Nourriture, médicaments, carburant... Quelles sont les conséquences après deux mois de blocus total d'Israël dans la bande de Gaza ?

"Nous intensifions notre attaque contre le Hamas à Gaza. Nous sommes en voie de le vaincre." David Mencer, porte-parole au sein du gouvernement israélien, a défendu avec ces mots la nouvelle étape de l'offensive de l'Etat hébreu contre le mouvement islamiste palestinien, lundi 5 mai. Ce plan de "conquête" comprendra le fait "d'étendre [l'offensive] et le contrôle des territoires, mais pas d'occuper""un déplacement de la population gazaouie vers le Sud pour sa propre protection", ainsi que "des frappes puissantes contre le Hamas"

En parallèle, le gouvernement israélien entend mettre en place un nouveau modèle de distribution d'aide dans la bande de Gaza, d'après l'ONU. Il s'agira d'"acheminer l'aide humanitaire par l'intermédiaire de centres contrôlés par l'armée", et non par des acteurs humanitaires tels que des ONG ou des agences onusiennes. Un tel système laissera "de grandes parties de Gaza" sans aide, alertent les Nations unies, qui ne cessent de pointer "la catastrophe humanitaire croissante" dans l'enclave palestinienne, après deux mois de blocus total. Depuis le 2 mars, plus aucun bien ni aide humanitaire n'entre dans le territoire de 2,1 millions d'habitants. 

Des stocks réduits à peau de chagrin  

Le Programme alimentaire mondial (PAM) le rappelle : plus de 116 000 tonnes de nourriture sont disponibles aux portes de la bande de Gaza, prêtes à entrer dès qu'Israël l'autorisera. D'après le PAM, une telle quantité suffirait à nourrir environ un million de personnes, soit la moitié des Gazaouis, et ce pour les quatre prochains mois. Une aide vitale, à l'heure où les stocks de nourriture s'épuisent du fait du blocus.

"Je passe ma vie à courir de Tikiya en Tikiya [des distributions alimentaires] pour trouver à manger pour mes enfants, témoigne auprès de France Inter Oum Mohamed. Pour cette mère gazaouie, ces cuisines sont désormais "le seul moyen" de nourrir ses proches. "Nous voyons de très longues files d'attente de personnes attendant d'avoir une petite portion de riz ou de lentilles servie par des cuisines communautaires, et dans des conditions inhumaines", confirme auprès de franceinfo Hisham Mhanna, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans la bande de Gaza.

Combien de temps ces distributions tiendront-elles, sans arrivée de nourriture ? Depuis Rafah, Hisham Mhanna précise que le CICR soutient actuellement six cuisines, offrant des plats chauds à 4 500 familles gazaouies. "Sans réapprovisionnement, nous devrons bientôt cesser de fournir ces repas chauds", alerte-t-il. 

"La fermeture totale de ces cuisines approche. Nos stocks sont devenus critiques. Nous pouvons encore tenir une à deux semaines, maximum."

Hisham Mhanna, porte-parole du CICR dans la bande de Gaza

à franceinfo

Fin avril, le Programme alimentaire mondial a livré ses derniers stocks de nourriture aux cuisines qu'elle soutient dans l'enclave palestinienne. Celles-ci servent la moitié de la population, mais elles ne peuvent subvenir qu'à un quart de leurs besoins quotidiens en alimentation. Désormais, "les cuisines ont du mal à rester ouvertes", dépeint auprès de franceinfo Olga Cherevko, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) dans la ville de Gaza. "Elles doivent réduire les quantités, et ce de plus en plus. Nous voyons plus souvent des soupes, alors que les repas étaient plus diversifiés avant." Les 25 boulangeries soutenues par le PAM ont quant à elles fermé le 31 mars, privées de farine de blé.

"Le risque de famine est imminent"

"Je n'ai qu'à regarder par la fenêtre pour voir à quel point la situation est désespérée", poursuit Olga Cherevko. Elle décrit des pillages en hausse et des violences observées récemment, quand un camion de distribution est arrivé à cours d'eau. Au-delà des cuisines collectives, les produits alimentaires disparaissent des marchés ou se vendent à des prix record, totalement inaccessibles. Le coût d'un kilo de pommes de terre a augmenté de 1900% entre le début de la guerre, il y a plus d'un an et demi, et le début du mois d'avril. Un kilo de tomates est désormais 400% plus cher qu'en septembre 2023, d'après une récente évaluation du PAM

Un bébé de 4 mois est soigné pour malnutrition sévère à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 5 mai 2025. (DOAA ALBAZ / ANADOLU / AFP)
Un bébé de 4 mois est soigné pour malnutrition sévère à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 5 mai 2025. (DOAA ALBAZ / ANADOLU / AFP)

La malnutrition gagne du terrain dans une telle pénurie généralisée. Les centres de santé primaire de Médecins du monde reçoivent aujourd'hui "des populations qui viennent en espérant avoir des compléments alimentaires" comme le Plumpy'Nut, une pâte nutritionnelle pour soigner la sous-alimentation, rapporte auprès de franceinfo Caroline Bedos, responsable du pôle Moyen-Orient au sein de l'ONG médicale.

