Algérie-France : la crise politique fait chuter les exportations françaises

Les milieux économiques s’y attendaient : les statistiques des douanes françaises sur les échanges commerciaux entre la France et l’Algérie au premier trimestre 2025 montrent une très nette tendance à la baisse. Sur les trois premiers mois de l’année, les exportations ont diminué de 18 à 25 % par rapport à la même période en 2024 : elles sont passées sous la barre du milliard d’euros (992 millions d’euros contre 1,25 milliard d’euros au premier trimestre 2024, soit une baisse de 20 %).

«Il faut attendre les statistiques du premier semestre pour que la tendance baissière se confirme», analyse un spécialiste de l’économie bilatérale sans trop se faire d’illusions sur les résultats annuels. En extrapolant les calculs, la baisse des exportations françaises en Algérie en 2025 «pourrait être de plus de 15 %, ce qui serait considérable», résume-t-il.

Considérable, mais prévisible au regard de la façon dont le secteur économique est touché depuis l’automne 2024 par la crise diplomatique provoquée par la reconnaissance par Emmanuel Macron de la «marocanité» du Sahara occidental.

Aucun appel d’offres remporté par des Français

«Je suis un peu surpris de cette baisse, relativement faible, nuance Michel Bisac, président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF). Il faut en effet se souvenir de l’arrêt brutal des relations économiques avec l’Espagne il y a un peu plus de deux ans, pour des raisons identiques. Je suis persuadé qu’il n’y a pas une volonté réelle de rupture mais plutôt un avertissement pour l’instant sans trop de frais.»

En novembre dernier, une rumeur selon laquelle les banques locales avaient été sommées de ne plus traiter les opérations d’import-export vers la France, avait provoqué un vent de panique dans les milieux d’affaires. Les autorités avaient démenti, mais depuis, de nombreuses entreprises françaises remarquent qu’importer des intrants ou des pièces détachées depuis la France n’est plus aussi facile. «Il est vrai que les entreprises étrangères dans leur globalité se plaignent de blocage. Mais on ne va pas se mentir, tout est quand même devenu soudainement beaucoup plus difficile pour les Français», relève le directeur d’une multinationale française installée en Algérie.

Même si l’Office algérien des céréales a officiellement nié avoir exclu la France du dernier appel d’offres public lancé pour l’achat de 500.000 tonnes de blé, Paris n’en démord pas, la manœuvre était «voulue». La semaine dernière, l’Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers a publié la liste des entreprises ayant remporté un appel d’offres public pour l’achat de poudre de lait : on y trouve la Pologne, les Pays-Bas, l’Uruguay, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, l’Allemagne, mais… pas la France.

Pas de feu vert pour le rédémarrage de l’usine Renault

En mars, l’usine Renault (voitures) et l’usine Volvo Group-Renault Trucks (camions) ont, toutes les deux, reçu une notification défavorable du comité technique attaché au ministère de l’Industrie pour reprendre leur activité production. «La volonté affichée par le gouvernement algérien et par son président lors d’une rencontre avec les opérateurs économiques en avril est d’atteindre l’autosuffisance pour la fin 2025. Il va donc falloir s’adapter à cette situation nouvelle, poursuit le président de la CCIAF. Concernant Renault, il ne faut pas oublier les quelque 120 millions d’euros investis par le groupe dans la mise en route de l’usine et dans les adaptations demandées par les autorités. La notification défavorable était argumentée et Renault ne manquera pas d’en tenir compte avant de représenter son dossier au comité technique. Pour Renault Trucks, il s’agit d’une entreprise suédoise et non française, qui a reçu également un refus motivé et qui devrait faire en sorte de se conformer aux demandes exprimées par les autorités.»

À la suite de l’expulsion, en avril, des fonctionnaires français du ministère de l’Intérieur en poste à l’ambassade, deux événements économiques assez attendus – la visite du patron de CMA CGM Rodophe Saadé en Algérie et le déplacement en France de Kamel Moula, président du CREA (syndicat patronal proche du pouvoir) à l’invitation du Medef – avaient un peu plus déplacé la crise politique sur le terrain économique. Inquiète de la situation, la CCIAF a explicitement souligné combien la dégradation de la relation politique entre Alger et Paris «affecte la collaboration économique et plus spécifiquement l’investissement et le développement d’entreprises françaises de renom en Algérie».

