À Dubaï, les enjeux cruciaux d'une COP controversée
La lutte contre le réchauffement climatique est souvent considérée comme l’un des rares combats pour lesquels les pays du monde entier parviennent encore à se mettre autour d’une table. Et cette année, peut-être plus encore que les précédentes, « le contexte géopolitique n’aide pas », admet-on à l’Élysée en citant notamment la guerre en Ukraine ou celle entre Israël et le Hamas. Pourtant, rarement aura-t-on autant dramatisé les enjeux de la conférence des parties sur le climat (COP) qui s’ouvre ce jeudi pour deux semaines à Dubaï, aux Émirats arabes unis. « Critique », « cruciale », « charnière » : alors que 2023 sera sans doute l’année la plus chaude jamais enregistrée, la COP28, sous l’égide de l’ONU, s’apprête à rassembler près de 70.000 personnes (dirigeants, lobbys, ONG ou journalistes…). Du jamais-vu.
Et c’est donc au cœur de la puissance pétro-gazière émirienne que va se jouer la bataille des énergies fossiles… Contradiction incarnée par le président de la COP28, Sultan al-Jaber, ministre de l’Industrie émirien, dirigeant d’une société d’énergies renouvelables - Masdar - mais surtout patron du géant pétrolier national Adnoc. Si l’ouverture officielle de la conférence est prévue jeudi, ce n’est que vendredi et samedi que près de 140 chefs d’État et de gouvernement se réuniront sur place, avant de laisser les équipes de négociateurs entrer dans le vif du sujet autour de quatre enjeux majeurs.
1 - Acter un premier bilan de l’accord de Paris
La notion un peu absconse de « Global Stocktake », ou GST, est au cœur de cette COP. C’est la réalisation de ce premier « inventaire mondial » (en français) qui la rend aussi spéciale. Revenons quelques années en arrière : dans le cadre de l’accord de Paris scellé en 2015, les pays se sont engagés à maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels », voire « si possible à +1,5 °C ». Pour y parvenir, ils devaient s’engager sur des plans climat visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES dans le jargon onusien) responsables du réchauffement.
Ces plans, appelés NDC en anglais, doivent être réactualisés tous les cinq ans et le premier bilan collectif de ces efforts est réalisé cette année pour la première fois : c’est ce fameux GST, qui doit donner lieu à une déclaration commune en fin de COP. On sait déjà que le compte n’y est pas : les engagements climatiques actuels mènent à seulement 2 % de baisse des émissions mondiales en 2030 par rapport à 2019, au lieu des 43 % nécessaires selon le Giec. Quel sera le niveau d’ambition du message politique assorti à ce bilan ? Quels mots ardemment débattus contiendra-t-il ? Insistera-t-il sur la nécessité de se défaire de la dépendance aux énergies fossiles ? Ou plutôt sur celle de nous adapter au dérèglement climatique ? Réponses en fin de COP.
À lire aussiProtocole de Kyoto, adaptation, GES... petit lexique pour s’en sortir pendant la COP28
2 - Graver dans le marbre le début de la fin des énergies fossiles
Lundi, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a appelé les dirigeants du monde à briser le « cycle meurtrier » du réchauffement. Or pour rester dans les clous de l’accord de Paris, le monde doit réduire drastiquement sa dépendance au charbon, au pétrole et au gaz. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les mots « pétrole » et « gaz » n’ont jamais figuré dans les déclarations finales des COP, et il a fallu attendre celle de Glasgow en 2021 pour qu’apparaisse l’expression « réduction du charbon ». Mais à l’heure où le monde se retrouve désormais sur une trajectoire de réchauffement de 2,9 °C, loin des objectifs de 2015, la discussion ne peut plus être évitée. Et la désignation à la tête de la COP du patron d’un groupe pétrolier « met l’enjeu de la sortie des énergies fossiles sur la table de façon frontale », estime Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri (l’Institut du développement durable et des relations internationales).
