Le lièvre à la royale, enquête à couteaux tirés

Le lièvre à la royale n’est pas un plat. C’est un crime - contre la diététique, le bon sens, l’écologie - et à ce titre, il méritait bien une enquête. Mobile ? Modus operandi ? Commanditaires ? Exécutants ? Deux Sherlock Holmes sont partis en chasse, et leur procédure implacable donne lieu à un bref ouvrage très instructif, qui vient de paraître aux Éditions Menu Fretin. Ne comptez pas sur nous pour divulgâcher la solution de l’énigme mise au jour par Gérard Allemandou et Philippe Berthet-Bondet. Replaçons plutôt dans son contexte cette affaire d’importance.

D’abord, la légende, bien ancrée, souvent colportée : le lièvre est dit à la royale pour avoir été inventé à l’intention du vieux Louis XIV, chasseur vorace mais édenté. Chacun connaît la réplique culte du western de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance : « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors publiez la légende. » Disons qu’elle est transposable à la gastronomie française (premier indice).

Personne n’est d’accord sur son origine

Nos auteurs sont remontés aux sources, dans les premiers grimoires. Ils ont navigué à travers la légende des siècles en sauce. Ils nous font rencontrer plein de gens passionnants : Aristide Couteaux, sénateur et maître-queux émérite, Antonin Carême et Auguste Escoffier, commandeurs suprêmes de l’ordre de la Gueule, Mars (comme la planète) Soustelle, chef du Lucas Carton, Alain Senderens, son lointain successeur, par ailleurs auteur d’un remarquable canular à base de lièvre (second indice), Menon, mystérieux auteur au XVIIIe siècle des Soupers de la cour, Madame de Saint-Ange, Colette, etc.

Ce qui est fascinant, avec le lièvre à la royale, c’est que personne n’est d’accord sur son origine, mais que chacun est certain de détenir la vérité. La bataille d’Hernani de l’apprêt porte sur ses deux versions phares : façon sénateur Couteaux - chair effilochée dans la sauce, dégustation à la cuillère - et façon Antonin Carême - lièvre désossé, richement farci et recousu de manière à former ballottine. Jean-Claude Ribaut, dans son Dictionnaire gourmand du bien boire et du bien manger (Éditions du Rocher, 860 pages, 24 €), livre même une analyse politique de la chose : « Le lièvre à la royale de Carême, comme le drapeau blanc auquel le conte d’Artois refusa de renoncer en 1871 (…) fut le symbole expiatoire de l’Ancien Régime contre le lièvre démocratique et paysan du sénateur Couteaux », écrit ainsi l’érudit.

Nos auteurs sont remontés aux sources, dans les premiers grimoires. Ils ont navigué à travers la légende des siècles en sauce

Dans son Grand Livre de la cuisine française (Hachette), le chef Jean-François Piège donne la recette de la version parlementaire sous son intitulé familier, puis une autre de « royale de lièvre truffée à l’ancienne, dite d’Antonin Carême » - tout est dans le « dite », voir indice numéro 2. Christian Millau rappelait dans son Dictionnaire amoureux de la gastronomie (Plon) la querelle pour rire - quoique - qui opposa Colette, la plus gourmande des femmes de lettres, et son ami Raymond Oliver. L’auteur de Sido tenait pour le sénateur Couteaux (1835-1906), tandis que le patron du Grand Véfour ne jurait que par la version chic qui veut que la bestiole apparaisse « sous la forme d’une sorte d’énorme saucisson cousu aux deux bouts et en son milieu ». Millau se ralliait à Oliver.

Lisez sans faute l’enquête haletante d’Allemandou et de Berthet-Bondet avant d’aller savourer un bon lièvre à la royale, à la Couteaux ou façon Carême, peu importe - c’est la saison et attention ! elle est courte.

« Le Lièvre à la royale, petite histoire d’un grand plat ». Gérard Allemandou et Philippe Berthet-Bondet. Éditions Menu Fretin. 140 pages, 16 €.