"C'est un moyen de pression sur la France" : pourquoi l'Algérie refuse l'expulsion de certains de ses ressortissants visés par des OQTF

C'est un chiffre martelé par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau : l'Algérie avait "refusé à dix reprises" l'expulsion par la France de l'homme devenu le principal suspect de l'attentat commis samedi 22 février à Mulhouse (Haut-Rhin). Un passant avait été tué à l'arme blanche, et plusieurs agents et policiers municipaux blessés, près d'un marché. L'homme arrêté après les faits est un trentenaire algérien, qui figurait dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), et qui était visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dont l'exécution avait été empêchée par l'Algérie.

Une situation jugée "inacceptable" par le Premier ministre, François Bayrou. Celui-ci a même affirmé, mercredi, que la France s'était heurtée jusqu'à "quatorze fois" aux refus des autorités algériennes concernant cet homme. Ce même jour, lors d'un comité interministériel de contrôle de l'immigration convoqué par le chef du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a présenté un rapport demandé "aux 19 ambassadeurs dans les pays où nous avons le plus de difficultés à renvoyer les étrangers en situation irrégulière" afin de "prendre des actions vigoureuses". Parmi ces pays : l'Algérie.

"La France va demander au gouvernement algérien que soient réexaminée la totalité des accords [de 1968] et la manière dont ces accords sont exécutés", a annoncé le Premier ministre à l'issue de cette réunion. Ces accords créent un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi en France. Paris va aussi présenter au gouvernement algérien une liste "d'urgence de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays", et tiendra compte de l'exécution de ces demandes au moment de décider de l'avenir des accords migratoires. Or, en la matière, Alger n'est pas bon élève, selon la France.

Un blocage à géométrie variable

En 2024, environ 42% des 5 000 demandes de laissez-passer consulaires formulées par la France ont été acceptées dans les temps par les autorités algériennes, a appris franceinfo auprès de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), qui dépend du ministère de l'Intérieur. Ce laissez-passer consulaire est indispensable aux autorités françaises si elles veulent renvoyer dans leur pays des étrangers en situation irrégulière. Il fait office de document de voyage. A titre de comparaison, tout pays confondu, environ 60% des demandes françaises de laissez-passer ont été acceptées en 2024. Néanmoins, "le nombre d'Algériens éloignés progresse constamment depuis 2021, et place cette nationalité en première position" parmi les étrangers expulsés par la France, note le ministère de l'Intérieur dans son rapport sur les chiffres de l'immigration en 2024.

Les autorités algériennes "jouent en réalité un double jeu, peste une source gouvernementale. Ils ont la volonté de montrer qu'ils ne sont pas les mauvais élèves – longtemps, cela a été le Maroc, par exemple – mais ils bloquent sur des dossiers qui sont prioritaires pour nous."

"Alger bloque sur des cas dont ils estiment qu'ils sont en capacité d'humilier la France."

Une source gouvernementale

à franceinfo

Outre l'attaque de Mulhouse, le cas de plusieurs influenceurs algériens a largement crispé les relations franco-algériennes ces dernières semaines. L'homme connu en ligne sous le pseudonyme Doualemn est ainsi au cœur d'un bras de fer entre Alger et Paris : sous le coup d'une OQTF, il avait été placé dans un avion vers l'Algérie, puis renvoyé vers la France par les autorités algériennes, le 9 janvier. Le tribunal administratif de Melun a finalement annulé son OQTF, le 6 février.

Selon l'entourage de Bruno Retailleau, cela n'a pas eu d'incidence sur d'autres dossiers. "Dans la semaine qui a suivi son retour en France, on a obtenu 43 laissez-passer consulaires d'Alger". Pour refuser certains noms transmis par les autorités françaises, l'Algérie réfute qu'ils aient la nationalité algérienne. "Ils contestent la nationalité pour des personnes qui ont, par exemple, brûlé leur passeport, et vont faire échouer des éloignements dont ils savent que cela va affaiblir la position de la France", explique une source proche du dossier.

Faire payer une "trahison" sur la question du Sahara occidental

Ces difficultés ne se limitent pas à l'expulsion d'Algériens. "La question du refus de reprendre des ressortissants, sous OQTF, se pose de manière globale avec d'autres pays", observe auprès de franceinfo Jean de Gliniasty, ancien diplomate et directeur de recherche à l'Iris, qui souligne que de nombreux pays d'origine bénéficient de l'argent envoyé par leurs ressortissants travaillant en France. Néanmoins, "il faut replacer le problème des OQTF dans le contexte de la relation franco-algérienne, qui est très mauvaise", note un ancien diplomate français en poste en Algérie.

Les relations entre Alger et Paris traversent en effet une nouvelle phase de turbulences après l'annonce, fin juillet, de l'appui de Paris au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental. Un soutien que le président français Emmanuel Macron a réitéré lors d'une récente visite au Maroc. Alger, qui soutient les indépendantistes dans ce territoire, avait alors annoncé le "retrait immédiat" de son ambassadeur en France et réduit sa représentation diplomatique. "Ils voient ça comme une trahison de la France qui aurait choisi le Maroc au détriment de l'Algérie. Or, ils estiment que la France a une dette morale à leur égard à cause de la colonisation", remarque cet ancien diplomate.

Le 2 février, dans une interview à L'Opinion, le président algérien Abdelmadjid Tebboune assurait avoir prévenu Emmanuel Macron qu'il commettait sur ce dossier "une grave erreur". "Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le président Macron", dénonçait-il. Interrogé sur la question des demandes de laissez-passer consulaires adressées par la France, il balayait le sujet, affirmant que "beaucoup de clandestins se font passer pour des Algériens".

"Il y a peu d'entrées illégales, la plupart de mes compatriotes arrivent en France avec des visas".

Abdelmadjid Tebboune, président de l'Algérie

à L'Opinion

Mais, dans les faits, "Alger voit dans les refus de délivrer des laissez-passer consulaires un moyen de pression sur la France, afin de manifester son mécontentement", poursuit l'ancien diplomate français interrogé par franceinfo. Qui plus est après les déclarations d'Emmanuel Macron. Cette même source assure qu'il va falloir que la France et l'Algérie trouvent un terrain d'entente sur la circulation des personnes, "en faisant preuve de sang-froid, et sans que cela soit traité sur la place publique". Devant la presse, mercredi, François Bayrou a d'ailleurs refusé d'entrer dans certains détails. "La plupart des actions efficaces sont celles sur lesquelles on n'a pas intérêt à communiquer", glisse une source au quai d'Orsay.