Derrière les tweets d’Elon Musk (2/2) : le patron de X, porte-voix de l’extrême droite européenne
Notre investigation, menée dans le cadre d’un projet de l’Association des Médias Francophones Publics, couvre une période de cinq mois - du 4 novembre 2024, veille de l’élection de Donald Trump, au 4 avril 2025 - durant laquelle nous avons passé au crible environ 15 000 posts du patron de X.
Pour analyser cette masse de publications, nous avons développé un programme informatique qui s’appuie sur l’intelligence artificielle de ChatGPT (voir notre encadré en fin d’article). L’IA nous a servi à identifier les centaines de tweets qui forment son discours anti-européen sur X, et donc de quantifier précisément son activisme contre l’Europe. Nous avons aussi porté une attention particulière aux interactions du milliardaire, le nombre de ses retweets, réponses, et citations, calculés grâce à un script informatique. Cet ensemble de données a ensuite été vérifié et analysé manuellement, post par post.
Des influenceurs boostés par Elon Musk
Une première conclusion : Elon Musk a considérablement amplifié la visibilité d’influenceurs d’extrême droite, à l’image de la Youtubeuse allemande Naomi Seibt, considérée comme l’anti-greta Thunberg. Selon les données de notre enquête, sur la base d’une analyse réalisée par la RTBF, avant d’interagir avec Elon Musk, le profil de Naomi Seibt comptabilisait 1 117 likes sur la période analysée. Après avoir été citée et retweetée par le patron de X , Naomi Seibt a connu une augmentation de 624 % de ses likes, pour un total de 8 091 likes. La même hausse a été constatée pour les retweets de l’influenceuse qui ont connu une augmentation de 781 %.
Un phénomène identique s’est reproduit pour Radio Genoa, un influenceur anti-immigration italien, dont le nombre de likes a doublé suite à son interaction avec le compte d’Elon Musk.

Le patron de X met en valeur des comptes issus de l’Alt-right américaine comme celui de Mike Benz, ancien membre de l'administration Trump, des profils réputés proches de la Russie comme l’influenceur australo-libanais Mario Nawfal, ou des influenceurs spécialisés dans les crypto-monnaies à l’image du compte Inevitablewest. Le média polonais ultraconservateur Visegrad24 figure également parmi les profils les plus cités.
Weidel, Orban, Meloni : un soutien net aux leaders d’extrême droite
Le patron de X met aussi en avant les leaders de partis politiques d’extrême droite. Au total, Elon Musk a ainsi mentionné à 57 reprises l’AfD et sa dirigeante Alice Weidel avec laquelle il a organisé une conversation (archive) en direct sur X, le 9 janvier 2025. Nigel Farage et son parti Reform UK ont été quant à eux évoqués 21 fois.
Elon Musk soutient aussi régulièrement l’activiste britannique d’extrême droite et fondateur de l’English Defence League Tommy Robinson (archive) qui a été condamné à 18 mois de prison ferme pour des propos diffamatoires contre un réfugié syrien. Le milliardaire appelle à sa libération et a publié 26 fois à son sujet.
Au-delà de l’Allemagne et du Royaume-Uni, Elon Musk mentionne également des personnalités d’extrême droite issues du reste de l'Europe : le vice-premier ministre italien Matteo Salvini et la cheffe du Conseil italien, Giorgia Meloni, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Elon Musk s’est prononcé pour la libération de Marine Le Pen (archive) le 4 avril 2025, suite à sa condamnation pour détournement de fonds publics (l’ancienne candidate à la présidentielle n’a cependant pas été incarcérée). La cheffe de file du RN a été mentionnée au total dans 13 posts du milliardaire.
“On peut dire que Elon Musk fait de l'ingérence dans les élections en Europe, même s’il est compliqué de déterminer si le succès relatif de l’AfD aux dernières élections était dû à Elon Musk”, estime Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine, spécialiste des États-Unis, auteur de "Les mots de Trump" (Dalloz).
199 posts directement en faveur de l’extrême droite
En lançant une analyse sur le contenu des posts pour identifier les partis dans ses publications (en utilisant comme mots clés les noms des partis et de leurs personnalités) nous avons pu ainsi déterminer que le milliardaire a publié 199 posts en faveur de cette orientation politique. Il a particulièrement soutenu les mouvements d'extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni, comme nous le récapitulons dans ce graphique.

