Euro 2025 : infrastructures, affluence, staff... Entre les championnats anglais et français féminins de football, le fossé se creuse

Un club anglais (Arsenal) vainqueur de la Ligue des champions 2025, et deux autres qui s'affrontaient en quarts (Chelsea et Manchester City). Aucun doute, le football féminin anglais se porte bien cette saison. Ces parcours auront de quoi gonfler la confiance des Lionesses, qui débuteront l'Euro 2025 face aux Bleues, le 5 juillet à Zürich. Si pendant une décennie, l'OL, et dans une moindre mesure le PSG, ont dominé l'Europe, les clubs anglais reviennent depuis peu sur le devant de la scène.

À tel point que l'écart se creuse entre les deux championnats et que de plus en plus de joueuses tricolores se laissent tenter par l'aventure outre Manche. Quatre des 23 Françaises sélectionnées à l'Euro ont ainsi foulé les pelouses de la Women Super League cette saison (Sandy Baltimore à Chelsea, Kelly Gago à Everton, Oriane Jean-François à Chelsea et Melvine Malard à Manchester United).

"En France, j'entendais les gens dire que le fossé grandissait et je ne m'en rendais pas compte. Mais depuis que je suis en Angleterre, je trouve vraiment qu'il y a une grande différence."

Melvine Malard, attaquante des Bleues et joueuse de Manchester United

à franceinfo: sport

"Le championnat est plus accroché. Il y a aussi plus d'affluence, d'engouement dans les stades et dans la rue. On est diffusé sur Skysport, liste Melvine Malard. En France aussi il y a une progression, mais c'est sûr que toutes les équipes ne peuvent pas suivre car toutes n'ont pas les moyens. Je vois que la Fédération fait tout pour que ça évolue mais ce n'est pas encore ça."

La France accuse un retard structurel. La Ligue féminine professionnelle de football y a été lancée officiellement en juillet 2024, sans que sa convention collective ne soit toujours finalisée. En Angleterre, la professionnalisation des sections féminines remonte, elle, à 2018. Par ailleurs, pour conserver un certain équilibre au sein du championnat, la règle du salary cap pose un salaire maximum pour les joueuses, ce qui rend la WSL plus attractive pour les spectateurs, comme pour les joueuses. 

L'Euro 2022, un accélérateur

"Les Anglais ont décidé de s'y mettre vers 2010 et depuis il y a une vraie progression dynamique et rapide, là où en France la progression est très douce", constate Amandine Miquel, entraîneure de Leicester City depuis un an, après huit ans au Stade de Reims. "Derrière l'Euro 2022 [organisé et gagné par l'Angleterre], les instances ont su surfer sur cette vague. Et elle n'est jamais retombée", complète la gardienne des Bleues Pauline Peyraud-Magnin, qui a joué à Arsenal deux saisons (2018-2020). 

D'après la Football Association (Fédération anglaise de football), l'Euro 2022 a en effet boosté leur stratégie de développement de la pratique féminine du ballon rond. Entre 2020 et 2024, celle-ci a ainsi bondi de 56%, le nombre de filles inscrites dans des centres de formation a explosé (+265%), il y a aussi davantage de femmes coachs (+88%) ou arbitres (+113%). L'affluence a elle augmenté de 239% depuis la saison 2021-2022.

En arrivant à Leicester (10e cette saison), Amandine Miquel a d'abord été surprise par "la qualité et la taille des installations". "Dans la plupart des clubs anglais, il y a des bâtiments dédiés à l'équipe féminine avec des espaces beaucoup plus conséquents que ce qu'on a pu connaître en France : les terrains, les vestiaires, les salles de musculation, la salle de restauration", illustre l'entraîneure.

“La pratique féminine a pris de la place depuis quelques années et les Anglais ont assez rapidement compris que pour que ces équipes-là performent, il fallait qu’elles disposent d'un outil de travail de qualité.”

Amandine Miquel, entraîneure de Leicester City

à franceinfo: sport

En France, seuls le PSG et l'OL disposent de structures quasi équivalentes à celles existant en Angleterre. En quittant Lyon pour Manchester United, l'attaquante Melvine Malard a été frappée par "l'intensité de l'entraînement", "un jeu très direct", un travail musculaire plus poussé, ce qui l'a aidée à "devenir une joueuse plus complète". Elle a aussi découvert un club avec "un staff beaucoup plus complet" permettant "un suivi total" de la joueuse. "C'est le meilleur choix que j'ai pu faire jusqu'à maintenant. L'Angleterre, c'est l'avenir du football et moi, je suis en plein dedans, donc c'est cool." 

