Procès Depardieu : l'avocat de l'acteur a mis en place une "stratégie de l'embrouille, de la diversion, de la déstabilisation", dénonce l'avocate d'une des plaignantes
La procédure judiciaire peut-elle ajouter du traumatisme au traumatisme chez les victimes, notamment de violences sexuelles ? C'est ce que porte le concept de victimisation secondaire. Popularisé au moment du procès des viols de Mazan, il refait parler de lui avec le procès Depardieu qui s'est achevé jeudi 27 mars. Un procès où l'avocat de l'acteur, Jérémie Assous, a mis en place une "stratégie de l'embrouille, de la diversion, de la déstabilisation", lors de l'audience qui a duré quatre jours devant le tribunal correctionnel de Paris, estime Carine Durrieu Diebolt, avocate d'une des plaignantes, invitée vendredi sur franceinfo.
Lors de l'audience, les parties civiles ont subi des attaques à répétition de la part de la défense, a constaté la journaliste de franceinfo présente à l'audience. Pendant les débats, Jérémie Assous a multiplié les provocations, notamment contre les deux femmes dont les accusations d'agressions sexuelles étaient au cœur des débats.
La décoratrice et l'assistante mise en scène ont été traitées, entre autres, de "fausses victimes" et de "menteuses décérébrées", accusées de minauder devant la presse. L'avocat de l'acteur s'en est aussi pris à Charlotte Arnould, la première accusatrice de Gérard Depardieu, qui n'était pourtant pas concernée par ce procès, mais assistait aux débats dans le public. Elle a fini par quitter la salle quand l'avocat lui a hurlé qu'elle était une mythomane.
Une violence "directe" et "pas nécessaire à la manifestation de la vérité"
Des provocations à répétition dans le prétoire, mais aussi devant les caméras et les micros à la sortie de l'audience. "Ces parties civiles passent leur temps devant la télé, elles sont sur le parvis, toute souriantes, elles sont très heureuses d'avoir ce mur de caméras devant elles, c'est ridicule", s'est moqué Jérémie Assous. Pourtant, l'avocat a assuré devant la presse qu'il n'y avait "aucune violence de notre part, aucune agressivité, elle considère comme une violence le simple fait d'avoir un contradicteur ou de se défendre".
Pour Carine Durrieu Diebolt, sa cliente "a subi une violence directe de l'avocat qui n'était absolument pas indispensable et nécessaire à la manifestation de la vérité". Elle affirme que sa cliente a été "par moments abasourdie" et qu'elle a dû sortir de la salle d'audience, notamment parce que Gérard Depardieu avait "le cube du moment de l'agression sexuelle", en référence à cet accessoire de plateau de tournage sur lequel l'acteur était assis pendant l'audience.
"C'est une manière de faire revivre l'agression sexuelle en elle-même."
Carine Durrieu Diebolt, avocate de partie civileà franceinfo
Autre raison qui a poussé sa cliente à sortir, le fait "qu'à ce moment-là, l'avocat de l'acteur ne cessait de répéter la phrase que Gérard Depardieu avait prononcée au moment des agressions sexuelles". Carine Durrieu Diebolt, qui parle de moment "insupportable", estime que c'est "également une stratégie pour faire revivre le moment du traumatisme" qui "ne marche pas" et qui fait ressortir "encore plus fortes de cette audience et déterminées".
Après des violences physiques ou sexuelles, des violences institutionnelles
L'avocate parle là de "victimisation secondaire". Une notion – qui n'est pas inscrite dans la loi – qui vient de la Cour européenne des droits de l'homme. "Cela signifie que les victimes de violences sexuelles ou conjugales, qui ont déjà été victimes de violences, subissent de nouveau des violences institutionnelles, judiciaires, soit au moment du dépôt de plainte ou au moment du procès. Ce sont des méthodes de la défense qui peuvent entraîner une maltraitance judiciaire".
"Un traumatisme équivalent aux agressions sexuelles qu'elle [la plaignante] a subies".
Carine Durrieu Dieboltà franceinfo
"Je ne comprends pas ce type de défense", lance Carine Durrieu Diebolt à propos de celle adoptée par son confrère "parce qu'à mon avis, en réalité, ça dessert Gérard Depardieu". Elle estime que cette violence a été généralisée à l'égard de tout le monde : "Du tribunal, du parquet, de la police, des avocates, de tous les médias... On a l'impression que c'était un complot de la France entière contre Gérard Depardieu." Elle parle de "stratégie de faiblesse" puisqu'à "aucun moment, il n'a abordé le fond du dossier".
Questionné sur l'attitude du président du tribunal, elle affirme qu'"il a laissé faire, qu'il n'est pas intervenu pendant les prises de parole de [son] confrère. Il l'a laissé faire, au risque également que les victimes ne soient pas protégées". L'avocate reconnaît avoir été "surprise" par une "telle violence tellement rare" lors d'une audience. Une stratégie dans laquelle elle "n'a pas voulu rentrer". "Je pense que je suis restée très calme pendant l'audience malgré toutes les attaques que j'ai pu subir".
Des recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme
Pour les militantes qui portent ce concept, cela concerne aussi les procédures qui finissent par blanchir celui qu'elles accusent. Neuf recours ont été déposés devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Ces femmes dénoncent des faits d'agressions sexuelles et disent avoir été victimes d'une double peine : la violence de l'agression en elle-même, puis la violence de la procédure, que ce soit un refus de plainte de la part de la police ou des questions déplacées posées par les enquêteurs. Mais aussi les décisions de justice en elle-même, des acquittements, des non-lieux.
Selon une note de l'Institut des politiques publiques, publiée l'an dernier, près de neuf affaires de violences sexuelles sur dix sont classées sans suite.