Une petite fille tente de retenir ses parents qui partent s’amuser en soirée. Elle s’accroche aux jupes de sa mère en pleurant. Ce couple insouciant si typiquement ancré dans les années 1970- 1980 parisiennes, n’en fera qu’à sa tête. Cette séquence forte des Rêveurs, tirée du premier film d’Isabelle Carré donne d’emblée le ton.
Cette petite Élisabeth qui a peur que ses parents ne l’abandonnent, va finir par se construire une adolescence cahin-caha, en n’étant jamais tout à fait sûre des bases affectives de sa famille. C’est sur ce terreau de fragilité psychologique que vont pousser les conditions d’une solitude accrue et d’une envie insatiable de réconfort, pouvant parfois déboucher sur l’impensable. Comme disait si bien l’écrivain Stig Dagerman, «notre besoin de consolation est impossible à rassasier».
Passer la publicitéOn le sent, ce que raconte Isabelle Carré dans Les Rêveurs, troisième roman largement autobiographique, lui tient largement à cœur. Le film qui transpose son récit sur grand écran lui emboîte le pas avec une douce intensité. Dans les premières scènes de ce film sincère tout en délicatesse, on fait connaissance avec une Élisabeth adulte (incarnée donc par Isabelle Carré) devenue comédienne. Celle-ci se rend à l’hôpital Necker pour animer des ateliers d’écriture avec des adolescents en grande détresse psychologique.
Le contact est d’abord difficile à établir. Bras croisés, regards fuyants, dos tournés, l’héroïne peine à intéresser le petit groupe à ce qu’elle a à leur transmettre, jusqu’à ce qu’elle avoue: «Peut-être qu’avant de commencer, je dois vous dire quelque chose. J’ai été interné ici quand j’avais votre âge.» Soudain, les enfants sont tout ouïe. Le film s’enclenche alors comme les souvenirs d’Élisabeth qui affluent. Les flash-back se bousculent. Ce copain du grand frère qui s’intéresse à elle, la séduit, profite de sa naïveté, et la laisse avec un chagrin d’amour insurmontable qui la poussera «à vider l’armoire à pharmacie.»
À Necker dans les années 80, les services de pédopsychiatrie manquaient un peu d’allant et de modernité. C’est pourtant là que la jeune fille va trouver la force et le temps de se reconstruire. Le film suit avec attention et délicatesse le parcours résilient de cette ado en détresse. On y croise des enfants un peu cassés, des garçons violents bipolaires, et des gamines aux poignets bandés et au teint blafard comme Isker (Mélissa Boros, découverte dans le film Alpha de Julia Ducournau) avec laquelle Élisabeth (Tessa Dumont-Janod, troublant double adolescent d’Isabelle Carré) se lie d’amitié.
Si le film évoque le sujet âpre et douloureux de la santé mentale des ados, il le fait avec beaucoup de douceur et d’empathie. Aujourd’hui, ces jeunes en souffrance sont de plus en plus nombreux. Mais cette foule est invisibilisée. La caméra attentive d’Isabelle Carré observe sans le moindre jugement les moments d’entraide et de soutien de cette petite communauté, contrainte à demeurer dans l’aile du bâtiment psychiatrique de Necker. Le passage quotidien des médecins emmenés par Bernard Campan (fidèle partenaire de la comédienne depuis Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman en 2001) donne lieu à des séquences entre rire et larmes. Le groupe des blouses blanches que les ados surnomment la «Gestapo» sont pourtant là pour encadrer la guérison des malades.
Les rêveurs évoque frontalement la souffrance morale des enfants et les bienfaits de l’art-thérapie. En découvrant le théâtre, la jeune héroïne va s’affranchir de ses sombres démons. Grâce à une professeur de théâtre incarnée avec une gravité chaleureuse et rassurante par Nicole Garcia, Élisabeth va finir par s’envoler vers sa destinée, comme les mouettes et goélands du papier peint de sa chambre qui s’animent à plusieurs reprises dans le film.
Passer la publicitéDe l’ombre vers la lumière, l’itinéraire emprunté par l’héroïne des Rêveurs passe autant par une réplique de Romy Schneider dans Une femme à sa fenêtre, que par la découverte de la pièce de Schnitzler Mademoiselle Else. Ou encore par le simple fait d’observer de sa chambre d’hôpital, le scintillement nocturne des petites lucarnes de la tour Montparnasse... comme autant d’étoiles brillantes qui permettent d’imaginer un avenir plus radieux.