Signe des temps ? L’authenticité, la simplicité, la pérennité, la neutralité sont aujourd’hui, plus que jamais, plébiscitées… En ces périodes d’incertitude, de conflits – tant territoriaux qu’économiques –, de climat anxiogène, ces valeurs rassurent. Derrière elles, se cache un véritable manifeste citoyen. L’envie de circuits courts, de local, d’artisanal. Le besoin de se reconnecter avec le vivant. Force est de constater que le design n’échappe pas à la règle. « Tout doit aujourd’hui être réalisé à la main – ou du moins en avoir l’air. Les codes de l’artisanat sont omniprésents. Il n’y a qu’à voir à quel point on use et on abuse de techniques comme la céramique ou le tressage », remarque le designer Jean-Baptiste Fastrez. « Face à l’impermanence de l’époque, on a besoin de choses stables, immuables. Nous sommes rassasiés de produits transformés et maquillés. Tout est tellement photoshopé, filtré pour être posté sur les réseaux sociaux, que l’on a plus que jamais envie d’authenticité, ajoute son confrère, Jean-Marie Massaud, qui vient de réaliser une table d’appoint en pierre Calacatta, pour Poltrona Frau. Le marbre, fruit de forces telluriques, porte justement cette immanence authentique. »
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C’est une constante, plus qu’une tendance, les créateurs misent sur les matériaux bruts, naturels, non traités. « Ils nous parlent et nous donnent des indications sur le sens de la nature », estime le créateur Reda Amalou. Sa table Bamboo – qui tire son nom de la pierre agate bambou – réalisée en collaboration avec le marbrier façonnier Blanc Carrare, en est un bon exemple. « Ce matériau assez particulier a un veinage naturel qui lui donne l’aspect strié du bambou, poursuit-il. C’est l’avantage de ces matières naturelles, selon la manière dont elles sont découpées, elles prennent différemment la lumière. Pour cette table, j’ai ainsi créé des emboîtements et des encoches qui permettent de découvrir le veinage sous toutes ses formes. » Selon le designer français, ce qui intéresse les créateurs, c’est justement le dialogue avec ces matières qui n’ont jamais le même grain, jamais le même vernis. Donnant ainsi de la personnalité et de la profondeur aux objets. Vu sous cet angle, son matériau préféré est le noyer américain dont la veine particulière et la couleur profonde changent constamment.
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DANS LES TRACES DU MODERNISME
Du côté du consommateur, le constat est similaire. Une table en marbre, un fauteuil en bois massif, une assise en cuir ou en rotin, une assiette en porcelaine fine, une lampe en verre soufflée n’ont jamais été autant recherchés pour décorer un intérieur. Toutes les grandes maisons en proposent à leur catalogue. Pas un seul designer de renom ne dédaigne ces matières pures et simplissimes. Même un meuble en aluminium ou en acier tubulaire, tout simple, juste poli, est devenu la quintessence même du bon goût. « Dans l’inconscient collectif, une table en pierre ou en bois massif traverse les âges et laisse sous-entendre l’idée que ce qui sort de terre retourne à la terre. C’est aussi une manière de se rassurer. Force est de constater qu’aujourd’hui les matériaux transformés ont mauvaise presse », reconnaît Jean-Baptiste Fastrez, qui vient de signer une collection de mobilier, éditée par Tectona et le Mobilier National pour le Pavillon français de l’exposition universelle d’Osaka : une table et des chaises, réinterprétation des meubles de bistrot, fabriqués avec du frêne massif et de l’acier tubulaire. À y regarder de près, ne peut-on pas y voir un retour au modernisme ? Ce courant qui prônait des lignes épurées, qui éliminait les fioritures, les ajouts décoratifs et privilégiait le moins de transformations possible de la matière, la préférant brut de décoffrage. Un courant qui annonçait le brutalisme, mouvement architectural des années 1950 et 1960 magnifiant le côté rude et primitif du béton, mis en lumière dans le film The Brutalist, l’épopée de trois heures trente-cinq minutes du réalisateur Brady Corbet avec Adrien Brody.
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Aujourd’hui, écoresponsabilité oblige, le design met un point d’honneur à utiliser le moins de matériaux possible. La boucle est bouclée. « Prenez une chaise de Marcel Breuer en acier tubulaire. Elle est l’essence même de la simplicité, le matériau est brut et n’a pas besoin d’être caché, ajoute Jean-Baptiste Fastrez. Plus tard, dans les années 1980, à l’époque du postmodernisme, on s’en fichait. On mettait des décors sur du bois, on chargeait à mort, on utilisait des faux marbres. De nos jours, la constante est la sobriété, même si on assiste à un mélange de plusieurs tendances. » Cette bonne conscience écologique s’accompagne aussi d’une vague vintage, poussée par l’idée du « c’était mieux avant ».
« Il suffit de voir à quel point les marques rééditent à tout va les artistes des années 1950. Cinna refait du Charlotte Perriand , Vitra ressort du Prouvé. Même chose pour les créations de Pierre Paulin que l’on s’arrache. C’est de la folie. » Cela, sans compter la tendance de la seconde main. Nous ne sommes plus dans l’idée « je consomme, je jette », mais dans la quête de choses qui vont durer. Jean-Baptiste Fastrez avance également un autre constat. « De nos jours, les gens ont peur du futur et, avec lui, de son lot d’innovations. C’est le revers de la médaille et tout l’inverse de ce qui se passait dans les années 1960 et 1970, où tout le monde souhaitait être avant-gardiste. Les designers les premiers, qui surfaient sur la mode du plastique et du pop. »
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Fini donc le plastique, les résines, les matières synthétiques, les créateurs – et de surcroît les consommateurs – ont envie de naturalité. Ils y voient quelque chose de rassurant, pérenne et neutre. Un désir qui va au-delà du design. Avec sa double casquette de créateur et d’architecte, notamment d’hôtels, Reda Amalou a remarqué à quel point les écolodges étaient dans l’air du temps. Il vient ainsi de finaliser quatre cabanes écologiques dans des zones naturelles en Franche-Comté pour l’enseigne touristique Coucoo Cabanes. Des refuges noyés dans la nature, dont le dessin évoque un bourgeon avant son éclosion. « Pour être réceptif, le public a besoin de sens », remarque-t-il. À bon entendeur.
Photographe Daniel Riera / réalisation Belén Casadevall / stylisme déco Réka Magyar / assistant photographe et digital operator Marc de Miguel / assistante stylisme Emie Dieudegard / coiffure Sachi Yamashita / maquillage Thomas Lorenz / casting Maria Pablo Feliz / modèle Akuol (Oui Management) / Merci à Eric Graovac, Karim Sennani-Youcef et Jean-Valéry Tarascon.