Shin Zero : quand les super-héros se heurtent à la réalité
Pas facile d’avoir 20 ans en 2025. Dans une ville aux allures d’Osaka, cinq jeunes rêvent d’exploits, comme leurs grands-parents avant eux. Les Sentai, super-héros en habits de couleur, ont autrefois sauvé le monde. Mais les monstres ont désormais disparu et nos héros en sont réduits à travailler comme vigiles ou gardiens de nuit. Leur avenir paraît peu enviable. Mais tout danger est-il réellement écarté ?
Point de départ d’une trilogie, Shin Zero dresse le portrait d’une jeunesse désabusée et en quête de sens dans un univers réaliste, plutôt éloigné des récits dystopiques auxquels les deux auteurs nous avaient habitués. « Notre envie première, c’était de parler de la difficulté, pour les jeunes générations, à se projeter dans un avenir anxiogène. Il fallait pour cela nous raccrocher au présent, afin de pouvoir parler de façon crédible de ces problématiques » explique Mathieu Bablet, qui signe le scénario.
Les monstres comme excuse
Puisant dans ses souvenirs d’enfance, l’auteur du génial Carbon & Silicium nous propose une version actualisée d’un genre japonais, le « Super Sentai », popularisé en Europe avec la série Power Rangers dans les années 1990. « Il y a bien sûr un côté nostalgique », sourit le scénariste. « Ce sont des histoires qui nous ont marquées, en tant qu’enfants, à travers la télévision. » Mais l’intérêt est aussi graphique, car le « Sentai » s’inscrit lui-même dans un genre cinématographique bien plus large, le « Tokusatsu » (littéralement « effets spéciaux »), à l’origine notamment de la franchise Godzilla. Autant de codes permettant de composer un univers riche visuellement, « assez éloigné de ce que l’on peut trouver dans la fiction occidentale », estime Mathieu Bablet.
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Entre deux missions sans grand intérêt, Nikki, Warren, Satoshi, Héloïse et Sofia partagent leurs rêves et leurs espoirs, tout en étant rattrapés par leurs fins de mois difficiles. « Le monstre - le kaiju, c’est finalement presque une excuse », reconnaît l’auteur. « Ils sont géniaux à imaginer, mais au fond, ce n’est pas d’eux dont on parle. Nous voulions surtout mettre en scène la vie et le questionnement de jeunes qui s’apprêtent à entrer dans l’âge adulte. Pour leurs parents, il était facile de savoir qui étaient les monstres ; mais aujourd’hui, tout est plus vague, et le monde est gris. Cela participe d’une forme de désenchantement : on ne peut même plus rêver, car il n’y a au fond plus rien en quoi rêver.»
Agréable à lire, rythmé et poétique, Shin Zero évoque en creux bien d’autres thèmes de société, comme le traitement réservé aux personnes âgées, ou encore le chômage et la précarité. À la fin de l’ouvrage, une courte explication bienvenue retrace l’origine des « Power Rangers », et des codes auxquels les deux auteurs ont cherché à rendre hommage.
Même sans rien connaître aux mangas, l’histoire emporte le lecteur, tant elle semble proche de nos interrogations contemporaines. Une réussite, à ne surtout pas réserver aux seuls amateurs de mangas et de scènes d’actions spectaculaires.
La case BD
Venu de la bande dessinée franco-belge, Guillaume Singelin s’amuse avec Shin Zero à brouiller les pistes. « Je voulais m’inspirer des codes du manga, que j’ai beaucoup lu étant plus jeune, tout en essayant de mélanger les différentes influences », explique l’auteur de Frontier .
D’où un dessin finalement assez proche de l’animation, ayant toutefois nécessité un gros travail en amont : « En général, je fais des découpages très classiques. Mais les codes du manga sont différents, notamment au niveau du nombre de cases par page : j’en ai beaucoup relu, pour voir comment briser ces cadrages, et conserver un rythme. Cela a été un nouvel apprentissage pour moi, mais c’est aussi ce qui m’intéressait sur ce projet. »
Autre signe du mélange des genres : les couleurs, utilisées avec parcimonie. « Au début, je pensais rester en noir et blanc », explique Guillaume Singelin. « Mais nous nous sommes assez vite aperçus que quand les personnages étaient en costume, il devenait difficile de savoir qui était qui ! Finalement, nous avons gardé les cinq couleurs pour distinguer les héros, car c’est aussi la signature des Sentai. Nous les avons également intégrées dans les flash-back, ainsi que dans certaines scènes évanescentes. »
Des scènes du quotidien
Au-delà des scènes d’action, finalement assez peu nombreuses, le dessinateur souligne la difficulté à représenter des héros dans leur quotidien : « Comme un metteur en scène, il m’a fallu réfléchir chaque plan pour placer les personnages et les objets au bon endroit, afin de faire ressentir les interactions entre eux, dans leur vie de colocataires. Sur les scènes plus intimes, j’ai beaucoup joué sur les expressions.»
D’ores et déjà, le travail sur la suite a commencé : le tome 2 est en chantier. Les deux auteurs assurent ne pas vouloir faire attendre trop longtemps leurs lecteurs, tout en prenant le temps de développer leur histoire. « D’ailleurs, on ne sait pas encore s’il y aura des monstres dans la suite !» s’amusent-ils. Reste à savoir si leurs héros trouveront finalement leur place dans ce monde désabusé, somme toute pas si éloigné du nôtre.