Un staff élargi, un accompagnement complet

"On est beaucoup plus complet dans l'accompagnement de nos joueuses, corrobore Amandine Miquel. Par exemple, une nutritionniste qui serait partagée avec les garçons en France est à temps plein chez nous, pareil pour le chef du restaurant. Il y a souvent trois préparateurs physiques, contre un dans les clubs français de milieu de tableau. Des kinés, on en a cinq, contre deux en moyenne en France. Cela amène beaucoup plus de disponibilités pour les joueuses." Autre exemple de la prise en compte au sens large de la sportive, la coach remarque que de nombreux déplacements sont effectués la veille du match pour limiter la fatigue, une pratique plus rare en France.

"Ce qui fait la différence entre la France et l'Angleterre, c'est qu'ils ne lésinent pas sur les moyens. Pour eux, la performance n'a pas de prix, analyse Sandrine Soubeyrand, entraîneure du Paris FC féminin. En France, on n'est pas prêt à investir dans certaines fonctions parce qu'on pense qu'elles sont peut-être un peu moins importantes pour la performance. Et on n'est pas toujours assez patient." Celle qui a décroché cette année le titre de meilleure coach de Première Ligue Arkema envie particulièrement le large personnel médical des clubs anglais. "C'est indispensable et ça pèche encore un peu en France. On a du mal à staffer à plein temps sur le pôle médical."

Une culture populaire du football

En débarquant en Angleterre, les Françaises découvrent également un pays profondément amoureux du football, qu'il soit pratiqué par des hommes ou des femmes. "Ils sont vraiment hyper fans de foot. Je me souviens de tatouages à l'effigie de l'équipe, de supporters qui attendent pour une signature à la sortie des vestiaires à 23 heures", glisse Pauline Peyraud-Magnin, marquée aussi par les tribunes garnies des stades. Outre Manche, l'affluence moyenne a avoisiné cette saison les 6 600 spectateurs par match, selon la BBC, contre à peine 1 500 en France avec la Première Ligue Arkema.

Au coup d'envoi de la demi-finale retour de Ligue des champions, entre l'OL et Arsenal, le 27 avril 2025. (CYRIL LESTAGE / AFP)
Au coup d'envoi de la demi-finale retour de Ligue des champions, entre l'OL et Arsenal, le 27 avril 2025. (CYRIL LESTAGE / AFP)

Néanmoins l'affluence en France connaît une dynamique positive, avec une hausse de 50% sur un an et des records comme celui enregistré lors du PSG-Lyon en janvier avec 20 489 spectateurs. À l'inverse, le public anglais s'est montré moins présent (-10%) cette saison, conséquence probable d'une moindre exposition médiatique de leur équipe nationale absente des derniers JO et d'un haut du classement moins accroché qu'à l'accoutumée. 

La problématique des stades

Dans l'Hexagone, les clubs payent aussi, selon Amandine Miquel, l'absence de stades dimensionnés à la pratique féminine. "A Lyon par exemple, soit vous jouez au Groupama Stadium et un seul côté va être plein, soit vous jouez au terrain d’entraînement. Il n'y a pas d'entre deux. En Angleterre, les installations sont meilleures : la plupart jouent dans les stades de l'équipe masculine ou dans un stade dédié à l'équipe féminine, qui n'est pas un terrain d'entraînement, donc avec 5 000 à 10 000 places", détaille la coach, pointant le riche nombre d'enceintes dans son pays d'accueil grâce à la culture plus développée du ballon rond.

"A Reims, on jouait essentiellement au terrain d'entraînement. Le public était debout sous la pluie. Il n'y avait pas de café, un cabanon faisait office de toilettes. Ça limite la motivation", reconnaît l'ancienne entraîneure des Rémoises. Difficile néanmoins d'imaginer en France la construction d'enceintes spécialement pour des équipes féminines de football, dont l'économie est fragile.

"C'est plus un problème culturel. En Angleterre, on sent que le football est quelque chose de très puissant."

Amandine Miquel, entraîneure de Leicester City

à franceinfo: sport

"Ce qui me laisse à croire qu'il n'y a pas forcément de solution pour la France immédiatement, parce que c'est plus profond", s'attriste Amandine Miquel, qui espérait découvrir le secret de réussite des Anglaises pour le ramener en France. "En ratio, je ne pense pas qu'il y ait plus de moyens chez les filles ici qu'en France. Mais comme l'économie du foot masculin se porte mieux en Angleterre, la somme allouée aux sections féminines est plus élevée." 

Pour le championnat français, l'Euro 2025 représente un nouvel espoir. Les Bleues ont l'occasion d'imiter les Anglaises pour relancer la vague d'engouement, vite retombée, née après le quart de finale du Mondial 2019 organisé en France. "J'adresse un mot très fort à notre équipe de France. Vous êtes la vitrine de notre sport et l'avenir de notre ligue. En portant nos couleurs, vous portez l'espoir d'une génération", lançait d'ailleurs Gaëtane Thiney, ex-internationale française désormais retraitée, lors de la remise des Trophées de la Première Ligue fin avril. La route passera par un bon résultat face aux Lionesses.