Le milliardaire commente régulièrement la vie électorale de ces pays. Il appelle ainsi clairement à voter pour l’AfD, le parti d’extrême droite allemand. Cela lui sera reproché à la suite de l’attentat du marché de Noël de Magdebourg en Allemagne du 20 décembre 2024, après lequel il publie une douzaine de posts. L’ancien commissaire européen Thierry Breton (archive) accuse alors le milliardaire “d'ingérence étrangère” en récupérant le drame pour soutenir l’AfD. De fait, le patron de X multiplie encore les publications en faveur du parti d’extrême droite en amont des élections législatives allemandes du 23 février 2025. Le 13 février 2025 (archive) , il déclare ainsi que “l’AFD est le seul espoir pour l’Allemagne.”
Sur le Royaume-Uni, le milliardaire publie 26 posts en faveur de l’extrême droite dans la semaine du 26 décembre 2024. Elon Musk se réjouit alors du fait que le parti d’extrême droite britannique Reform UK (archive) dépasse désormais en nombre d’adhérents le parti conservateur.
1 308 posts critiquant l’Europe
Quelle est précisément l’importance de l’activisme d’Elon Musk contre l’Europe ? En cinq mois, le milliardaire a publié pas moins de 1 308 posts critiquant l’Europe, soit une moyenne de 7,2 tweets par jour sur ce seul sujet.
Sur la base d’une analyse par intelligence artificielle des contenus des posts, en demandant à notre programme de déterminer la zone géographique à laquelle se rattache les posts, nous avons pu déterminer quels étaient les pays plus cités dans le discours anti-européen d’Elon Musk. Il apparaît que le Royaume-Uni, avec 593 posts, est le pays le plus visé par les critiques du milliardaire, suivi de l’Union européenne et ses institutions, de l’Allemagne et de l’Ukraine.

“L’Europe représente tout ce qu’Elon Musk déteste”
“L'Europe, et l'Union européenne en particulier, représente tout ce qu’Elon Musk déteste : sa vision du monde est très masculiniste et anti-woke alors que l'Europe est progressiste. Il y a aussi des raisons idéologiques, Elon Musk est libertarien, anti-régulation, alors que l’Union Européenne réglemente beaucoup. Il pense que les businessmen sont les maîtres du monde et ne doivent pas être empêchés”, commente Jérôme Viala-Gaudefry.

Nous avons aussi pu identifier cinq principales thématiques anti-européennes qu’Elon Musk évoque dans son discours.
Elon Musk se montre ainsi particulièrement véhément contre la politique migratoire européenne : c’est le sujet le plus critiqué par le milliardaire dans ses tweets sur l’Europe, avec 391 publications. Le 14 février 2025, le milliardaire partage un extrait du discours choc du vice-président américain JD Vance (archive), lors de la Conférence de sécurité de Munich, durant laquelle ce dernier s’en prend explicitement à l’Europe. Le vice-président affirme qu’il n’existe pas de problème “plus urgent” que l’immigration de masse et dénonce en Europe “un doublement du nombre de migrants” en provenance des pays non membres entre 2021 et 2022. Le post est visionné plus de 55 millions de fois sur le compte d’Elon Musk.

Dans ses tweets, Elon Musk dénonce aussi le lien qui existerait, selon lui, entre immigration et criminalité. Il mentionne à 103 reprises le scandale des ”grooming gangs”, une affaire de viols collectifs perpétrés par des auteurs d’origine asiatique au Royaume-Uni. Le fait divers lui permet de s’immiscer dans la politique britannique. Le 3 janvier (archive), Elon Musk s’en prend directement au Premier ministre du Royaume-Uni, Keir Starmer, qu’il accuse d’être “complice du viol de la Grande-Bretagne” du fait de ses responsabilités en tant que procureur au sein du service des poursuites de la Couronne.

