« No Kings » : de Los Angeles à Washington, l’Amérique dans la rue contre le « roi » Trump
Los Angeles, Washington D.C. (États-Unis), correspondances particulières.
« No Kings ». Samedi 14 juin, l’attachement à la République s’est marié avec l’opposition à Donald Trump pour une journée « sans rois ».
Alors que le président américain s’offrait pour son anniversaire, sous prétexte de célébrer les 250 ans d’existence de l’armée, un défilé militaire, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans 2 000 villes représentant les 50 États, soit la plus imposante démonstration de force depuis le retour à la Maison-Blanche du nationaliste xénophobe.
C’est évidemment à Los Angeles, ville prise pour cible par Donald Trump, que le défilé avait le plus de sens. Et si la capitale, Washington, ne figurait pas sur la carte très dense des manifestations, des vétérans et syndicalistes avaient mené une action vendredi soir pour dénoncer l’utilisation de l’armée à des fins politiques.
À Los Angeles, une semaine de tensions
Sur la pelouse fatiguée de Grand Park, face à la mairie Art déco de Los Angeles, une manifestante brandit une guillotine en carton. Après tout, le thème de la manifestation est « No Kings » (pas de rois). Ce 14 juin au matin, ils étaient environ 30 000 rassemblés à Downtown, le centre de la cité des Anges, pour dénoncer une dérive autoritaire de Donald Trump.
Dans le cortège, Jésus, la statue de la Liberté, un soldat de la guerre de Sécession, une pinata Trump ou un énorme ballon gonflable représentant le président américain en nourrisson potelé – un incontournable depuis 2017. « Big fat baby ! » s’amuse la foule. L’énergie positive de cette matinée ensoleillée contraste avec l’ambiance maussade des derniers jours.
« Ce n’est pas mon président », insiste Bridget. « Il s’offre une fête d’anniversaire avec une parade militaire et nous, on lui fait face, fièrement, en démocratie, pour dire que nous ne croyons pas au roi », ajoute-t-elle pendant que des enceintes sort El rey (« le roi »), classique de la musique mexicaine sur un homme qui se croit roi, « sans trône, ni reine ».
Le thème de No Kings est national. Ici, dans le sud de la Californie, après une semaine à défiler contre les raids de la police de l’immigration (ICE), un sujet domine les chants, les pancartes et les graffitis sur les murs du centre-ville : « ICE out of L.A. ! » (ICE dehors !), ou une variante moins polie en anglais et en espagnol (Chinga tu migra !).
À l’ombre d’un des rares arbres du parc, Armando, visage caché derrière un bandana, pointe l’hypocrisie du discours de Donald Trump sur les immigrés. « Il dit qu’on est les pires des pires mais où ont lieu les raids ? Sur nos lieux de travail ! Alors on est quoi ? Des criminels ou des travailleurs ? » demande le jeune homme.
Vince, lui, a du mal à ne pas hurler. « C’est un criminel raciste ! Il dit qu’il veut se débarrasser des criminels. Eh ben, qu’il commence avec lui et s’expulse lui-même. Et après, on expulsera des gens », plaide l’homme en colère.
La colère est l’un des sentiments du moment à L.A. La peur en est un autre. Toute la semaine, dans les manifestations à Downtown – beaucoup moins massives que samedi –, de jeunes gens ont défilé avec un message similaire. Eux peuvent manifester. Pas leurs parents, sans papiers et inquiets.
« La réalité, c’est que l’administration Trump a décidé d’utiliser les militaires pour occuper Los Angeles. »
Felipe Caceres, syndicaliste
Vendredi soir, Ernesto, fils d’immigrés mexicains arrivés illégalement et régularisés depuis, marchait avec un petit groupe sur Spring Street, les drapeaux mexicain et américain à la main. « Trump a promis de se débarrasser des gens problématiques et au final, il s’attaque à la classe ouvrière. Ça n’a pas de sens. Ces gens maintiennent notre pays en état de marche. Je porte les deux drapeaux pour représenter tous ces parents qui ont traversé la frontière, pour être la voix de ceux qui ne peuvent pas parler aujourd’hui », clame le jeune Américain.
L’ICE, pas refroidie par les manifestations, continue de frapper un peu partout. Près des écoles, des églises, des salles de concert, dans les champs. Même si Trump a suggéré jeudi que les ouvriers agricoles ou les employés de l’industrie hôtelière pourraient bénéficier d’un traitement de faveur. Un écart avec sa rhétorique habituelle faisant de chaque personne présente illégalement aux États-Unis un criminel de fait.
Des résidents légaux et même des citoyens, la peau un plus foncée que d’autres, s’interrogent à force de lire les histoires rapportées dans la presse et sur les réseaux sociaux de personnes enlevées par l’ICE sans ménagement. Faut-il effacer certains messages de mon téléphone avant de passer la douane ? Faut-il éviter la cérémonie de remise de diplôme de mon enfant ? Des préoccupations plus cavalières mais qui illustrent l’étendue de la psychose.
« La réalité, c’est que l’administration Trump a décidé d’utiliser les militaires pour occuper Los Angeles », affirme Felipe Caceres, du syndicat SEIU 721. Il fait référence au déploiement de 4 000 membres de la garde nationale et 700 marines dans la ville, sans l’aval des autorités locales. La présence de militaires dans une ville décrite par Trump et ses alliés, avec un sens certain de l’exagération, comme à feu et à sang ajoute au climat tendu. « Notre communauté a peur évidemment. Mais nous allons continuer à nous organiser et nous entamons un été de résistance pour combattre cette peur », annonce-t-il.
