Qui pour succéder à Justin Trudeau ? Au Canada, conservateurs et libéraux au coude-à-coude dans une élection décisive
Mark Carney à Hamilton. Pierre Poilievre dans son fief de Carleton. La 36e journée de campagne s’est achevée en Ontario, province clé avec 122 des 343 sièges de la Chambre des communes en jeu, soit plus de 35 % des mandats. Les dés sont lancés entre l’actuel premier ministre libéral Mark Carney et son rival conservateur, en lice pour le poste de chef de gouvernement du Canada. Le Parti conservateur du Canada (PCC), mené par Pierre Poilievre, et le Parti libéral du Canada (PLC) de Mark Carney sont au coude-à-coude, devant les néodémocrates (NPD) et le Bloc québécois (BQ).
Alors que l’issue des élections fédérales canadiennes semblait écrite d’avance il y a quelques mois, la réélection de Donald Trump aux États-Unis a rebattu les cartes. Considéré comme un « mini-Trump », le chef du PCC a vu son avance s’effriter, victime de l’effet Trump et de la crainte d’une guerre commerciale menaçant Ottawa. Ce sursaut patriotique bénéficie à son rival Mark Carney, dans une campagne marquée par l’attaque meurtrière à la voiture-bélier, samedi soir, à Vancouver.
L’ombre de la guerre commerciale menée par Donald Trump
Qui saura mieux répondre à l’agressivité américaine ? Cette question a dominé la campagne. Le futur premier ministre, désigné selon la majorité parlementaire dégagée à l’issue du scrutin, devra affronter la crise déclenchée par Trump, sur fond de menaces tarifaires et d’annexion. « Un gouvernement n’aura jamais abordé son mandat avec autant d’incertitudes économiques et géopolitiques », analyse la journaliste Chantal Hébert au micro de Radio Canada.
Les deux hommes proposent deux solutions aux menaces tarifaires : les libéraux promettent d’éliminer les barrières interprovinciales et d’indemniser travailleurs et entreprises touchés par la guerre commerciale grâce aux revenus des contre-tarifs ; les conservateurs prônent des coupes fiscales, ce qui comprendrait la suppression complète de la taxe carbone (déjà entreprise sous Mark Carney).
Investi premier ministre le 14 mars, après la démission de Justin Trudeau, Mark Carney a surfé sur son slogan « Un Canada fort » et sur son profil d’économiste. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada (2007-2013) et d’Angleterre (2013-2020) a construit son discours en opposition frontale à la guerre commerciale de Trump. Cet « homme de finance », comme il aime à se présenter, veut relancer la défense nationale, investir dans les infrastructures énergétiques et « réinventer » l’économie pour réduire la dépendance du pays vis-à-vis des États-Unis. Son adversaire s’aligne sur la création d’un guichet unique pour accélérer la construction de grands projets énergétiques.
Au diable la protection de l’environnement, la priorité des deux candidats a été donnée aux énergies fossiles. Sous la bannière d’un Canada « superpuissance énergétique mondiale », le chef du Parti libéral mise sur l’intensification de la production pétrolière, avec un allègement des procédures d’exploitation des ressources naturelles. Pierre Poilievre, politicien de carrière ayant siégé dans le gouvernement Harper (2006-2015), s’oppose à toute politique environnementale contraignante, qualifiée « d’attaque contre l’industrie pétrolière et gazière ». Il prône l’essor des hydrocarbures et l’abandon des objectifs climatiques de l’accord de Paris, optant pour une approche techno-solutionniste controversée.
Sécurité et crise sociale au cœur des débats
Au-delà de l’ombre trumpiste, la campagne a aussi porté sur les problèmes domestiques. La députée bloquiste Christine Normandin (BQ) et d’autres ont tenté de ramener le débat sur « l’avenir des Canadiens au-delà de la question tarifaire », face à une inflation persistante, une crise du logement et un déficit public dépassant 60 milliards de dollars.
Le premier ministre actuel a dû rassurer en se distanciant de l’impopularité de son prédécesseur Justin Trudeau. Poilièvre, de son côté, dénonce une continuité politique, attaquant sur les années de son rival en tant que conseiller économique informel auprès du gouvernement Trudeau. Selon lui, Mark Carney n’est qu’« un produit neuf dans l’ancien emballage ». Après neuf années de gouvernance libérale, le conservateur a promis d’incarner « le changement ».
Misant jusque-là sur l’américanisation de la politique canadienne, qui n’est pas d’actualité, le candidat conservateur a désespérément tenté de décoller son étiquette de « Trump canadien ». Aligné sur une politique d’austérité à l’œuvre aux États-Unis, Poilievre a promis de larges coupures dans la bureaucratie canadienne, une réduction de 9,4 milliards de dollars d’ici à 2029 dans l’aide internationale et des sanctions pour les universités jugées laxistes envers l’antisémitisme. Tout aussi réactionnaire que son voisin américain, l’homme de 45 ans a annoncé son intention de mettre « fin à l’imposition de l’idéologie woke » dans la fonction publique fédérale et la recherche.
Autre enjeu majeur de cette campagne, la sécurité. Un domaine sur lequel les conservateurs ont misé en plaçant la lutte contre la criminalité au cœur de leurs priorités nationales. Alors que l’attaque à la voiture-bélier a endeuillé les dernières heures de la campagne, ils ont promis, entre autres, de se soustraire à la charte canadienne des droits et libertés pour permettre aux juges de prononcer des peines d’emprisonnement consécutives pour les auteurs de crimes multiples, d’instaurer une peine de prison à vie pour les trafiquants de fentanyl et de donner davantage de pouvoir aux forces de l’ordre pour démanteler les campements dans les espaces publics.
À l’approche des résultats du scrutin, ceux-ci s’annoncent très serrés. Les circonscriptions de l’Ontario et de Colombie-Britannique, oscillant entre libéraux et conservateurs, seront décisives. Le siège du leader néodémocrate (NPD), Jagmeet Singh, est lui aussi en jeu à Burnaby-Sud, tandis que son parti lutte pour atteindre les 12 % nécessaires à la reconnaissance officielle à la Chambre des communes.
À l’issue d’une campagne dominée par la crise économique et les tensions commerciales, les Canadiens trancheront entre deux visions du pays : celle de Mark Carney, qui incarne une certaine continuité économique et une défense résolue de la souveraineté canadienne face au voisin américain, et un virage conservateur porté par Pierre Poilievre axé sur des politiques plus radicales.
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