Euro 2025 : "N'oublions pas que le foot pro féminin en France n'a que 25 ans, celui des garçons 50", rappelle Sabrina Viguier, entraîneure adjointe des Bleues

On peut avoir 43 ans et connu deux mondes radicalement différents. Ancienne internationale aux 93 sélections, Sabrina Viguier fait partie de ces Bleues qui ont d'abord évolué sous le maillot tricolore sous le statut amateur avant d'endosser celui de professionnelle. La défenseure a débuté en équipe de France en 2000, deux ans après le sacre mondial des Bleus et le lancement du premier plan de féminisation de la Fédération. Elle a aussi vécu la première campagne française dans un Mondial (en 2003), puis aux Jeux olympiques (en 2012, avec une quatrième place). 

Nommée responsable des sélections féminines en 2019, puis préparatrice physique adjointe auprès de l'équipe de France féminine en 2023 avant d'être promue entraîneure adjointe en mars 2024, l'Aveyronnaise mesure le chemin parcouru depuis sa première cape. Elle s'est confiée à franceinfo: sport.

franceinfo: sport : Vous êtes la seule femme du staff technique tricolore. Comment le vivez-vous ?

Sabrina Viguier : C'est un peu le reflet du foot féminin et de mon histoire. J'ai commencé ce sport très jeune. Je jouais avec les garçons car il y avait encore très peu de filles. Et aujourd'hui, comme d'autres joueuses de ma génération, on arrive sur des postes à responsabilité. Il faut être patient, d'autres vont arriver. Il y a davantage de filles qui rentrent dans les formations. Il ne faut pas oublier que le foot féminin n'a que 25 ans quand celui des garçons en a 50. 

"Je fais partie des premières joueuses formées. D'autres de ma génération deviennent entraîneures et occupent des postes importants : je pense à Sonia Bompastor et Camille Abily [Chelsea], Sandrine Soubeyrand [Paris FC]."

Sabrina Viguier, entraîneure adjointe des Bleues

à franceinfo: sport

Mais sinon, je ne le vis pas mal. Déjà, je ne suis pas la seule femme, il y en a plusieurs dans le pôle médical par exemple. Et le staff est très bienveillant. Je pense qu'ils ne font même pas la différence, même si je pense que je suis rentrée aussi parce que j'étais une femme et qu'il en fallait une dans l'encadrement technique. C'était important pour eux. C'est une évolution. Entraîner un groupe de filles uniquement avec des garçons, c'est peut-être compliqué.

Sabrina Viguier et une partie du staff tricolore lors du match amical France-Nigéria, à Angers, le 30 novembre 2024. (ADIL BENAYACHE/SIPA)
Sabrina Viguier et une partie du staff tricolore lors du match amical France-Nigéria, à Angers, le 30 novembre 2024. (ADIL BENAYACHE/SIPA)

Pourquoi est-ce important d'avoir une voix féminine ?

C'est surtout important d'avoir les deux, parce que chacun ramène quelque chose de différent. Selon moi, un staff avec uniquement des femmes serait aussi gênant. Peut-être que de m'avoir leur permet de comprendre un peu mieux le fonctionnement de la femme. Je pense que ce sont parfois de faux débats. Je suis pour la parité, mais c'est la compétence qui compte le plus. 

Avez-vous la sensation que les joueuses se confient différemment à vous ?

Oui, quand même. Mais encore une fois, cela dépend des personnes en face. Certaines seront plus à l'aise de parler avec une femme, d'autres non. Le fait d'avoir les deux donne la possibilité aux joueuses d'aller voir la personne avec qui elles se sentent le mieux. Et comme je suis responsable des sélections féminines, je peux aussi faire le lien entre les jeunes qui arrivent et le staff.

Aviez-vous imaginé prendre un jour des fonctions au sein de l'équipe de France ?

Pas du tout car je n'ai pas de plan de carrière. À la base, je suis prof d'EPS. Je suis issue d'une génération où il n'y avait pas de joueuses professionnelles, il fallait faire les études. J'ai exercé pendant quatre ans en parallèle de ma carrière, d'abord à plein temps puis à mi-temps, avant de passer joueuse professionnelle, donc j'étais en disponibilité ou détachée.

Sabrina Viguier, lors de la Coupe du monde 2011, en Allemagne. (PATRIK STOLLARZ / AFP)
Sabrina Viguier, lors de la Coupe du monde 2011, en Allemagne. (PATRIK STOLLARZ / AFP)

Honnêtement, je n'aurais jamais imaginé cette vie-là. Tout comme je n'avais pas imaginé celle de joueuse. À la base, je jouais au foot avec les copains pour le plaisir, et petit à petit ma carrière s'est construite. L'équipe de France, je ne savais même pas que ça existait. Je pensais que j'allais passer toute ma carrière à Toulouse.

Vous avez connu le passage de l'amateurisme au monde professionnel. Quel regard portez-vous sur les conditions de travail des joueuses aujourd'hui ?

C'est une fierté. On n'avait pas ça, mais on a vécu d'autres moments. Être amateur, travailler à côté m'a amené d'autres choses. Aujourd'hui, ce serait difficile pour elles d'être aussi performantes et de travailler en parallèle. Il y a beaucoup plus de sollicitations et de matchs en club et en sélection. Je suis contente pour elles. J'espère que cela va continuer, que les médias vont encore plus parler d'elles parce qu'on en a besoin. Cela fait écho aux 25 ans du foot féminin : on est en pleine évolution et je suis convaincue que c'est positif.

En vingt-cinq ans, l'équipe de France s'est approchée mais n'a encore jamais décroché de titre...

J'espère qu'on va gagner avec cette équipe. Mais si ce n'est pas avec nous, je le souhaite à l'équipe suivante. Vingt-cinq ans, ce n'est pas tant que ça. Les gens pensent que c'est facile car on a fait de bons résultats en 2011 et 2012. Mais les quatrièmes places du Mondial 2011 et JO 2012 ont un peu caché la forêt. 

Avant, même dans le parcours de la formation de la jeune joueuse, c'était très disparate. On commence à avoir un parcours linéaire et cohérent [l'Institut national du football a par exemple ouvert ses portes en 2022 à sa première promotion féminine, cinquante ans après son ouverture aux garçons]. On va amener de plus en plus de joueuses à être performantes, comme chez les garçons. On va l'avoir ce titre, je n'ai aucun doute. Il faut du temps, parfois un peu de chance aussi pour que ça aille vite. On est sur le bon chemin.