experts dire que faire baisser le prix du pétrole, c'était contre-productif par rapport aux Américains et aux Russes. Parce qu'évidemment, les Européens ne produisent pratiquement pas de pétrole, à part les Norvégiens qui ne sont pas dans l'Union européenne, et les Britanniques. Ils vont embêter les Russes mais aussi les Américains. Et donc ça ne va pas tomber uniquement sur les Russes. Maintenant, on dispose des armes qu'on a. Le problème de l'arme économique, on l'a bien vu pour la Première Guerre mondiale, c'est que c'est très lent. C'est très lent, mais c'est impardonnable. C'est-à-dire qu'en fait, les Russes, tôt ou tard, vont être obligés de négocier parce que la situation interne va être insupportable. Actuellement, on sait qu'il y a une grosse inflation d'ailleurs.

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