Mayotte : Chido ne suffit pas
Chido a dévasté l’île de Mayotte le 14 décembre 2024. L’ensemble de la population a été sinistré. Les dégâts considérables n’ont pas encore été complètement évalués. Trois mois plus tard, rien n’est venu apaiser les souffrances des Mahorais.
L’eau n’arrive pas au robinet, sinon selon un tour d’un à deux jours par cycle de trois jours, ritournelle inaugurée voici deux ans. Il a fallu près de deux mois pour rétablir l’électricité sur l’ensemble du réseau, à l’exception de quelques zones toujours dans le noir.
L’agriculture est moribonde, les arbres sont à terre ou dépecés, les forêts couchées.
Le commerce s’essouffle, les rayons dans les magasins ne sont plus achalandés des produits essentiels sans que l’on sache si la pénurie vient de la défaillance des circuits de distribution ou de la cupidité des spéculateurs.
Les secours promis se sont égarés en chemin.
La moitié au moins des édifices publics ont été endommagés. Selon le rectorat, 30 % des bâtiments scolaires sont inutilisables, aggravant l’accès déjà problématique de chaque enfant à l’école, une obligation toujours menacée.
Les administrations restent fermées. Mais la numérisation presque achevée de la fonction publique donne l’illusion de la continuité de l’État. L’amélioration de la qualité des services publics par l’innovation numérique prive de leur droit les plus modestes là où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national, et où le revenu médian mensuel ne dépasse pas 260 euros.
La détresse des habitants est totale. Certains, privés de leur logement, n’ont pas eu d’autres choix que de quitter la terre où ils ont grandi. Des familles ont confié leurs enfants à des proches habitant les autres départements à seule fin de sauver leur scolarité.
Les administrations territoriales ou nationales sont sous-dimensionnées par rapport aux urgences, aux besoins, à tous les défis posés. Et l’État reste lointain, indifférent.
Mayotte se sent abandonnée.
Le 20 décembre, le président de la République est venu insulter la population traumatisée : « Vous êtes content d’être en France […] Parce que si ce n’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde. Il n’y a pas un endroit de l’océan Indien où on aide autant les gens ! »
Et puisque à présent la France, ce sont les Français sans les autres, il n’a pas manqué de désigner les étrangers comme la cause des maux de Mayotte, s’engageant à poursuivre la lutte contre l’immigration clandestine en éloignant 40 000 personnes par an au lieu des 23 000 en moyenne depuis 2018. Et à détruire les bidonvilles. Engagement confirmé par le premier ministre, M. Bayrou, lors de son passage le 30 décembre 2024 : « l’État et les pouvoirs publics locaux s’accordent pour interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles ».
Puisque Chido ne suffit pas, il importe de poursuivre Wuambushu sans faiblir.
Ainsi, bien que tous les bangas – terme local désignant les bidonvilles – aient été remontés en quinze jours, offrant un toit à près de la moitié de la population de l’île, français et étrangers mélangés, l’État s’acharne contre ce mode d’habitat qui, en l’absence d’alternative, offre une possibilité de mise à l’abri, au moins provisoire, en cas de crise.
Le 4 janvier, quatre jours après l’annonce du premier ministre, le préfet prend un arrêté portant réglementation de la vente des tôles pour gêner la reconstruction des bidonvilles. Mais ce n’est pas tout, un mois plus tard, le 7 février, il signe un arrêté de démolition d’un quartier pauvre où vivent selon une enquête bâclée environ 70 familles. Dès le 17 janvier, à peine une semaine après le passage de la tempête tropicale Dikeledi du 12 janvier qui a de nouveau meurtri le sud de l’île, le préfet a envoyé sur le quartier condamné des policiers municipaux et des travailleurs sociaux afin de procéder aux premiers repérages, d’esquisser une enquête sociale et surtout de prévenir les habitants qu’il fallait déguerpir.
Depuis la mise en œuvre de l’article 197 de la loi Elan qui autorise les préfets de La Guyane et de Mayotte de détruire l’habitat insalubre sur simple décision administrative, pas moins de 3500 logements auront été détruits et 14 500 habitants mis à la rue. Quelques rares familles auront été hébergées pour des périodes de trois semaines à six mois. Les autres se sont dispersées à l’intérieur de bâtiments en construction ou simplement déplacées dans des quartiers voisins.
Ces démolitions, non accompagnées d’une politique volontariste de projets d’urbanisme incluant la construction de logements sociaux accessibles aux familles délogées, ont pour conséquence de tendre sévèrement le marché de l’immobilier légal ou informel. En effet cette politique d’assèchement augmente de façon démesurée la demande de logements tout en réduisant l’offre, causant une importante inflation des loyers et des prix de l’immobilier.
Mais que l’État n’ait même pas envisagé une pause dans la politique exclusive qu’il mène contre la population de Mayotte, toute catégorie confondue, et qu’il a efficacement désignée du label exotique de Wuambushu, voilà qui dépasse l’entendement.
Une telle politique de « décasage », selon le terme local, est incompréhensible sauf à admettre que l’État ne vise qu’à détruire et à déplacer les populations pauvres vers les îles voisines de l’archipel des Comores. Il montre qu’il peut décliner sans retenue à Mayotte l’idéologie xénophobe qui contamine à présent la totalité du spectre politique du Modem au Rassemblement national si l’on se fie à la liste des parlementaires qui ont voté pour la restriction du droit du sol le 6 février dernier.
L’opération de décasage du quartier Hacomba dans la commune de Bandraboua est imminente. Les habitants, traumatisés par Chido et le harcèlement permanent qu’ils subissent de la part des autorités, n’entrevoient aucune solution dans le paysage dévasté.