Que va-t-il se passer en Nouvelle-Calédonie, après le rejet de l'accord de Bougival par les indépendantistes du FLNKS ?

L'information relevait du secret de Polichinelle. Après avoir déjà tranché en congrès il y a quelques jours, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) a officiellement rejeté l'accord de Bougival, mercredi 13 août. Ce texte, signé à l'arraché mi-juillet dans un hôtel de cette ville des Yvelines, semblait pourtant faire bouger les lignes, en prévoyant notamment la création d'une nationalité calédonienne et l'éventuel transfert au pouvoir exécutif de Nouvelle-Calédonie de compétences régaliennes comme la monnaie, la justice et la police.

Mais voilà, après y avoir apposé son nom, le principal mouvement indépendantiste de Nouvelle-Calédonie a finalement décidé de s'écarter de cet accord, "en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de notre lutte", a justifié Dominique Fochi, secrétaire général de l'Union calédonienne et membre du bureau politique du FLNKS. En visioconférence depuis Mulhouse (Haut-Rhin), où il a été incarcéré pendant près d'un an, Christian Tein a lui dénoncé "un accord à marche forcée proposé par [Emmanuel] Macron".

"On n'a pas tiré les leçons de ce que le pays a traversé. On ne peut pas construire un pays comme ça et nous mettre dans le corner. C'est humiliant pour le peuple kanak", explique celui qui a été élu président du FLNKS alors qu'il se trouvait derrière les barreaux. Et puis, d'ailleurs, la délégation indépendantiste qui a fait le voyage jusqu'à Paris pour négocier ce texte "n'avait aucun mandat pour le faire", assure-t-il.

"Ma porte reste évidemment ouverte"

Dans les couloirs du ministère des Outre-mer, rue Oudinot à Paris, c'est la douche froide. Pour Manuel Valls, dont l'action dans ce dossier avait été saluée par des opposants au gouvernement Bayrou, tout est à refaire, ou presque. L'ancien Premier ministre avait anticipé ce rejet en annonçant son intention de se rendre sur l'archipel la semaine du 18 août. Le message qu'il a publié sur Facebook, mercredi, garde la même ligne : "Ma porte reste évidemment ouverte pour comprendre les raisons peu explicites de ce choix incompréhensible. (…) L'accord de Bougival est une opportunité extraordinaire et historique. La semaine prochaine, je serai en Nouvelle-Calédonie."

Manuel Valls, ministre des Outre-mer (quatrième à gauche), aux côtés notamment des élus du camp non-indépendantiste Sonia Backès (deuxième à gauche) et Nicolas Metzdorf (deuxième à droite), à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 22 février 2025. (DELPHINE MAYEUR / AFP)
Manuel Valls, ministre des Outre-mer (quatrième à gauche), aux côtés notamment des élus du camp non-indépendantiste Sonia Backès (deuxième à gauche) et Nicolas Metzdorf (deuxième à droite), à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 22 février 2025. (DELPHINE MAYEUR / AFP)

Manuel Valls aura le temps, pendant les 24 heures de vol qui l'attendent, de peaufiner sa stratégie. Sur place, il fera face à une situation qui ressemble à une impasse. Les indépendantistes du FLNKS ne veulent plus échanger avec les non-indépendantistes que sont les Loyalistes et le Rassemblement. Après des années d'invectives, les discussions entre les deux camps étaient pourtant devenues constructives et respectueuses, comme en témoigne un geste amical de la main entre le député loyaliste Nicolas Metzdorf et l'indépendantiste Emmanuel Tjibaou, mi-juillet à Bougival.

Désormais, les indépendantistes avancent deux revendications principales pour la suite des échanges. D'une part, ils exigent que les élections provinciales, déjà repoussées à cause des émeutes meurtrières du printemps 2024, se tiennent en novembre, afin de "connaître la réelle légitimité des uns et des autres". Manuel Valls est opposé à cette piste, comme les non-indépendantistes. L'accord de Bougival prévoyait d'ailleurs de repousser ce scrutin crucial au plus tôt à mi-2026.

D'autre part, le FLNKS souhaite "ouvrir le dialogue" pour la "signature d'un accord de Kanaky le 24 septembre 2025", conduisant "à l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté avant l'élection présidentielle de 2027". Le mouvement insiste également sur la tenue de discussions "sous la supervision" de Christian Tein, son président. Libéré de prison le 13 juin, le leader politique reste mis en examen pour le rôle qu'il aurait joué dans les émeutes de 2024, bien qu'il ait toujours nié avoir appelé à la violence.