Les engagements attendus sur un triplement de la capacité des énergies renouvelables d’ici à 2030 ou sur un doublement de l’efficacité énergétique n’y changeront rien : « il ne suffit pas d’investir dans les énergies renouvelables, il faut sortir activement des énergies fossiles », martèle l’entourage du président français, qui viendra porter à la COP une offensive plus ciblée contre le charbon, plus gros émetteur de dioxyde de carbone (et dont la France n’est d’ailleurs pas grande consommatrice).
À lire aussiPétrole, gaz, charbon: la dépendance aux énergies fossiles résiste à l’urgence climatique
Le président de la COP, Sultan al-Jaber estime de son côté que la réduction des énergies fossiles est « inévitable et essentielle »… mais il se garde bien de fixer un calendrier. Il prône aussi la diminution de la production « quand elle n’est pas adossée à des technologies de captage et stockage du dioxyde de carbone » (on parle alors d’émissions « unabated » en anglais). Ces techniques permettent de récupérer le CO2 pour l’enfouir par exemple dans des couches géologiques. Elles existent depuis longtemps mais restent encore très coûteuses, peu performantes (elles captent aujourd’hui à peine 0,1 % des émissions mondiales) et risquent de servir de prétexte aux producteurs d’hydrocarbures pour continuer à émettre. « Il faut réduire nos émissions, cet objectif est intangible, donc il ne faut pas se laisser divertir » par ce genre de solutions, juge-t-on à l’Élysée. Les pays s’engageront-il sur une réduction, voire une fin de l’exploitation des énergies fossiles ? La déclaration finale fera-t-elle la part belle à ces technologies de captage du carbone ? Quoi qu’il en soit, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la consommation de pétrole et de gaz doit diminuer de plus de 75 % en 2050.
3 - Réduire drastiquement les émissions de méthane
On parle plus souvent du dioxyde de carbone mais le méthane (CH4), qui reste moins longtemps dans l’atmosphère, possède un pouvoir de réchauffement 28 fois plus important, mais sur une durée de vie réduite de 100 ans environ. Il serait responsable d’un tiers du réchauffement actuel. L’agriculture (avec la fermentation digestive bovine ou la riziculture) est la première source humaine d’émissions de CH4, suivi de près par l’énergie, à cause notamment des fuites sur les infrastructures de production et de transport des combustibles fossiles. Un « engagement mondial » avait été lancé à Glasgow en 2021 par l'Union européenne et les États-Unis pour réduire les émissions mondiales de méthane de 30 % d’ici à 2030 par rapport à 2020. Il regroupe aujourd’hui quelque 150 pays (mais pas la Chine, l’Inde ou la Russie). Dans ce cadre, l’UE a récemment trouvé un accord pour durcir les règles sur les rejets de méthane des puits d’hydrocarbures et mines de charbon. De son côté, Washington a annoncé avoir réuni 200 millions de dollars pour lutter contre les émissions de CH4 et s’est accordé avec Pékin sur la tenue d’un sommet à ce sujet pendant la COP28.
À lire aussiLa baisse de la pollution de l’air a profité au méthane
4 - Rendre le fonds «pertes et dommages» opérationnel
Avec la baisse des émissions de gaz à effet de serre, l’argent est depuis bien longtemps l’enjeu majeur des COP, et celui qui suscite le plus de tensions et de frustrations. L’an dernier, en Égypte, les pays se sont mis d’accord sur le principe d’un fonds destiné à compenser les pertes subies par les pays les plus vulnérables face aux désastres climatiques comme les inondations, les sécheresses ou la montée des eaux. Cela faisait trente ans que cette aide était réclamée par les petits États insulaires aux pays développés considérés comme responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre passées et actuelles. La COP28 est censée avancer sur la création de ce fonds et déterminer qui le remplit, comment, et pour qui. Le préaccord trouvé le 4 novembre à ce sujet est fragile, les risques de blocage majeurs.
Il faut savoir qu’en 2009, les pays riches s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an entre 2020 et 2025 pour les pays en développement, afin de les aider à la fois à réduire leurs émissions mais aussi à s’adapter aux conséquences du réchauffement. Or jusqu’ici, cette promesse n’a pas été tenue, constituant une source de tensions majeure au fil des négociations. Selon l’OCDE toutefois, les 100 milliards ont « probablement » été atteints en 2022, avec deux années de retard.