Présidentielle en Roumanie : Nicusor Dan, un mathématicien pro-européen qui devra résoudre l'équation d'un pays divisé
De nombreux dirigeants n'ont pas caché leur soulagement à l'annonce de la victoire de Nicusor Dan à la présidentielle roumaine. Le maire de la capitale Bucarest a finalement déjoué les pronostics, dimanche 18 mai, pour s'imposer face à son rival, l'eurosceptique George Simion. Malgré un retard de 20 points au premier tour, il a finalement bénéficié d'un regain de mobilisation pour s'imposer avec 53,6% des suffrages, soit une avance de 829 589 voix sur son adversaire. Cet homme politique relativement discret, qui s'est fait connaître en luttant contre la corruption à Bucarest, va donc prendre les rênes de ce pays de l'Union européenne (UE), peuplé de 19 millions d'habitants.
Son élection vient clore une grave crise politique marquée, fin novembre, par l'annulation du précédent scrutin sur fond d'ingérence russe. Le candidat du parti de l'Alliance pour l'unité des Roumains (AUR), Calin Georgescu, était arrivé en tête du premier tour à la surprise générale. Nicusor Dan s'est alors lancé dans la course avec son thème favori, une "Roumanie honnête", alors qu'une partie de l'opinion exprime un rejet de la classe politique aux manettes depuis la fin du communisme en 1989. Son infaillible soutien à l'Ukraine voisine, tout comme son engagement européen, l'opposait frontalement à l'isolationniste George Simion.
"C'est la victoire de milliers et de milliers de gens qui ont cru que la Roumanie pouvait changer dans la bonne direction", a lancé dimanche soir Nicusor Dan devant ses partisans, au milieu de chants louant l'Europe et moquant la Russie. Mais le candidat l'a emporté dans un pays divisé. Plébiscité par un électorat urbain, le nouveau président a été boudé par de nombreux électeurs des zones rurales.
Un mathématicien de talent, doublé d'un militant
Le candidat était arrivé tôt, dimanche matin, pour voter dans l'école numéro 14 de Fagaras, ville de Transylvanie où il est né le 20 décembre 1969. Prodige des mathématiques, il est parvenu à remporter les Olympiades internationales de la discipline à deux reprises, en 1987 et 1988. Puis il part étudier en France dans les années 1990, d'abord à Normale Sup puis à la Sorbonne, où il rédige une thèse et décroche un doctorat, rapporte la presse roumaine.
De retour dans son pays, il travaille comme chercheur à l'institut de mathématiques de l'Académie roumaine, et publie de nombreux articles scientifiques. Il fonde l'Ecole normale de Bucarest, inspiré du modèle français. A la fin de la décennie, le président Emil Constantinescu lui propose de devenir secrétaire d'Etat à la Diaspora, selon la presse roumaine, mais Nicusor Dan refuse le poste.
En parallèle, le mathématicien milite contre le développement urbain illégal et pour la préservation des bâtiments historiques. A la tête de son association "Sauvez Bucarest", il gagne des dizaines de procès et se fait connaître du grand public par ses combats pour dénoncer la pression immobilière et la corruption. Le militant fonde un parti réformateur, devenu Union sauvez la Roumanie (USR) en 2016. Mais il le quitte six mois plus tard, avant un référendum sur les valeurs familiales. Il refuse en effet que la formation politique – qui regroupe des conservateurs et des progressistes – prenne position sur cette question, malgré un vote interne en ce sens, selon la presse roumaine.
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Après deux tentatives infructueuses, Nicusor Dan accède en 2020 à la mairie de Bucarest – en tant qu'indépendant, mais avec le soutien de l'USR et du Parti national libéral – avant d'être facilement réélu quatre ans plus tard. Il se vante d'avoir modernisé le système de chauffage et les installations sportives, tout en sauvant la ville de la faillite. Ses détracteurs lui reprochent son manque d'aplomb, et des vidéos TikTok raillent ses propos hésitants. "Il est davantage dans un registre de gestionnaire, mais c'est vraiment un type honnête" qui maintiendra la Roumanie sur "le droit chemin", estime le politologue Sorin Cucerai, cité par l'AFP.
Vers une coalition gouvernementale pro-européenne
Nicusor Dan a déjà évoqué la possibilité de réformer les services de renseignement, qu'il accuse d'avoir failli dans la gestion du scrutin présidentiel annulé de 2024. "Je crois que le principal problème de la Roumanie est que l'Etat ne fonctionne pas, les institutions ne fonctionnent pas, et j'ai beaucoup d'expérience administrative", a-t-il également déclaré lors d'un entretien télévisé. Chrétien orthodoxe, il critique néanmoins toute association politique excessive avec l'Eglise, selon la presse roumaine. Tout en se décrivant lui-même comme un réformateur, il préfère botter en touche sur les questions des droits des personnes LGBT et sur les unions civiles, jugeant que c'est à la société de trancher.
Père de deux enfants, Nicusor Dan partage sa vie avec Mirabela Gradinaru, rencontré quand il était encore étudiant, mais le couple ne s'est pas marié. La famille vit dans un appartement à Bucarest, loué pour 580 euros, affirmait le maire en 2024, en rendant public son salaire de 20 000 lei (3 960 euros). Lundi matin, le nouveau chef d'Etat a été pris en photo alors qu'il accompagnait sa fille à l'école, quelques heures après son élection. "Je veux que mes enfants ne voient pas la différence [dans le fait] que leur père occupe une fonction publique", déclarait-il dans un récent entretien à la chaîne ProTV.
Tout heureux à l'annonce de sa difficile qualification au premier tour (21% des voix), ce candidat indépendant s'est montré combatif dans l'entre-deux-tours et a occupé l'espace médiatique tandis que son adversaire laissait souvent sa chaise vide. Peut-être pour atténuer l'image d'intellectuel réservé qui lui colle à la peau, et un certain manque d'éloquence. Il a désormais pour défi de former un gouvernement, qui devrait être confié à une coalition des partis pro-européens : l'USR – qui avait lâché sa propre candidate, Elena Lasconi – le Parti national libéral, le Parti social-démocrate et l'Union démocrate magyare de Roumanie.
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Nicusor Dan "devra œuvrer à la réconciliation dans une société profondément polarisée, en colère, où le compromis et le dialogue semblent suspendus", estime auprès de l'AFP Sorina Soare, politologue à l'université de Florence (Italie), pointant "la vulnérabilité" du pays et "les risques de déstabilisation".
Lors d'un débat télévisé, Nicusor Dan avait rédigé une promesse manuscrite, qui ne devait être ouverte qu'en cas de victoire. Le petit bout de papier a vite été rendu public après avoir été sorti du coffre-fort. "Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour regagner la confiance des Roumains dans les institutions de l'Etat, écrit le cinquième président du pays. Et pour restaurer l'espoir des Roumains que la Roumanie deviendra le pays dans lequel nous et nos enfants voulons vivre."