Proche-Orient : que changerait la reconnaissance d'un Etat palestinien par la France ?
Paris en passe d'être aligné sur Madrid, Dublin, ou encore Oslo ? Emmanuel Macron a annoncé, mercredi 9 avril, que la France pourrait bientôt reconnaître un Etat palestinien. "Notre objectif, c'est, quelque part en juin, avec l'Arabie saoudite, de présider [la conférence internationale] où on pourrait finaliser le mouvement de reconnaissance réciproque par plusieurs" pays de la Palestine et d'Israël, a déclaré le président dans une interview accordée à "C à vous".
Cette annonce divise, sans surprise, la classe politique. A gauche, le patron des socialistes, Olivier Faure, a salué cette initiative et la cheffe des députés insoumis, Mathilde Panot, a insisté pour que "ce geste, arraché de haute lutte" se traduise "en acte". Au contraire, le vice-président du Rassemblement national, Sébastien Chenu, estime que toute reconnaissance serait "prématurée" – une position partagée par le président du Sénat, Gérard Larcher (Les Républicains). Mais concrètement, qu'est-ce que cela pourrait changer ?
Un impact juridique limité
Du point de vue du droit international, la Palestine est considérée comme un Etat, car elle coche toutes les cases : "Un territoire, un peuple, un sentiment national, des institutions formant un gouvernement [l'Autorité palestinienne], et la volonté d'être reconnue", liste Bichara Khader, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe contemporain à l'université de Louvain (Belgique), auprès de L'Echo. Proclamé en novembre 1988 par l'Organisation de libération de la Palestine, l'aspect étatique de ce territoire – qui comprend la Cisjordanie et la bande de Gaza – n'a pourtant été reconnu que progressivement par une partie de la communauté internationale. Au total, 147 nations membres de l'ONU définissent aujourd'hui la Palestine comme un Etat, d'après le ministère des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne.
Pour exister, l'Etat de Palestine n'a néanmoins pas besoin d'être reconnu par le reste du monde, comme l'explique Romain Le Bœuf, professeur de droit international à l'Université d'Aix-Marseille, à Télérama : "La reconnaissance ou la non-reconnaissance d'un Etat est sans effet sur ses droits et ses obligations internationales." Une étape inutile, donc ? Pas tout à fait, car "en pratique, tant qu'un Etat n'est pas reconnu, il est peu probable que ses droits soient respectés", ajoute ce spécialiste. "Plus on attend, plus Israël poursuit sa colonisation et son annexion rampante", estime ainsi Bichar Khader, en référence à la flopée de colonies israéliennes installées en Cisjordanie.
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D'un point de vue purement juridique, "ça ne devrait pas changer grand-chose, car la Palestine est déjà reconnue comme un membre observateur par l'ONU et fait partie d'organisations internationales", pointe Frédérique Schillo, historienne et co-autrice de Sous tes pierres, Jérusalem. Elle est par exemple membre de la Cour pénale internationale depuis 2015, et de l'Unesco depuis 2011.
Certes, la Palestine pourrait espérer devenir membre à part entière des Nations unies, ce qui lui permettrait de voter les projets de résolution. Il faut pour cela que le Conseil de sécurité de l'ONU fasse une proposition dans ce sens, puis que l'Assemblée générale vote pour. "Ce serait difficile pour la France de s'y opposer après avoir reconnu la Palestine comme un Etat", avance l'historienne. Mais la proposition risquerait de se heurter au veto américain, comme ce fut déjà le cas en avril 2024.
"Le peuple palestinien peut y voir une forme de soutien"
Reconnaître la Palestine en tant qu'Etat serait donc surtout "un geste hautement symbolique", soutient Frédérique Schillo. Et ce, d'autant plus venant de la France, juge l'historienne : "La reconnaissance par l'Espagne [en mai 2024] n'avait pas vraiment de conséquences. Si ça venait de la France, ça pourrait entraîner une dynamique diplomatique avec d'autres Etats", notamment occidentaux, estime-t-elle.
"Cela donnerait de la légitimité aux Palestiniens dans le jeu des négociations avec Israël."
Frédérique Schillo, historienneà franceinfo
D'après Sylvaine Bulle, sociologue à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, ce geste est aussi "important pour le peuple palestinien, qui peut y voir une forme de soutien". Pour Emmanuel Macron, l'envisager est également un moyen de "pacifier les militants propalestiniens en Europe en essayant de donner une perspective autre que la destruction de la bande de Gaza", avance la sociologue.
Ramener la solution à deux Etats sur la table
En mai 2024, le ministère des Affaires étrangères avait d'ailleurs affirmé que cet objectif de reconnaissance ne relevait "pas seulement d'une question symbolique ou d'un enjeu de positionnement politique, mais d'un outil diplomatique au service de la solution à deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité". C'était le compromis sur lequel s'étaient mis d'accord Israéliens et Palestiniens lors de la signature des accords d'Oslo, en 1993, qui ont finalement échoué.
Face à la guerre que se livrent Israël et le Hamas depuis l'attaque du 7 octobre 2023, reconnaître la Palestine "est aussi le seul moyen de redonner espoir au processus de paix", affirme Johann Soufi, avocat et ancien chef du bureau juridique de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens à Gaza, à France 24. "Lorsque l'on parle d'une solution à deux Etats comme seule alternative crédible à la guerre, il faut qu'il y ait deux Etats."
"Si nous ne reconnaissons pas l'un des deux Etats, il ne peut y avoir de solution à deux Etats."
Johann Soufi, avocatà France 24
D'autant qu'Emmanuel Macron ne se lance pas dans cette initiative "tout seul ou au nom de l'Europe", pointe Frédérique Schillo, alors que la France coprésidera cette conférence internationale avec l'Arabie saoudite, alliée des Etats-Unis. "Si Ryad et les pays du Golfe font pression pour déclencher le processus de paix, ce sera un revers pour le plan de Donald Trump pour la bande de Gaza, poursuit l'historienne. Le président américain réfléchirait à deux fois à la suite des événements, car il a tout intérêt à entraîner les Saoudiens dans la médiation à Gaza." Reste que le président français a bien insisté sur le principe de "réciprocité" : rien ne dit qu'il franchira le pas de la reconnaissance de la Palestine si les pays arabes, comme la Jordanie, l'Egypte, ou encore – plus compliqué – l'Iran, n'acceptent pas de faire la même démarche pour Israël.