Incidents lors de Nice-Marseille : "Pour améliorer les choses, il faut un équilibre entre le répressif et l'éducatif", estime un spécialiste du supportérisme

L'affiche de la 19e journée de Ligue 1 a été marquée par des incidents en tribunes. Dans le stade de l'Allianz Riviera de Nice, face à Marseille, des supporters niçois ont brandi des banderoles insultantes à l'égard de leurs adversaires, dont une qualifiée de raciste par le maire de la cité phocéenne Benoît Payan. Avant d'être remportée par les Aiglons (2-0), la rencontre a également été momentanément interrompue à cause de chants homophobes.

Interrogé par franceinfo: sport, Dominique Bodin, professeur en sociologie à l'Institut d'Etudes Politiques de Fontainebleau et spécialiste des questions sur liées au supportérisme, revient sur ces incidents. Il affirme le caractère raciste de la banderole s'adressant aux Marseillais et estime qu'un travail doit être mené sur les volets répressif et éducatif par les instances du football français.

Franceinfo: sport : L'utilisation du terme "rats" pour qualifier les Marseillais est-elle "raciste" comme le dénonce Benoît Payan, le maire de Marseille ?

Dominique Bodin : C'est forcément raciste. Dans tous les cas, c'est discrimimant. Rappelez-vous les affiches SS [Schutzstaffel, une organisation nazie fondée en 1925] qui assimilaient les juifs aux rats. Cela renvoie aux arabes, aux personnes de couleur, aux personnes qui dérangent, qui "prendraient le pain des Français"

Comment expliquer cette impression que les incidents en tribunes se multiplient ces derniers temps ?

Il y a plusieurs manières de l'expliquer. D'abord, le lien social en France est en partie rompu par toutes les déclarations politiques qui dressent les gens les uns contre les autres. A cela s'ajoute le contexte habituel du football. Il s'agit de discriminer, d'empêcher l'adversaire de jouer, de gagner. Il faut faire pression sur lui dans une logique de douzième homme. Puis, il y a la nature même des supporters de l'OGC Nice. Depuis très longtemps, on sait que plusieurs groupes d'extrême-droite sont dans les tribunes. Des supporters violents, qui posent problème. Nice-Marseille, c'est bien évidemment un derby. Tout est catalysé.

Quelle posture et quelles décisions doivent prendre les instances dirigeantes du football et le monde politique pour régler ce problème ?

Il faut avoir la plus grande fermeté. D'abord, il ne peut y avoir une telle banderole en tribunes s'il n'y a pas de faute de la part de la direction de la sécurité du club. Il y a un défaut quelque part, peut-être éventuellement une forme de collusion avec les supporters. Il faut appliquer des procédures fermes. Et elles existent, dans le cadre de la loi Alliot-Marie et de ses extensions, mais aussi de la loi Larrivé qui laisse la possibilité au club de demander la dissolution d'un groupe de supporters. Avec les problèmes que cela pose. On a un groupe de supporters identifiés. On peut l'infiltrer, le surveiller. S'il est dissout, il est n'importe où.

Il faut que les pouvoirs publics se penchent sur la question de la reconnaissance faciale. Un certain nombre d'interdits de stade continuent à les fréquenter. Tant que nous n'aurons pas les moyens adéquats pour garantir ces interdictions, nous aurons toujours des problèmes.

Le tout répressif n'a-t-il pas pour effet de radicaliser les groupes de supporters ?

Plus les lois se multiplient, mieux elles sont appliquées, plus les déviants et violents utilisent des stratagèmes pour les contourner. C'est un phénomène amplificateur permanent. Il y a d'un côté l'application stricte des lois. On ne peut pas permettre aux gens de se comporter n'importe comment dans et en dehors des stades. De l'autre, il y a la question éducative. Pour améliorer les choses, la solution tient dans l'équilibre entre le répressif et l'éducatif, qui est quelque chose qui ne se voit pas, qui coûte et qui n'a d'effets que sur le long terme.

La Fédération française de football (FFF) a fait énormément de progrès là-dessus. Depuis des années, dans le cadre de l'Observatoire de la violence puis des comportements, un certain nombre d'actions permettent d'éduquer les jeunes dans le foot amateur parce que les supporters violents sont d'authentiques joueurs de football. Le football professionnel a aussi fait des efforts mais pas encore suffisants.

Pas autant qu'en Belgique, où existe le fan coaching, ou en Allemagne, avec le fan project. Ces dispositifs prennent réellement en charge les supporters pour éviter les incidents. Cela existe depuis 20 ans. C'est une sorte de maison des jeunes et de la culture qui offre des lieux de vie aux supporters, qui accueille les supporters des deux clubs pour qu'ils ne soient des opposants que pendant le match et pas des ennemis irréductibles. Ils organisent des tournois de foot, de baby-foot, des activités qui font que vous connaissez mieux les gens et qu'ils ne sont pas des ennemis à vie.