TEMOIGNAGE. "Tout me revient sans cesse" : un ancien soldat ukrainien détenu témoigne alors qu'est évoqué un échange global de prisonniers de guerre entre l'Ukraine et la Russie

Et si le premier pas vers la paix entre l'Ukraine et la Russie passait par un échange massif de prisonniers ? C'est l'une des propositions concrètes faites ces derniers jours par Volodymyr Zelensky : la libération mutuelle de tous les soldats emprisonnés de chaque côté de la ligne de front. L'occasion pour ceux qui reviennent de cet enfer de témoigner, alors qu'ils peinent à remonter la pente. Fragilisés, ils ne sont pas toujours accompagnés, comme ce jeune homme rencontré par franceinfo à Zaporijjia.

Ivan a ouvert son petit café en décembre dernier, près d'un an après la fin de sa captivité. Et un peu par hasard, jure-t-il, il l'a appelé le "Café Liberty". Il y a même la torche de la statue, comme à New-York. Ivan était un jeune soldat de 22 ans quand il a été fait prisonnier par les Russes, à Marioupol, dans le sud-est de l'Ukraine. Il a été détenu pendant un an et dix mois, la plupart du temps dans les territoires occupés, à Louhansk et à Donetsk. Il était frappé chaque matin à la matraque. "Parfois j'entendais les cris d'autres gars, d'autres prisonniers plus loin, se rappelle-t-il. J'avais le sentiment qu'on leur arrachait la peau." Il se souvient très bien de sa cellule : 45 personnes entassées dans une pièce grande comme le tout petit commerce qu'il tient aujourd'hui.

Après sa libération, Ivan a ouvert le café Liberty avec sa compagne Anna. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)
Après sa libération, Ivan a ouvert le café Liberty avec sa compagne Anna. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Quand on le libère, à la faveur d'un échange de prisonniers, il culpabilise : "Pourquoi moi ? Pourquoi pas un autre ?" Puis il tente de se reconnecter à la vie normale : "Ce n'est que maintenant, un an après, que tout me revient sans cesse. Parfois, j'en rêve la nuit, comme quand ils nous imposaient l'hymne russe, dans la cour de la prison. Toutes ces conneries-là !"

"Un homme fort"

Dans sa vitrine aujourd'hui, il y a des éclairs au saumon, des quiches au poulet et des gâteaux au chocolat. Ivan promet qu'il va bien, même s'il cherche ses mots et tape sans cesse du pied, nerveusement. Sa compagne Anna, 23 ans, trouve aussi qu'il tient le coup, après ses presque deux années de captivité. "Nous n'en parlons pas beaucoup, dit-elle, c'est un homme fort. Il n'a pas de problèmes psychologiques. Et il n'a pas vu de psy, il garde tout en lui. Enfin, je crois qu'il a surtout laissé tout ça là-bas…"

Anna considère qu'Ivan n'a pas de séquelles psychologiques de sa détention. (LAURENT MACCHIETTI / RADIO FRANCE)
Anna considère qu'Ivan n'a pas de séquelles psychologiques de sa détention. (LAURENT MACCHIETTI / RADIO FRANCE)

Les murs de son café pourtant, crient le contraire, ils sont tapissés de tableaux, de drapeaux à la gloire des soldats ukrainiens, "des trucs de guerre", comme il dit. Il y a aussi des fleurs, des chats, des jolies choses, ça, c'est compagne, Anna, qui s'en occupe. Ivan retourne servir des cafés, sans oublier ceux dont il a fait partie : pour chaque pâtisserie vendue au café Liberty, quelques centimes sont reversés à l'armée.