VRAI OU FAUX. La "taxe Zucman" sur les très hauts patrimoines serait-elle inconstitutionnelle, comme l'affirme François Bayrou ?

"La 'taxe Zucman' est inconstitutionnelle, c'est une menace pour les investissements en France." Interrogé dimanche 31 août sur les quatre chaînes d'information en continu, dont franceinfo, à quelques jours du vote de confiance à l'Assemblée nationale qui pourrait précipiter son départ lundi, le Premier ministre, François Bayrou, a fustigé l'idée, soutenue par la gauche, d'un impôt plancher de 2% sur la fortune des "ultrariches" détenant plus de 100 millions d'euros de patrimoine.

Le chef du gouvernement a notamment estimé qu'une telle taxe, adoptée à l'Assemblée nationale à l'initiative des écologistes mais rejetée au Sénat, serait contraire à la Constitution. L'économiste Gabriel Zucman, qui a imaginé cette mesure, lui a répondu sur X en jugeant que sa proposition, constitutionnelle selon lui, "viendrait mettre en conformité nos lois avec nos principes constitutionnels fondamentaux d'égalité devant l'impôt, qui sont aujourd'hui bafoués".

Des incertitudes sur "le périmètre de ce nouvel impôt"

Cette taxe, qui vise à s'assurer que les contribuables s'acquittent, chaque année via différents impôts, de l'équivalent de 2% de la valeur de la partie de leur patrimoine excédant les 100 millions d'euros, est différentielle : elle se fonde sur l'écart entre les impôts déjà acquittés par le contribuable et ce plancher, afin d'éviter une double taxation. Mais respecte-t-elle la Constitution ? Les spécialistes de droit constitutionnel et de fiscalité interrogés par franceinfo ne sont pas catégoriques, et leurs avis divergent sur cette mesure qui pourrait rapporter 20 milliards d'euros chaque année, selon Gabriel Zucman.

"Il est difficile de répondre par oui ou par non tant que l'on ne connaît pas exactement le périmètre de ce nouvel impôt, et tout est une question de proportionnalité [de l'impôt]", explique Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public et spécialiste de la Constitution, à propos de cette mesure qui pourrait concerner environ 1 800 foyers fiscaux, toujours selon Gabriel Zucman. D'après elle, François Bayrou s'appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel et l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. "L'impôt doit être le même pour tous à hauteur de ses moyens, tout en n'étant jamais confiscatoire", rappelle l'universitaire.

"En soi, cette taxe n'est pas anticonstitutionnelle, mais la nuance réside dans le taux marginal d'imposition qui serait appliqué", prolonge Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public.

"Le Conseil constitutionnel a estimé plusieurs fois dans sa jurisprudence qu'une charge d'impôt trop lourde sur un même revenu pouvait être considérée comme confiscatoire."

Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste

à franceinfo

Cela a notamment été le cas en 2012, lorsque l'impôt de 75% sur la tranche des revenus supérieurs à un million d'euros, une des mesures emblématiques de François Hollande, avait été censuré par le Conseil constitutionnel. La décision n'avait pas visé le principe de la taxe mais son mécanisme de calcul. Et c'est ce même raisonnement qui pourrait pousser les Sages à censurer la "taxe Zucman" si elle était adoptée en l'état.

L'absence de plafonnement de cette taxe, qui pourrait obliger le contribuable à se séparer d'une partie de son patrimoine pour régler l'impôt, fait dire à certains que la mesure risquerait d'être confiscatoire. "Si on impose un contribuable à 2% de son patrimoine mais qu'il a un revenu nettement inférieur à ces 2% de patrimoine, on lui confisque son revenu et on l'oblige à vendre une partie de ses actifs pour régler son impôt", estime ainsi l'avocat et vice-président du cercle des fiscalistes Jean-Yves Mercier.

L'intégration des biens professionnels dans le patrimoine fait débat

Par ailleurs, la "taxe Zucman", qui prend en compte les sommes acquittées au titre de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), de la contribution sociale généralisée (CSG), des contributions au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), intègre au calcul du patrimoine les biens professionnels (fonds de commerce, immeubles affectés à l'exploitation, parts de sociétés...), qui en sont aujourd'hui exclus. Certains estiment que ce changement majeur en termes de fiscalité pourrait poser problème, en imposant un patrimoine qui n'est pas forcément disponible.

Dans un texte publié sur un site spécialisé, l'avocat Eric Fourel, qui juge que cette taxe serait anticonstitutionnelle, affirme "qu'avec un taux annuel à 2%, sans aucun plafonnement et une assiette incluant les biens professionnels, la taxe Zucman serait déclarée contraire à la Constitution" en créant un impôt susceptible d'amputer le capital et non un impôt sur les revenus du capital. Il affirme aussi que "le Conseil constitutionnel s'est toujours refusé jusqu'à présent à inclure dans les facultés contributives du contribuable les facteurs d'enrichissement (réserves accumulées, produits de capitalisation…) qui, économiquement, relèvent de son influence mais qui, juridiquement, ne sont pas encore les siens."

Une question plus politique que constitutionnelle

Pour Sacha Sydoryk, l'intégration des biens professionnels "pourrait poser des problèmes très spécifiques mais il n'est pas certain que cela bloque la constitutionnalité de la loi". Il estime par ailleurs que ni François Bayrou ni Gabriel Zucman n'avancent des arguments constitutionnels, et que le débat se trouve ailleurs, notamment sur l'aspect politique.

Les défenseurs de cette taxe y voient notamment une mesure de justice fiscale et un moyen de lutter contre l'optimisation, alors que le taux effectif d'imposition des 0,1% les plus fortunés diminue à mesure que l'on grimpe dans l'échelle des revenus, selon une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP).

François Bayrou craint de son côté une fuite des grandes fortunes et avance que le dispositif d'exit tax au sein de la "taxe Zucman", qui permettrait de faire perdurer l'impôt pendant cinq ans après l'arrêt de la domiciliation fiscale en France, serait contraire aux "126 conventions fiscales avec 126 pays étrangers (...), qui sont au-dessus des lois". Pour Sacha Sydoryk, cela "pose un réel problème mais n'aurait pas d'incidence sur le caractère constitutionnel [de la taxe]. Qu'elle soit contraire ou non à ces conventions ne la rend pas anticonstitutionnelle" pour autant.

"Il serait possible de taxer un revenu même s'il est perçu à l'étranger par un Français, complète Anne-Charlène Bezzina. Mais cela remettrait en cause tout le régime de l'impôt et des milliers d'éléments de fixation de cet impôt au niveau international." Si la "taxe Zucman" n'a aucune chance d'être adoptée tant que François Bayrou ou un autre Premier ministre issu des rangs macronistes occupe Matignon, le vote de confiance à l'Assemblée nationale, lundi, pourrait rebattre les cartes et redessiner le spectre politique. La gauche, notamment les socialistes, qui ont présenté leur contre-budget avec la "taxe Zucman", veulent mettre en place ce dispositif de taxation des "ultrariches" s'ils accèdent au pouvoir.