Samedi, l’après-midi s’est terminé dans l’odeur des lacrymos utilisés pour disperser les manifestants à l’approche du couvre-feu. Les sirènes des voitures de police ont ensuite rythmé le début de soirée. Le schéma habituel depuis mardi, premier jour du couvre-feu décrété par la maire démocrate Karen Bass face aux saccages en centre-ville.
À Washington, la rébellion des vétérans
Et puis d’un coup, tout s’accélère. Des dizaines de vétérans passent par-dessus les barrières de sécurité qui entourent le Capitole. Des hommes et des femmes courent jusqu’aux marches qui descendent devant le dôme blanc. Une banderole est déployée. « Pas de militaires dans nos rues ! » scandent les anciens combattants. Quelques dizaines de minutes plus tard, tous seront arrêtés et emmenés dans des bus de police.
La scène se déroule le vendredi 13 juin, veille de la grande parade militaire organisée à Washington et coïncidant avec l’anniversaire de Donald Trump – sur le site des festivités officielles, il est notamment question d’« hommage » à plusieurs générations de soldats américains. Ils ne l’entendent pourtant pas tous de cette oreille.
« Le gouvernement organise une parade à 45 millions de dollars en prétendant qu’il prend en compte les vétérans. Et en même temps, il coupe dans nos droits. C’est exaspérant ! » fulmine auprès de l’Humanité, un peu avant le lancement de l’action, Brittany Ramos DeBarros.
Ancienne capitaine de l’armée, mobilisée en Afghanistan, la jeune femme de 36 ans est aujourd’hui directrice en charge de l’organisation de l’association About Face, qui regroupe environ 2 000 anciens combattants des guerres antiterroristes américaines et qui milite « pour mettre fin à une politique étrangère de guerre permanente ». Aux côtés de Veterans for Peace, qui rassemble quant à elle environ 3 000 vétérans plus anciens – notamment ceux de la guerre du Vietnam –, les deux organisations sont à la manœuvre de l’action du 13 juin.
Tout commence un peu après 18 heures. Il fait encore très chaud sur le parvis minéral de la Cour suprême des États-Unis. L’orage menace. Une grosse centaine d’anciens combattants sont présents, ainsi que des militants venus en soutien, notamment des membres d’associations locales et de DSA (Democratic Socialists of America), une organisation politique qui promeut un socialisme démocratique.
Les vétérans s’alignent dos au bâtiment de la haute juridiction – dont la façade est en travaux –, déploient leur banderole, lèvent leurs pancartes. Sous les chasubles militaires, certains arborent un tee-shirt blanc sur lequel est imprimé en lettres rouges capitales « Veterans against fascism ».
Plusieurs prennent la parole – le sentiment de trahison, après s’être engagé pour défendre des valeurs démocratiques et avoir réalisé qu’il n’en était rien, revient à plusieurs reprises. Michael McPhearson, 61 ans, directeur de Veterans for Peace, raconte comment il a grandi entouré de soldats, avant de s’engager lui-même et de servir pendant la guerre du Golfe.
Il évoque les symptômes de stress post-traumatique de son beau-père, mobilisé au Vietnam, et de son fils, qui a servi en Irak. « Je me sens trahi parce que cette parade est une perte d’argent qui pourrait être mieux utilisée pour garantir des soins adéquats aux vétérans », dénonce-t-il.
Les récentes coupes dans l’administration américaine n’ont en effet pas épargné le ministère des Anciens Combattants (Veterans Affairs). En charge des services aux vétérans – dont leur santé, leurs indemnités ou leur retraite –, ce ministère gère également un système de soins comprenant 1 380 établissements de santé dédiés. En mars, une note de service fuitait dans un média spécialisé : 80 000 suppressions de poste seraient envisagées au sein d’un ministère employant 480 000 personnes au total. L’information est confirmée par la suite par le ministre Doug Collins, qui défend « un objectif, mais pas un plan établi ».
Publié début juin, le projet de document budgétaire prévoit pour le moment 3 000 postes en moins pour 2026. En attendant le passage du texte devant le Congrès, les vétérans montent au créneau – le 6 juin, à l’occasion de l’événement Unite for Veterans, ils étaient plus d’un millier à s’être rassemblés en protestation sur les pelouses du Capitole.
Le déploiement de la garde nationale et des marines à Los Angeles pour réprimer les manifestations a mis de l’huile sur le feu. « Vous savez, je suis un ancien marine. Les marines ne sont pas entraînés pour encadrer pacifiquement des manifestations. Les marines sont entraînés pour combattre et pour tuer. Les déployer à Los Angeles est incroyablement irresponsable », confie, en marge de l’action du 13 juin, Lyle Rubin, 42 ans, mobilisé en 2011 en Afghanistan et auteur d’un livre sur ses désillusions de soldat 1. Pour Brittany Ramos DeBarros, la situation est on ne peut plus claire : « Il faut qu’à Los Angeles, à Washington, et en Palestine, l’armée quitte nos rues. »
- Pain Is Weakness Leaving the Body. A Marine’s Unbecoming (« La douleur est la faiblesse qui quitte le corps. La déchéance d’un marine »), de Lyle Rubin, Bold Type Books, 2022 ↩︎
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