50.000 mortiers saisis en seulement trois semaines, la grande rafle des douaniers

Propulsés à 100 km/h, les mortiers d’artifice ont embrasé l’été dernier le ciel de France pendant une séquence d’émeutes comme jamais le pays n’en avait connu depuis Mai 68. Au pied des immeubles, des bandes de jeunes encapuchonnés et le visage masqué les tenaient à bout de bras avant de multiplier les tirs tendus en direction des forces de l’ordre et des services de secours. Objectif des casseurs? Défendre «leur» territoire, quitte à faire très mal aux porteurs d’uniforme. D’une portée susceptible d’aller jusqu’à 150 mètres et dotés de charges explosives aussi instables que puissantes, ces articles, à l’origine festifs, peuvent s’avérer mortels lorsqu’ils sont détournés de leur usage pour être transformés en armes par destination.

Pour mémoire, pas moins de 900 policiers, gendarmes et pompiers avaient été blessés lors de cinq jours de violences urbaines en réaction à la mort de Nahel, à Nanterre. Des commissariats, comme celui d’Élancourt, ont aussi été pris pour cible par des groupes vêtus de noir qui voulaient rejouer fort Chabrol. «Ces feux d’artifice, qui sont en vente libre, sont aussi utilisés contre les véhicules ou même contre d’autres groupes criminels», précisent les douaniers. Pour couper la route de ces engins incendiaires devenus la hantise des unités sur le terrain et désarmer les voyous, les agents de Bercy ont multiplié les opérations de contrôles.

Marchandise en provenance d’Allemagne

Selon un bilan porté à la connaissance du Figaro, ils ont ainsi saisi pas moins de 50.000 articles pyrotechniques, à la faveur de 165 opérations effectuées en trois semaines en métropole, mais aussi en outre-mer. «Ces résultats attestent de l’efficacité de l’action de l’administration des douanes dans la lutte contre ce trafic aux enjeux majeurs en termes de sécurité nationale», se félicite-t-on à la Direction générale des douanes, qui rappelle que, «en prévision des fêtes de fin d’année, période propice à l’utilisation massive de feux d’artifice à des fins criminelles contre les forces de sécurité intérieure, les agents avaient décidé de renforcer la mobilisation et les contrôles sur l’ensemble des vecteurs d’approvisionnement, pendant le mois de décembre».

Les analystes sont formels: une partie de la marchandise provient d’Allemagne, où des montagnes de fusées et de puissants pétards sont en vente libre alors que leur commerce est prohibé de l’autre côté du Rhin par arrêté préfectoral pendant les fêtes de fin d’année. Profitant de l’effet d’aubaine, certains particuliers ont traversé le pont enjambant le fleuve avec le coffre rempli de munitions. D’autres ont pris le train ou se sont fait livrer par fret express. Selon nos informations, les «gabelous» du Bas-Rhin ont saisi, parfois en coordination avec les policiers et les gendarmes, pas moins de 625 kg de marchandises pyrotechniques depuis le 1er décembre dernier. «À la différence des particuliers qui achètent des articles de divertissement pour la Saint-Sylvestre, les vrais fauteurs de troubles, ceux qui ont des visées insurrectionnelles, se fournissent toute l’année via des sites spécialisés, en passant des commandes de “chandelles romaines” venant pour les deux tiers de Pologne», siffle un chef de brigade.

En cas de contrôle positif, les détenteurs de ces articles interdits encourent une peine pouvant aller jusqu’à six mois de prison et 7 500 euros d’amende

Un douanier

Via des réseaux cryptés ou plus simplement en consultant des annonces diffusées sur Snapchat ou TikTok, les délinquants refont leurs stocks en quelques clics. Insistant sur la «nécessité de concentrer les contrôles dans le fret express et postal», les douanes sont persuadées que «maintenant, le trafic gangrène tout le pays». Ainsi, en juin 2023, lors de deux interventions dans un centre de marchandise, les agents de la brigade de Dijon ont découvert une centaine d’articles pyrotechniques, d’un poids de 25 kg, à destination de particuliers domiciliés en Alsace et dans le sud de la France. «En cas de contrôle positif, les détenteurs de ces articles interdits encourent une peine pouvant aller jusqu’à six mois de prison et 7 500 euros d’amende», rappelle un douanier.

Opérations coups-de-poing

Devenus le fer de lance de la lutte, les agents de Bercy ont accéléré la traque à partir de 2020 avant d’afficher une saisie globale annuelle de 1,5 tonne de mortiers et de matériels pyrotechniques en 2022. Soit un bond de 350 % par rapport à l’année précédente! «Les douanes font un travail remarquable pour lutter contre les fraudes et les trafics, s’est félicité mercredi le ministre du Budget, Thomas Cazenave. Leur action est centrale dans la protection des Françaises et des Français au quotidien.» Depuis cet été, les états-majors n’ont jamais relâché la pression. «Nous savions que les délinquants, qui ont épuisé leurs stocks d’engins incendiaires pendant les émeutes, cherchaient à récupérer des mortiers d’artifice», soufflait récemment au Figaro un policier de haut rang qui a promis des «moyens massifs pour accentuer la lutte».

Dès le 10 juillet dernier, à Roubaix, plus de 2 000 mortiers ont été saisis par les enquêteurs, qui avaient également mis la main sur plusieurs kilos de cannabis ainsi que des armes. «Cette activité s’inscrit dans une logique criminelle, le plus souvent en lien avec le trafic de stupéfiants», note-t-on à la Direction générale des douanes. Jusqu’à la fin de l’année 2023, les opérations coups-de-poing se sont enchaînées, comme en témoigne la saisie de 18.500 fusées d’artifice le 29 décembre à Mulhouse ou encore les 500 mortiers retrouvés le même jour par la BAC dans les quartiers nord de Marseille. Selon un bilan du ministère de l’Intérieur, près de 200.000 engins incendiaires ont été confisqués en un an, soit un bond de 45 % par rapport à 2022.