La politique étrangère européenne est également dans le collimateur d’Elon Musk. Le milliardaire soutient les propos des influenceurs qui s’opposent à l’aide européenne à l’Ukraine (archive) et se prononce pour la sortie des États-Unis de l’Otan. “Cela ne fait pas de sens pour l’Amérique de payer pour la défense de l’Europe”, commente le patron de X le 9 mars dans un post vu plus de 72 millions de fois.
Le fonctionnement de la démocratie européenne, et le système électoral européen, sont aussi très critiqués par Elon Musk. Le milliardaire s’est insurgé à plusieurs reprises (archive) contre l’annulation du premier tour de la présidentielle en Roumanie puis l’exclusion du candidat d'extrême droite, Calin Georgescu, de l’élection, suite à des accusations d’ingérences russes dans le processus électoral.
Elon Musk paraît également remonté contre la réglementation européenne. Le 14 janvier 2025, le milliardaire grogne (archive) (littéralement, il écrit un post avec l’onomatopée “groan”) contre l’ancien commissaire européen Thierry Breton. Ce dernier avait critiqué le fait que les géants du web - et en particulier par Elon Musk- qualifient de censure les exigences de modération mises en place par l'Union Européenne, pour assurer les bonnes conditions du débat démocratique sur les réseaux sociaux.

“Cela s'inscrit tout à fait dans la continuité de ce que nous avons déjà vu chez Musk, avec son intérêt de longue date pour la liberté d'expression et sa critique constante de toute forme de régulation susceptible de restreindre cette liberté, commente Jessica Yarin Robinson, chercheuse à l'université d'Oslo dans le domaine des médias digitaux. “Cependant,il ne s'agit pas seulement de ses convictions personnelles sur la liberté d'expression, c'est aussi une question financière. Elon Musk possède X, qui opère en Europe, et doit faire face à des réglementations comme le RGPD, le Digital Services Act, ainsi qu'à des lois nationales encadrant la liberté d'expression. C'est véritablement un casse-tête réglementaire pour lui.”
Plus largement, l’Europe est critiquée dans les tweets d’Elon Musk car elle incarne pour lui un contre-modèle : une entité résolument progressiste, en décalage avec une Amérique engagée dans une révolution ultra-conservatrice. Mais le milliardaire paraît vouloir exporter ses valeurs dans le Vieux Monde. Ainsi, à un internaute qui se plaint d’être coincé en Europe (archive) pendant que “tout le monde célèbre la fin des conneries woke”[aux États-Unis], Elon Musk répond goguenard : “nous ferons de notre mieux pour aider depuis l’Amérique.”
Outre ces cinq thématiques de critiques de l’Europe, notre enquête a également permis de déterminer quels sont les pays les plus cités selon ces thématiques.
Il apparaît que le Royaume-Uni arrive en tête des pays visés dans la majorité des thématiques des critiques d’Elon Musk contre l’Europe, à l’exception de sa critique de la politique étrangère en Europe qui cible en premier lieu l’Ukraine.
Autant par ses interactions que par les thématiques sur lesquelles il publie, Elon Musk se fait le porte voix de l’extrême droite sur son réseau social. Rien de surprenant selon Jérôme Vialla-Gaudefroy : “Le milliardaire a la volonté de fonder un réseau d’extrême droite. L’idée est de construire une sorte d’alliance internationale entre les nationalistes autoritaires qui comprend la Russie voire la Chine.”
Pour étudier le discours d'Elon Musk sur X, les rédactions des Observateurs de France 24 et de la RTBF ont analysé et catégorisé plus de 15 000 posts publiés ou relayés par son compte (@elonmusk) sur la plateforme entre le 4 novembre 2024 et le 4 avril 2025.
Afin de catégoriser l'ensemble de ces posts, nous avons utilisé une méthode mise en place par des chercheurs en sciences cognitives de l'École Normale supérieure (voir l'article de recherche ici), qui permet d'annoter du texte à partir du modèle de langage ChatGPT. En faisant une demande de catégorisation pour chaque post via l'API de ChatGPT, (c’est-à-dire l’interface de programmation qui permet d’appeler et de soumettre du contenu à l’IA) cette méthode nous a permis d'extraire toutes les publications hostiles à l'Ukraine ou favorables à la Russie publiées ou relayées par Elon Musk, ainsi que tous ses posts critiques envers l'Europe et de soutien à l'extrême droite européenne. Une analyse humaine manuelle post par post a permis de confirmer les résultats obtenus.
Notre étude s'est appuyée à la fois sur les publications d'Elon Musk, les posts qu'il a directement relayés (par exemple par des retweets ou des quote tweets), ainsi que sur les retranscriptions des vidéos qu'il a partagées et relayées.
Notre méthodologie complète est à retrouver ici .
Cet article a été réalisé en collaboration avec Ambroise Carton et Johanna Bouquet (RTBF), Antoine Deiana (France Info).
Lisez le premier volet de notre enquête :
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