"Il veut gagner du temps" : pourquoi François Bayrou tente de reprendre la main après l'échec du "conclave" sur les retraites

"Quand on a fait une longue marche, ce sont les derniers mètres les plus engageants." Pour défendre François Bayrou, empêtré dans le "conclave" sur les retraites, le député MoDem Erwan Balanant reprend sa métaphore de la "longue marche". Au petit matin, mardi 24 juin, le Premier ministre s'est lancé dans une course contre la montre pour faire accoucher les partenaires sociaux d'un consensus. Lundi soir, l'échec des négociations entre organisations syndicales et patronales l'a poussé à renier sa promesse initiale de ne pas s'immiscer dans les discussions.

En recevant à Matignon les participants du "conclave", le Palois espère relancer le dialogue et trouver "une voie de passage", mais il n'échappera pas au dépôt d'une motion de censure de la gauche, annoncé mardi par le chef du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Boris Vallaud

"Une tentative désespérée de communication"

"Habemus naufragium", ironise le député écologiste Benjamin Lucas-Lundy, à l'Assemblée, en référence au conclave papal. Tous bords politiques confondus, les oppositions voient dans ce nouveau cycle d'entretiens un coup de communication et une manœuvre politique de François Bayrou. "Il veut encore gagner du temps après l'échec du 'conclave' et de sa méthode, qui entame la légitimité de son gouvernement", tacle l'élu des Yvelines. "Les réunions de ce jour ressemblent plus à une tentative désespérée de communication. François Bayrou veut ériger un écran de fumée après l'échec du 'conclave'", enfonce Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados.

"Il cherche à noyer le poisson et à sauver quelques points", accuse Eric Coquerel, député La France insoumise de Seine-Saint-Denis. Le parti de Jean-Luc Mélenchon a appelé dès lundi soir à censurer le gouvernement Bayrou, après que les partenaires sociaux ont acté l'impossibilité de trouver un consensus. A l'autre extrémité de l'hémicycle, le député Rassemblement national Gaëtan Dussausaye s'interroge. "C'est un peu 'Sauve qui peut !' Il tente de gagner du temps. Mais est-ce qu'il en tirera quelque chose ? J'en doute", déclare l'élu des Vosges.

Il n'y a guère que les centristes pour s'enthousiasmer de cette dernière ligne droite amorcée par le président de leur mouvement. "Il a raison de ne rien lâcher. Il faut trouver un accord. C'est la définition du 'conclave', on n'en sort pas sans solution, assure Erwan Balanant. C'est pour cela qu'il essaie de mettre du liant sans mettre la pression aux organisations syndicales et patronales."

Même les macronistes sont dubitatifs sur cet ultime round de discussions. "Ce qui m'inquiète, c'est qu'il est le seul à penser qu'il y a un deal possible, s'inquiète une députée du parti présidentiel, qui voit dans les entretiens à Matignon une façon de retarder l'inéluctable. C'est comme les soins palliatifs, à la fin, on meurt quand même." Certains trouvent même la stratégie risquée. "De facto, puisqu'il reprend, ça devient son échec. Il fait peut-être ça pour se trouver une porte de sortie", s'interroge un conseiller parlementaire macroniste.

Survivre à une motion de censure 

Car François Bayrou se trouve de nouveau menacé par une motion de censure. "Ma conviction est qu'il existe, très difficile, un chemin qui peut permettre de sortir de cette impasse" et ce chemin "devrait déboucher sur un texte (...) qui pourra être examiné par la représentation nationale", a-t-il plaidé mardi, dans l'hémicycle, juste après avoir reçu les trois syndicats participant au 'conclave' (CDFT, CFTC et CFE-CGC), et le président du Medef, Patrick Martin. "Quel que soit le chemin législatif ou réglementaire que nous prendrons, il est pour moi inacceptable de laisser détruire l'équilibre financier", a toutefois prévenu le Premier ministre, déclenchant une réaction attendue de la part des socialistes.

"Le respect de la parole donnée est le socle de notre démocratie", lui a répondu Boris Vallaud, président du groupe PS. Le député des Landes lui a rappelé qu'il avait promis un débat "sans totem ni tabou", y compris sur l'âge légal de départ à la retraite, les fameux 64 ans de la réforme Borne, que la gauche et le RN veulent abroger. Or cette mesure demeure intouchable pour l'exécutif. Le Premier ministre a d'ailleurs reçu le soutien d'Emmanuel Macron, depuis la Norvège où le président de la République est en déplacement. Le chef de l'Etat a "encouragé ardemment" les partenaires sociaux "à savoir aller au-delà des désaccords qui persistent et à trouver ensemble une solution qui soit bonne pour le pays".

S'ils parvenaient à un accord, l'exécutif veut croire qu'il serait plus difficile pour les oppositions de détricoter le résultat du 'conclave', et donc d'abroger la réforme adoptée sans vote en 2023. "Un accord devra être respecté. Certaines règles pourront être mises en place sans passer par le Parlement. Et en cas de discussion à l'Assemblée, si c'est pour détricoter ce qui a été convenu, c'est non", tranche un député du bloc central. 

Avant d'en arriver là, le Premier ministre devra, pour continuer son chemin, déjouer la motion de censure spontanée que les socialistes comptent déposer mercredi ou jeudi, en vue d'un examen la dernière semaine de juin. La position du RN devrait être cruciale. Pour l'heure, les troupes de Marine Le Pen n'envisagent pas de censurer le gouvernement sur les retraites, tout en réservant leur décision, pour maintenir la pression sur François Bayrou en vue des débats sur l'énergie et le budget 2026.