Mortalité infantile : obsessions libérales, dogmatisme médical et austérité, les ingrédients d’un scandale français
Le baptême du feu de Julie, ce soir-là, vire à la tragédie. Sage-femme, elle doit pour la première fois gérer une nuit de garde. Aucun collègue n’est disponible pour la superviser, alors que sa prise de poste est toute récente. La situation, du reste, est terriblement banale dans le système de santé français : un personnel en sous-effectif, des salles d’accouchement pleines à craquer. Ce soir-là, Julie accompagne à elle seule le travail de huit femmes enceintes sur le point de donner la vie. Elle court d’une urgence à l’autre. Forcément, il y a des oublis, des manquements. Comme ce bébé à naître, dont le rythme cardiaque ne sera jamais contrôlé. Son cœur s’arrêtera quelques minutes après sa naissance. Julie garde en elle la marque indélébile de la culpabilité. Mais à qui la faute ?
La mort d’un nourrisson est un cauchemar qui se répète en France plus souvent qu’il ne devrait. Trop souvent. C’est cette problématique peu médiatisée qu’ont cherché à documenter Anthony Cortes, journaliste à l’Humanité, et Sébastien Leurquin, reporter indépendant, dans 4,1. Le scandale des accouchements en France (à paraître le 6 mars aux éditions Buchet-Castel). Avec pour point de départ, donc, ce chiffre : 4,1 bébés perdus pour 1 000 naissances vivantes, chaque année. Soit environ 2 800 décès en moyenne.
La France figure parmi les bonnets d’âne de l’Europe en matière de mortalité infantile. Nous sommes tout en bas du classement, aux côtés de la Bulgarie, de la Pologne ou de la Croatie, des pays bien plus pauvres que le nôtre. Quelles sont les causes de ces données implacables, qui encapsulent mal la souffrance de milliers de familles ? Les pistes d’explication sont nombreuses, et d’autant plus difficiles à examiner que la France ne s’est pas dotée, contrairement à des pays comme la Suède, d’un registre des naissances qui permettrait de centraliser les données périnatales et d’avoir une vision holistique du phénomène. Reste un portrait choc de notre système de santé en matière d’accouchement. Morceaux choisis.
Accoucher dans le désert (médical)
Les maternités sont-elles une espèce en voie de disparition ? L’enquête d’Anthony Cortes et de Sébastien Leurquin démontre que toutes les Françaises ne sont pas égales face à l’accouchement, loin de là. En cinquante ans, le nombre des maternités publiques est passé de 1 369 à 457 – les trois quarts ont donc fermé boutique. Mécaniquement, de moins en moins de femmes ont donc la chance de vivre à proximité d’une maternité, et les temps de trajet pour s’y rendre ont augmenté. Quelque 900 000 femmes en âge de procréer vivent à plus de trente minutes d’une maternité.