La Sécurité sociale, qui a soufflé cette année sa 80e bougie, n'est pas au mieux de sa forme. Dans un rapport publié lundi 3 novembre, la Cour des comptes alerte sur la situation financière du système, qui "demeure préoccupante". Son déficit devrait atteindre 23 milliards d'euros en 2025, soit une augmentation de 7,7 milliards d'euros sur un an. "Le déficit s'est fortement dégradé en 2025 et il aura doublé en deux ans", assène l'institution.
Le timing de cette publication est particulièrement bien choisi. L'examen parlementaire du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) débute mardi à l'Assemblée nationale, dans un climat politique électrique.
Cette communication vient compléter le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale, publié en mai. La juridiction prévenait déjà que "la trajectoire des comptes sociaux" était devenue "hors de contrôle". La loi sur le financement de la Sécurité sociale 2025 prévoyait alors un déficit de 22,1 milliards d'euros en 2025. "Cet objectif ne sera pas atteint (...) avec une dégradation de 0,9 milliard", soulignent les experts dans la nouvelle note.
Ainsi, en deux ans, le "trou" de la Sécurité sociale a plus que doublé et se situe désormais, hors crise du Covid-19 (période durant laquelle les dépenses de santé se sont envolées), au niveau le plus élevé observé depuis 2012. Pourtant, le pays n'a connu récemment aucune crise qui pourrait expliquer cette situation. Franceinfo vous résume quelques-unes des raisons qui ont mené à une telle situation.
Une situation économique "morose"
La prévision de masse salariale a dû être révisée et les recettes sociales sont moins importantes que prévu, progressant de 2,4% en 2025, contre les 3,1 % initialement prévus, peut-on lire dans le rapport dévoilé lundi. La Cour des comptes pointe du doigt des performances plus que limitées de la France, avec "un affaissement conjoncturel des recettes, lié au ralentissement économique".
L'année 2025 est qualifiée de "morose", avec une croissance du PIB prévue à 0,7%. Le tout alors que la progression des recettes (1,4%) "est à peine supérieure à l'inflation prévue" pour 2025 (1,1%).
Des dépenses qui continuent de croître
Ce manque de ressources se conjugue à des dépenses significatives. La branche maladie voit notamment son déficit augmenter de 3,4 milliards. Selon la Cour des comptes, ces augmentations des dépenses s'expliquent par la "dynamique des soins de ville, l'activité des établissements de santé, et un volume important de mesures nouvelles", dont la "création de places supplémentaires dans les établissements médico-sociaux".
La branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) est, elle aussi, en situation de déficit, et ce, pour la première fois depuis 2012 "en raison des transferts de cotisations opérés en 2024 vers la branche vieillesse, en lien avec la réforme des retraites", analyse l'institution. Plus globalement, le déficit est chronique : la branche vieillesse et fonds de solidarité vieillesse est aussi concernée par une augmentation du "trou" de 1,3 milliard. Seule la branche famille est bénéficiaire, mais l'excédent est "réduit par rapport à 2024".
Des gouvernements trop optimistes
La Cour des comptes égratigne au passage le manque de rigueur des gouvernements. "Ce dérapage pointe une nouvelle fois des hypothèses économiques trop optimistes", critique-t-elle. Elle précise que le constat se répète "pour la troisième année consécutive". "Il est impossible, je répète, impossible de prétendre en toute conscience que personne ne connaissait la fragilité répétée des prévisions pendant cette période", avait du reste martelé en tout début d'année le président de l'organe, l'ancien ministre de l'Economie socialiste Pierre Moscovici, devant les députés de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les causes du dérapage du déficit public en 2023 et 2024.
En janvier, le Haut Conseil des finances publiques avait déjà fait part de ses doutes quant aux objectifs du gouvernement Bayrou pour 2025. Il expliquait que ce projet "offr[ait] peu de marges de sécurité".
Va-t-on dans la même direction en 2026 ? Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, "un effort important est prévu" pour "engager un processus de réduction du déficit", constate la Cour des comptes. Le gouvernement souhaite abaisser le déficit à 17,5 milliards d'euros. Mais la juridiction émet des doutes sur la possibilité d'y parvenir. "Ce qui est prévu en maîtrise de la dépense sociale en 2026 est très ambitieux, très fragile, très vulnérable, et presque d'une certaine façon hypothétique", a déclaré lundi Pierre Moscovici. "Et si le débat parlementaire tourne d'une certaine façon (...), on pourra même assister à un maintien, voire une augmentation du déficit". "A ce moment-là, nous ne tiendrons pas les objectifs" d'ensemble, a-t-il averti.
Cette incertitude pousse la Cour des comptes à s'inquiéter pour l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss). "En cas de déficit du régime général ou de régimes dont la trésorerie est assurée" par cette entité, cette dernière "est autorisée par la loi à emprunter à court terme dans une limite fixée" par la loi de financement. Or, selon Pierre Moscovici et son équipe, l'Acoss encourt "un risque sérieux de liquidité dans les prochaines années". "Les perspectives annoncées de la loi de financement, en l’absence d’une trajectoire crédible de retour des comptes sociaux vers l’équilibre, ne remettent pas en cause ce diagnostic", estime l'institution. En d'autres termes, la Sécurité sociale risque de se trouver, à terme, en incapacité de faire face à ses échéances financières.