"Un passage en force sans le FLNKS, ça ne fonctionnera pas"

Pour l'heure, le processus amorcé en juillet est à l'arrêt. "L'accord de Bougival tombe mécaniquement puisqu'il ne peut pas y avoir un accord [sans la validation du FLNKS]", assure auprès de franceinfo Benoît Trépied, anthropologue au CNRS, auteur de Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

"Rien ne peut fonctionner sans le FLNKS. Qu'on le veuille ou non, il est le représentant du peuple kanak colonisé, reconnu à l'international, et notamment l'ONU."

Benoît Trépied, anthropologue au CNRS

à franceinfo

En face, les non-indépendantistes espèrent que la visite de Manuel Valls sur le Caillou pourra débloquer la situation. Après des tensions entre l'Etat et les élus loyalistes, ces derniers affichent leur volonté d'aider le ministre dans sa tâche. "Les Loyalistes et le Rassemblement rappellent leur soutien à l'organisation d'un comité de rédaction pour préparer la traduction juridique et institutionnelle de l'accord de Bougival", affirment-ils dans un communiqué diffusé mercredi.

"Par ailleurs, nous proposons la formation d'un comité ad hoc, composé de loyalistes et d'indépendantistes favorables à l'accord de Bougival (…). Sa mission serait d'approfondir certains aspects techniques de l'accord, en soutien au comité de rédaction proposé par Manuel Valls", poursuivent-ils.

Bref, la stratégie des non-indépendantistes est d'isoler le FLNKS, pour faire perdurer l'esprit de Bougival. "On est six partenaires, et sur les six, il y en a un qui se dédit. Mais il y en a cinq autres qui continuent d'avancer et de faire la promotion de l'accord. On échange de manière quasi quotidienne tous ensemble", recadre une source loyaliste jointe par franceinfo. "Aujourd'hui, le FLNKS est à la main des plus radicaux. Les deux principaux partis qui composaient ce front l'ont quitté", a également rappelé Nicolas Metzdorf, sur Sud Radio. En août 2024, le Parti de libération kanak (Palika) et l'Union progressiste en Mélanésie (UPM), deux mouvements indépendantistes modérés, avaient en effet coupé les liens avec le FLNKS.

"Aujourd'hui, ce ne sont pas les indépendantistes qui refusent Bougival. C'est une partie des indépendantistes seulement : la partie radicale et violente."

Une source loyaliste

à franceinfo

En attendant d'éventuelles discussions entre Manuel Valls et les indépendantistes, "on n'est pas dans un vide juridique, ni politique", reprend Benoît Trépied. "Dans l'accord de Nouméa de 1998, qui organisait jusqu'à présent la décolonisation de l'archipel, il y a une disposition très claire. Elle dit spécifiquement que tant qu'il n'y a pas de nouvel accord, [celui] de Nouméa continue de s'appliquer. Ce qui veut dire qu'on fait bien les élections provinciales en novembre 2025." 

Le spectre de nouvelles violences

En effet, "tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, [celle] mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie", peut-on lire dans l'accord de Nouméa. L'organisation actuelle "inclut des élections provinciales tous les cinq ans. Celles de mai 2024 ont déjà été repoussées à deux reprises. Il n'y a aucune raison légitime de les reporter une troisième fois, puisqu'il n'y a pas d'accord politique qui le justifierait", continue Benoît Trépied.

De leur côté, les non-indépendantistes craignent que le revirement du FLNKS après l'accord de Bougival représente "une sorte de chantage à la violence face à l'Etat", avec le spectre de nouveaux épisodes de violence sur l'archipel, met en garde une source loyaliste. "Comme à chaque fois, les indépendantistes radicaux font monter la pression. On entend les mêmes termes, les mêmes menaces qu'on entendait à l'hiver 2024, avant les émeutes survenues sur le dégel du corps électoral. On connaît la suite..."

"L'avenir de Bougival va dépendre de l'Etat et du ministre Valls. Vont-ils faire respecter la démocratie ? Ou vont-ils céder encore une fois aux indépendantistes radicaux ?"

Une source loyaliste

à franceinfo

Ce dégel était en effet déjà à la source des dernières émeutes, avec l'objectif de permettre à davantage de citoyens de voter aux élections locales, un souhait des non-indépendantistes. Selon l'accord de Bougival, lors des prochaines élections provinciales qui doivent se tenir en 2026, le corps électoral est censé s'ouvrir à toute personne née en Nouvelle-Calédonie et à celles qui se sont installées jusqu'en 2011.