Ingérence, fake news, achat de votes… En Moldavie, l'ombre de la Russie plane sur les élections législatives

Un nouvel épisode de la guerre hybride entre la Russie et les pays européens. Les tentatives d'ingérence ont entaché la campagne des élections législatives qui se déroulent dimanche 28 septembre en Moldavie, petite ex-république soviétique frontalière de l'Ukraine. Le scrutin est considéré comme crucial pour l'avenir de ce pays de 2,5 millions d'habitants, tiraillé entre un approfondissement de ses liens avec l'Union européenne (UE), à laquelle il est candidat, et un retour dans le giron russe.

Le Parti Action et Solidarité (PAS) pro-européen de la présidente Maia Sandu, réélue fin 2024, est donné en tête par la plupart des sondages. Mais le PAS a reculé ces derniers mois et pourrait perdre sa majorité au Parlement dans un pays confronté à des difficultés économiques, où la lutte contre la corruption et les réformes judiciaires restent inachevées.

Ce contexte a favorisé les partis d'opposition, dont certains sont liés financièrement à Moscou, comme le dénonce la présidente. Le principal d'entre eux, le Bloc patriotique, regrette que la rupture avec la Russie ait contribué, selon lui, au ralentissement économique du pays et à la flambée du prix du gaz. Il prône l'apaisement avec le Kremlin et, sur le plan social, a promis d'augmenter les pensions de retraite. De quoi polariser encore plus l'électorat moldave.

Une campagne de désinformation sur Telegram

Mais la Russie n'est pas seulement au centre des discours des candidats. Les autorités moldaves ne cessent d'alerter sur des tentatives d'ingérence depuis le début de la campagne des législatives. La Moldavie fait face à une "campagne de désinformation sans précédent" menée par Moscou, a accusé l'UE jeudi 25 septembre. "Ce n'est pas la première fois que la Russie recourt à des tactiques classiques de manipulation, mais elle va aujourd'hui beaucoup plus loin", a prévenu une porte-parole de la Commission, Anitta Hipper. Moscou "s'ingère profondément dans le processus électoral", a-t-elle affirmé.

Début septembre, la présidente moldave a elle aussi dénoncé une "ingérence sans précédent" du Kremlin dans les élections, via la désinformation. Maia Sandu est ainsi devenue la cible d'une vidéo deepfake moqueuse dans laquelle elle interprète une chanson de rap en russe qui la dépeint en dirigeante inefficace. Sur Telegram, parmi les allégations propagées en russe figure l'idée que les dirigeants européens veulent utiliser la présidente pour déclencher une guerre en Moldavie, imposer une dictature et envoyer les Moldaves se battre en Ukraine voisine. 

Un réseau secret pour inonder de propagande TikTok et Facebook

Cette campagne de désinformation d'ampleur est connue sous les noms d'Operation Overload ou Matriochka (poupée russe), selon le collectif en ligne Antibot4Navalny. L'organisation a ainsi partagé avec l'AFP de nombreuses preuves de désinformation propagée par des chaînes Telegram alignées sur le Kremlin, avant d'être relayées par des influenceurs rémunérés sur TikTok et des comptes ressemblant à des bots sur X. Certains des messages en anglais sur le réseau social d'Elon Musk imitent des médias.

Cette semaine, la BBC a publié ses conclusions sur un réseau secret financé par la Russie tentant de perturber les élections moldaves. Ce réseau, lié au politicien prorusse Ilan Shor, en fuite à l'étranger après une condamnation pour fraude, aurait payé des Moldaves pour diffuser de la propagande prorusse, générant de faux messages qui ont été vus des millions de fois. Début août, le journal moldave Ziarul de Garda révélait qu'un groupe également lié à Ilan Shor coordonnait des centaines d'activités via des groupes Telegram secrets pour inonder TikTok et Facebook de propagande anti-UE. Selon le média d'investigation, les militants ont été formés en ligne par des russophones pendant plusieurs mois et certains ont ensuite été recrutés comme trolls rémunérés par Moscou.

Microsoft a par ailleurs affirmé que le groupe de hackeurs Storm-1679, affilié à la Russie, "s'est concentré sur les prochaines élections législatives moldaves dès avril 2025", plus tôt que pour de précédents scrutins, rapporte Politico. Mi-septembre, Google a annoncé, de son côté, avoir "supprimé plus de 1 000 chaînes [YouTube] depuis juin 2024 pour avoir participé à des opérations d'influence coordonnées ciblant la Moldavie".

Un risque de violences après le scrutin

Les autorités moldaves accusent aussi Moscou de "déverser des centaines de millions d'euros" pour acheter des votes. L'an dernier, Maia Sandu avait déjà révélé que le Kremlin avait tenté de soudoyer 300 000 électeurs lors de la présidentielle. Des documents consultés par Bloomberg montrent que la Russie tente aussi de corrompre des électeurs moldaves résidant à l'étranger. Ilan Shor a même promis 3 000 dollars aux Moldaves qui descendraient dans la rue contre les "terroristes" au pouvoir, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. 

Par ailleurs, lundi, le gouvernement moldave a accusé Moscou de fomenter des "violences pré et post-électorales". Les autorités ont ainsi procédé à "250 perquisitions (...) démantelant un réseau soutenu par le GRU", le renseignement militaire russe, a précisé le conseiller pour la sécurité nationale Stanislav Secrieru sur X. Ce réseau comportait "plus de 100 Moldaves formés en Serbie par des instructeurs russes aux tactiques violentes contre la police et à l'utilisation des armes à feu, recrutés et coordonnés via Telegram", a-t-il ajouté, spécifiant que la police avait arrêté "74 personnes".

"L'Europe ne peut pas se permettre de perdre la Moldavie"

Cette accumulation de menaces fait craindre une remise en cause du processus de rapprochement de la Moldavie avec l'UE. Le pays, comme l'Ukraine, est officiellement candidat à l'adhésion depuis octobre 2024. "Nous avons déjà perdu la Géorgie (...) L'Europe ne peut pas se permettre de perdre également la Moldavie", a ainsi prévenu le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, devant l'ONU, mercredi.

Selon les experts, ces campagnes de désinformation visent à la fois à rapprocher la Moldavie de la Russie et à déstabiliser l'UE. "L'objectif n'est pas seulement de manipuler quelques votes, mais d'éroder la confiance dans le processus démocratique", explique ainsi à l'AFP Corneliu Bjola, professeur de diplomatie numérique à l'université d'Oxford. Consciente des risques, la Commission européenne a déployé ces derniers mois plusieurs outils – comme la mise à disposition d'une équipe d'experts en cybersécurité – visant à soutenir la Moldavie, alors que les Etats-Unis ont mis fin à plusieurs de leurs programmes de lutte contre les fake news, rapporte Politico. Le résultat des élections, connu dans la soirée de dimanche, ne manquera pas d'être scruté dans les capitales européennes.