Retraites : au bout de la nuit, le fiasco attendu du conclave
Le miracle tant espéré par François Bayrou, ce catholique fervent, n’est pas advenu : c’est une fumée couleur de suie qui s’est finalement échappée du « conclave » mis sur pied par le Premier ministre en février dernier. Syndicats et patronat se sont quittés sans parvenir à un accord, ce mardi 23 juin vers 23 heures, après une interminable journée de discussions hachée d’interruptions. Les débats ont même failli tourner au vaudeville dans l’après-midi, quand le dirigeant du Medef et le négociateur de la CFDT ont échangé des amabilités sur le trottoir face aux caméras, s’accusant mutuellement de l’échec à venir, quelques minutes avant d’entrer dans la salle.
Pour rappel, les organisations de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC) et le patronat (Medef et CPME) travaillaient depuis fin février à la réécriture de la réforme des retraites de 2023 (recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans et accélération de l’allongement de la durée de cotisation), à l’initiative de l’exécutif. Dénonçant des discussions verrouillées, la CGT, FO et l’U2P avaient claqué la porte. Ce « conclave » dont les « partenaires sociaux » n’étaient pas demandeurs a été conçu par l’exécutif comme une monnaie d’échange offerte au Parti socialiste, contre la promesse que ce dernier ne censurerait pas le gouvernement en février dernier.
« Le Medef ne regarde pas la réalité en face de la vie des travailleurs »
Tout au long des négociations, le Medef aura campé sur ses deux lignes rouges : aucun retour en arrière sur l’âge légal et hors de question d’accepter une hausse (même modeste) des cotisations pour financer d’éventuelles concessions sociales ou rééquilibrer le régime de retraites, sous prétexte de ne pas alourdir le « coût » du travail. De leur côté, les syndicats encore présents ont largement ouvert la porte, en cessant de faire des 64 ans un préalable indispensable. Ils voulaient bien parapher un texte d’accord, à condition que le patronat mette sur la table des propositions substantielles pour améliorer le sort des femmes avec enfants, victimes de la réforme de 2023, ainsi que la prise en compte de la pénibilité.
Ce lundi 23 juin, le patronat a fait mine d’arriver aux réunions dans une posture plus constructive, mais c’était pour mieux tenter de faire endosser le fiasco à la partie adverse. « Nous regrettons cet échec, c’est dommage pour la démocratie sociale », a osé la représentante du Medef, Diane Milleron-Deperroi. « Cette négociation était jouable, si l’accord ne se fait pas, c’est à cause des organisations patronales, a taclé Pascale Coton, négociatrice de la CFTC. C’était la première fois que nous avions du « plus » pour les femmes (propositions de pensions réévaluées pour les mères, NDLR), c’est quelque chose qui me met très en colère ». « Le problème qu’on a, c’est que le Medef ne regarde pas la réalité en face de la vie des travailleurs qui sont exposés à la pénibilité », a dénoncé, de son côté, Yvan Ricordeau, négociateur pour la CFDT.
À l’arrivée, François Bayrou estimera peut-être n’avoir pas si mal joué le coup : avec ce conclave, né sous des étoiles contraires et achevé en déconfiture, le Premier ministre se sera au moins « acheté » quelques mois de sursis politique, en échappant à une censure de la gauche dès février. Il espère désormais passer à nouveau entre les gouttes, en misant sur le refus du Rassemblement national de faire tomber le gouvernement… dans l’immédiat. La France insoumise a quant à elle appelé le Parti socialiste à censurer le gouvernement.
De nombreuses questions restent en suspens
Mais au-delà du destin politique du Premier ministre et du sort de son gouvernement, de nombreuses questions restent en suspens, concernant l’avenir de notre régime de retraites. D’abord, l’épineuse question de son financement. Selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), le régime devrait accuser un déficit de 6,6 milliards d’euros à horizon 2030. Il n’y a rien d’insurmontable, comme le souligne d’ailleurs le COR qui rappelle que les discours alarmistes sont infondés, mais il faudra quand même combler le trou. Le Medef s’est dit catégoriquement opposé à augmenter, même légèrement, les cotisations sociales, sous prétexte de ne pas alourdir le « coût » du travail.
Ensuite, la question cruciale de l’âge de départ. En évacuant tout retour à 62 ans, le conclave ferme la porte à une revendication pourtant largement partagée au sein de la population, comme l’atteste le mouvement social de 2023 mais aussi les enquêtes d’opinion réalisées depuis : 61 % des Français interrogés par l’Ifop en avril dernier souhaitent un retour à 62 ans. La mesure n’avait pourtant rien de ruineux (3,4 milliards d’euros en 2025 et environ 16 milliards en 2032), mais il aurait fallu pour le financer que le Medef daigne desserrer les cordons de la bourse.
« La question de l’âge conditionne pourtant de nombreux paramètres, fait observer Denis Gravouil, de la CGT. L’inégalité entre les femmes et les hommes mais aussi entre les travailleurs concernant la pénibilité, découle largement de l’âge légal. Ne pas y toucher, c’est refuser de traiter ces questions. » De fait, les négociateurs ont bien mis au menu des discussions le sort des femmes avec enfants, victimes de la réforme de 2023 puisque le recul de l’âge légal rend inutiles les trimestres supplémentaires acquis au titre de la maternité : auparavant, ces trimestres pouvaient leur permettre de partir à taux plein à 62 ans ; elles doivent désormais patienter deux ans de plus. En l’absence d’accord, cette situation va perdurer.
Pour ce qui est de la pénibilité, les statistiques font état d’un enjeu majeur : en 2022, la Dares avait estimé que 13,6 millions de travailleurs étaient exposés à au moins un facteur de pénibilité ! Par exemple, 1,7 million de salariés étaient concernés par la manutention de charges lourdes ; 9,9 millions par les postures pénibles et 1,7 million par des vibrations mécaniques. Au passage, le Medef refuse toujours de parler de pénibilité, lui préférant l’euphémistique « usure professionnelle ». Une formule que ne renierait pas Emmanuel Macron, qui déclarait en octobre 2019 ne pas aimer le mot de « pénibilité », car « cela donne le sentiment que le travail serait pénible »…
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