Dans plusieurs régions de Gaza, ses équipes observent "des cas de malnutrition sévère chez les enfants de moins de 5 ans, chez les femmes enceintes et allaitantes". Pas moins de 92% de ces femmes ne parviennent pas à obtenir leurs besoins nutritionnels quotidiens, d'après l'Ocha. "On voit des organismes extrêmement affaiblis. Le risque de famine est imminent, vraiment", appuie Caroline Bedos. 

Pénurie de médicaments et de carburant

Ces deux mois de blocus imposé par Israël affectent aussi les centres de soins et hôpitaux de la bande de Gaza, les livraisons de médicaments et de matériel médical étant aussi à l'arrêt. "Médecins du monde est à cours de stocks sur différents types de molécules", détaille Caroline Bedos. Parmi elles, des médicaments pour l'hypertension, le diabète, certains antibiotiques ou anti-inflammatoires comme l'ibuprofène. "Il n'y a quasiment plus d'antidouleurs ou d'anésthésiants dans les hôpitaux", ajoute la responsable, soulignant l'ampleur de ces manques. 

Mardi matin, le CICR a livré des ressources médicales vitales à plusieurs hôpitaux gazaouis, précise Hisham Mhanna. Du matériel arrivé lors de la trêve, entre janvier et mars. "Cela devrait couvrir les besoins pour quelques semaines", anticipe le porte-parole. L'hôpital de campagne de la Croix-Rouge, à Rafah, est lui aussi affecté. D'après Hisham Mhanna, il manque aussi "de nourriture et de fournitures médicales". 

"Des produits essentiels sont déjà épuisés. Nous n'avons pas assez de prothèses pour les patients amputés."

Hisham Mhanna, porte-parole du CICR dans la bande de Gaza

à franceinfo

A cela s'ajoute l'absence d'arrivée de carburant depuis le 2 mars. Dans les centres de soins de Médecins du monde, "il nous reste très peu de fioul. On ne sait pas très bien comment nous allons fonctionner la semaine prochaine", témoigne Caroline Bedos. La défense civile palestinienne a également affirmé, fin avril, que huit de ses douze véhicules d'urgence dans le sud, notamment des ambulances, n'étaient plus opérationnels, faute de carburant. Dans toute l'enclave palestinienne, un tiers des véhicules humanitaires sont à l'arrêt, rapporte l'Ocha. "Les partenaires humanitaires sont contraints de rationner strictement le carburant, ce qui entraîne une baisse de la production d’eau, une collecte limitée des déchets et le pompage des eaux usées uniquement dans les situations les plus dangereuses", développe le bureau de l'ONU. 

Avec le blocus, les Gazaouis manquent aussi de combustible pour la cuisson de l'eau ou d'aliments. "Les gens tentent de récupérer du plastique, tout ce qui brûle", observe Olga Cherevko. Une alternative dangereuse, pour les habitants comme pour l'environnement. "D'énormes quantités de bois sont brûlées", ajoute la porte-parole depuis Gaza.  

Des Palestiniens brûlent du plastique pour produire du pétrole et du diesel à Gaza, dans la bande de Gaza, le 28 avril 2025. (KHAMES ALREFI / ANADOLU / AFP)
Des Palestiniens brûlent du plastique pour produire du pétrole et du diesel à Gaza, dans la bande de Gaza, le 28 avril 2025. (KHAMES ALREFI / ANADOLU / AFP)

Malgré ces effets déjà tangibles, Israël n'infléchit pas sa position, convaincu qu'une partie de l'aide humanitaire profite au Hamas. "Le blocage de cette aide est l'un des principaux leviers de pression" face au mouvement islamiste, a récemment déclaré le ministre de la Défense, Israël Katz. Lors de son point-presse, lundi, David Mencer a répété que le Hamas avait "détourné de l'aide". A Gaza, l'Ocha n'a pourtant aucune preuve d'un "détournement à grande échelle". Et bloquer une telle aide enfreint le droit international humanitaire, rappelle Tom Fletcher, chef des affaires humanitaires de l'ONU.

"Le droit international est sans équivoque : en tant que puissance occupante, Israël doit autoriser l’entrée de l’aide humanitaire. L’aide, et les vies civiles qu’elle sauve, ne devrait jamais être un argument de négociation."

Tom Fletcher, chef des affaires humanitaires de l'ONU

dans un communiqué

Dans sa récente déclaration, Tom Fletcher rappelle que les otages retenus par le Hamas depuis le 7-Octobre "doivent être libérés, maintenant". Mais "bloquer l'aide affame les civils, insiste-t-il. Cela leur inflige une cruelle punition collective. Bloquer l'aide tue."