Emmanuel Macron va égaler le record du nombre de premiers ministres sous la Ve République
Emmanuel Macron s’apprête à égaler le record du nombre de nominations de premiers ministres pour un président de la Ve République. Mardi, François Bayrou a remis sa démission à Emmanuel Macron après avoir été renversé la veille par l’Assemblée nationale lors d’un vote de confiance. Dans un communiqué, le chef de l’État a fait savoir qu’il nommerait un nouveau premier ministre «dans les tout prochains jours ».
Il s’agira alors de son septième chef de gouvernement depuis son premier mandat débuté en 2017. Emmanuel Macron égalera ainsi le record jusqu’ici détenu par François Mitterrand, sous la Ve République.
Passer la publicitéDurant son premier mandat, le président a successivement nommé Édouard Philippe (du 15 mai 2017 au 3 juillet 2020) puis Jean Castex (du 3 juillet 2020 au 16 mai 2022). Lors de son deuxième mandat, il a nommé Élisabeth Borne (du 16 mai 2022 au 9 janvier 2024), Gabriel Attal (du 9 janvier au 5 septembre 2024), Michel Barnier (du 5 septembre au 13 décembre 2024) et François Bayrou (depuis le 13 décembre 2024).
François Mitterrand a lui aussi travaillé avec sept premiers ministres : Pierre Mauroy (1981-1984), Laurent Fabius (1984-1986) et Jacques Chirac (1986-1988) au cours de son premier mandat. Ainsi que Michel Rocard (1988-1991), Édith Cresson (1991-1992), Pierre Bérégovoy (1992-1993) et Édouard Balladur (1993-1995) pendant son second mandat.
Cohabitation forcée
À la différence près que François Mitterrand était élu pour sept ans, contre cinq pour Emmanuel Macron. Ce dernier a donc changé «plus rapidement de chef de gouvernement que son prédécesseur. Et son deuxième quinquennat n’est pas encore terminé», souligne Christophe Boutin, politologue et professeur de Droit public à l’Université de Caen, laissant entendre que le résultat du président actuel pourrait dépasser celui de François Mitterrand dans les prochains mois.
Cependant, la comparaison a ses limites. Entre les deux septennats de François Mitterrand et les deux quinquennats d’Emmanuel Macron, la réforme constitutionnelle de 2000 a radicalement changé le contexte institutionnel. À l’époque du président socialiste, les élections législatives intervenaient tous les cinq ans, et avant chaque élection présidentielle. De plus, la pratique voulait que le président élu provoque la dissolution de l’Assemblée lorsqu’elle ne correspondait pas à sa couleur politique. «François Mitterrand ne pouvait pas commencer ses mandats avec, dans l’hémicycle, une majorité du camp politique opposé. Dissoudre l’Assemblée lui permettait donc de retrouver une majorité», explique le politologue. C’est ainsi que le président socialiste a provoqué une dissolution dès son arrivée au pouvoir en 1981, avant de perdre la majorité lors des élections législatives de 1986 gagnées par la droite. Il dissout à nouveau l’Assemblée lors de sa réélection en 1988, puis perd de nouveau la majorité cinq ans plus tard, en 1993. «Dans son cas, les deux défaites aux législatives lui ont été imposées par le calendrier institutionnel», note Christophe Boutin. En 1986, «il a été contraint de nommer Jacques Chirac», inaugurant ainsi la première cohabitation de l’histoire de la Ve République, suivi par une nouvelle cohabitation en 1993 avec Édouard Balladur.
Pour renforcer la stabilité institutionnelle et diminuer les risques de cohabitation, la réforme constitutionnelle de 2000 instaure le quinquennat présidentiel et la loi organique de 2001 inverse le calendrier électoral, pour que les élections législatives interviennent après l’élection présidentielle. Emmanuel Macron a éprouvé les limites de ce cadre institutionnel par la dissolution qu’il a provoqué le 9 juin 2024. Par cette décision, il espérait conforter sa majorité fragilisée à l’Assemblée. Mais elle a produit l’effet inverse : «Cela n’a abouti qu’à une tripartition de l’hémicycle. Il n’existe plus de majorité claire de droite ou de gauche. L’Assemblée est aujourd’hui beaucoup plus fragmentée et les majorités relatives», résume le politologue. Malgré cela, Emmanuel Macron «ne s’est jamais retrouvé dans le cas d’une véritable cohabitation.» Ce qui pourrait se produire, si des personnalités comme le socialiste Olivier Faure ou le président du Rassemblement national Jordan Bardella accédaient à Matignon.
Passer la publicitéRôle de «fusible»
Ainsi, les multiples changements de premiers ministres sous l’ère Emmanuel Macron «prouvent les limites actuelles du rôle de chef de gouvernement», conclut Christophe Boutin. «Le premier ministre a longtemps été considéré comme un fusible qui protège le président. Pierre Mauroy, par exemple, a appliqué la politique économique de François Mitterrand. Et c’est sur lui qu’on a fait porter la responsabilité des décisions. Quand le président a décidé de changer de politique, il a simplement changé de premier ministre, préférant Laurent Fabius», rappelle le politologue.
Christophe Boutin observe que le premier ministre n’a plus ce rôle de «fusible» d’autrefois. «On sent bien aujourd’hui que c’est Emmanuel Macron qui est en réalité visé par les attaques dirigées contre ses différents premiers ministres», remarque-t-il. «Emmanuel Macron change les têtes mais pas sa politique», résume-t-il encore.
Avant Emmanuel Macron, Jacques Chirac a lui aussi provoqué une dissolution de l’Assemblée en 1997 qui lui a coûté très cher politiquement. «Il s’est vu contraint à une cohabitation avec Lionel Jospin», raconte Christophe Boutin. À noter, enfin, que Nicolas Sarkozy est le seul président de la Ve République à avoir conservé son premier ministre, François Fillon, du début à la fin de son mandat.