La droite, le RN et quelques autres défendent Le Pen, mais qui défend encore la probité des élus ?

Parmi les 24 condamnés en première instance pour « détournement de fonds publics », on compte bien des noms connus de la vie politique française : Marine Le Pen, Louis Aliot, Nicolas Bay, Julien Odoul… Élus européens, députés, maires, ils ne représentent pas que leur propre identité. Ils ont une écharpe, des fonctions. Et elles les obligent. En particulier à « propager l’esprit public » et « l’amour des lois », comme le disait Robespierre.

Mais par son jugement du 31 mars, en attendant que la cour d’appel ne se prononce, le tribunal correctionnel de Paris a estimé qu’ils ont contrevenu à la loi et failli à leurs devoirs. Le scandale est là. D’où les peines d’inéligibilité prononcées. Pourtant, suivant les outrances du Rassemblement national (RN), dont les cadres qualifient les juges de « rouges » et de « tyrans », de nombreux ministres, élus et représentants républicains ont préféré déporter le sujet. Le scandale, ce serait la justice, coupable de ne pas accorder de privilèges.

Dix ans d’avancées pour l’éthique en politique

Parmi eux, le Premier ministre, François Bayrou figure en bonne place. « Troublé » par ces condamnations, selon son entourage, celui-ci a rapidement fait part de ses « interrogations » devant l’Assemblée nationale, allant jusqu’à inviter les parlementaires à conduire une « réflexion » pour venir à bout de « l’exécution provisoire d’une peine ».

C’est pourtant ce même François Bayrou qui, en 2013, au moment de l’affaire Cahuzac (ministre socialiste depuis déclaré coupable de fraude fiscale), avait pris la plume pour demander à François Hollande, alors président de la République, une « nouvelle nuit du 4 août 1789 pour abolir un certain nombre des privilèges ». « Qui ne voit pas que la moralisation de la vie publique devient un impératif d’urgence dans un pays où plus personne, si les choses continuent ainsi, ne va pouvoir donner sa confiance aux responsables de la vie publique ? » s’interrogeait-il. C’était avant que n’éclate l’affaire des assistants parlementaires du Modem en 2017.

Dans ce combat contre l’exécution immédiate d’une peine d’inégibilité, le chef du gouvernement a par ailleurs trouvé un allié inattendu de l’autre côté du spectre politique : Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise. « La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple », a-t-il déclaré la semaine dernière. En 2022, lors de la campagne présidentielle, l’ancien socialiste promettait pourtant de « rendre inéligible à vie toute personne condamnée pour corruption ».

Un « droit constitutionnel éthique »

Le combat pour l’exemplarité des élus est-il à ranger au rang de nos vieux souvenirs ? En dix ans pourtant, depuis les révélations sur l’évasion fiscale de Jérôme Cahuzac, les avancées pour la probité des élus ont été nombreuses. De la création du Parquet national financier (PNF) en 2013 à celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui oblige notamment les élus à fournir des déclarations d’intérêts et de patrimoine. Sans oublier la loi Sapin 2 de 2016, qui impose aux juges de considérer la possibilité de prononcer une peine d’inéligibilité au même titre que celle de décider d’une peine de prison ou d’une amende.

Dix ans d’avancées qui ont permis de produire, selon le juriste Olivier Beaud, un « nouveau droit que l’on pourrait appeler ”droit constitutionnel éthique” ». « La loi est bien faite, observe Diane Semerdjian, responsable plaidoyer de Transparency International. Depuis 2016, on est passés de 171 peines d’inéligibilité prononcées à 9 125. Il y a eu un avant et un après en termes d’exigence pour protéger la démocratie et l’État de droit. »

Par ailleurs, au niveau européen, « une directive projetant d’interdire à toute personne reconnue coupable de corruption de se présenter à des fonctions publiques » est en préparation, ajoute-t-elle. « J’espère que la France, pays qui présente la législation la plus ambitieuse sur cette question, sera leader dans ces discussions, souffle-t-elle. Mais les débats qui agitent notre pays en ce moment nous font forcément redouter un retour en arrière. Ce qui serait extrêmement préjudiciable pour les démocraties européennes. »

Un enjeu essentiel pour la démocratie

« À qui veut-on faire croire que nous serions allés trop loin dans la moralisation de la vie politique ?, s’interroge Ian Brossat, sénateur et porte-parole du PCF. Tous les baromètres montrent à quel point la confiance s’est érodée entre les citoyens et leurs élus. On ne gagnera rien à reculer sur les questions de transparence et d’exemplarité. Il faut rester ferme. »

S’il tient à rappeler que la « grande majorité des élus de la République respecte les lois », le communiste affirme qu’il ne serait « pas acceptable que l’on renonce à la moralisation de la vie politique parce que quelques-uns, par leur comportement, salissent l’image de la politique de manière globale et se déclarent ensuite victimes de la justice ».

Une position partagée par un autre sénateur, le socialiste Patrick Kanner : « Le vrai problème démocratique, ce n’est pas de rendre inéligible une élue de la République, c’est qu’un grand parti comme le RN ait possiblement pu, de 2004 à 2016, détourner des fonds européens pour son bien-être partisan. En attendant l’appel, cette exécution est sûrement le meilleur moyen d’éviter que les politiques ne fassent des bêtises. C’est un outil de prévention, un garde-fou essentiel. »

Alors, que faire ? Élus comme engagés dans la lutte pour la probité répondent de concert : « Aller plus loin. » « Quand on est en démocratie, on doit pouvoir aller devant les électeurs à armes égales avec ses concurrents. Donc en ne détournant pas d’argent public au détriment des autres. C’est essentiel à la bonne tenue des élections. C’est un enjeu majeur », insiste la députée écologiste Léa Balage El Mariky. Diane Semerdjian, de Transparency International, reprend : « Pour que cette lutte perdure, il faut une stratégie d’État claire sur la question de la probité qui doit passer par solidifier l’écosystème qui permet de lutter contre la corruption et qui est aujourd’hui menacé par l’extrême droite. » Et pas seulement.

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