Certains clients préfèrent se tourner vers un fournisseur espagnol ou italien !

Un industriel français en Algérie

Un chef d’entreprise français du secteur industriel qui réalise 100% de son activité en Algérie témoigne : «Je vends du matériel à des clients qui investissent dans des projets industriels très coûteux, qui s’étalent sur parfois trois ans, explique-t-il. Ces clients s’inquiètent donc que le contexte politique impacte leurs commandes et certains préfèrent se tourner vers un fournisseur espagnol ou italien !»

Pour déjouer les blocages, des entreprises tricolores ont déjà choisi de faire partir leur marchandise d’autres ports européens. «Mais on ne va pas se mentir, une telle démarche a un coût, qui se répercute sur le consommateur, témoigne l’un d’eux. On redoute aussi le moment où l’Algérie ne cherchera pas seulement à savoir d’où vient la marchandise, mais aura aussi dans le collimateur l’origine des pièces ou des produits, ou le lieu de la facturation. Et là, ce sera une autre histoire…»

Ce n’est pas pour les grandes entreprises internationales que Michel Bisac s’inquiète. Elles pourront, selon lui, «s’adapter d’une manière ou d’une autre, elles savent le faire et en ont les moyens». «Mes craintes vont plutôt vers les PME qui, si la situation se durcit, ne pourront pas s’adapter.»

L’Algérie représente le deuxième débouché des exportations françaises en Afrique pour 6 000 PME françaises. Après avoir perdu son statut de premier fournisseur de l’Algérie au profit de la Chine en 2013, la France, peut-elle encore rétrograder au classement ?

La présence tricolore se réduit au Salon du bâtiment

La présence étrangère à Batimatec, le grand salon du bâtiment, des matériaux de construction et des travaux publics, qui s’est tenu à Alger en mai, donne une idée de la perte de terrain de la France. Certains entrepreneurs français habitués du rendez-vous se souviennent avec nostalgie du temps où les Français étaient présents en force au salon. Cette année, ils résistaient encore, derrière dix-huit stands, au milieu des Espagnols, des Italiens, des Allemands, là où plusieurs centaines d’entreprises turques occupaient un des plus grands pavillons de la foire.

«Comment lutter contre les entreprises turques quand leur État prend en charge plus de 50 % de leurs frais sur les salons internationaux ?, s’interroge Jean-Pierre de Bono, président du Club d’affaires pour le développement des entreprises françaises en Algérie (Cadefa). Les entreprises françaises, elles, n’ont plus aucune subvention. C’est toute la politique commerce extérieur de la France qui est à revoir. L’Algérie, elle, n’empêche pas les entreprises françaises de venir.» Elle ne les empêche pas de venir, mais les entreprises publiques algériennes, comme le constatent unanimement les représentants français, «ne viennent plus sur nos stands». Signe que, malgré tout, il y a des pays plus fréquentables que d’autres.

Face à un pays qui cherche à développer son industrie, «la France, qui a fait le choix de la désindustrialisation, a évidemment du mal à trouver sa place, contrairement à l’Italie ou à l’Allemagne», constate par ailleurs le responsable d’une entreprise italienne spécialisée dans la fabrication d’alliages pour des applications industrielles. D’ailleurs, les entreprises françaises présentes sur le salon pour vendre leurs machines assurent «ne rencontrer aucun problème». «Les clients algériens sont mêmes très loyaux, assure un patron de PME. Si ça se passe bien avec vous, il ne partira pas chez les Turcs ou les Chinois sous prétexte qu’ils sont 10 % moins chers.»

L’Algérie n’a jamais été «un pays facile» pour les entrepreneurs étrangers mais, selon Michel Bisac, «ces difficultés en font un pays paradoxalement extrêmement attractif car les barrières à l’entrée réduisent la concurrence».

«Nous avons besoin de calme et de stabilité et c’est une volonté commune aux entreprises des deux rives, qu’elles soient françaises ou algériennes. Nos liens sont indéfectibles et nos politiques doivent dépasser les visions électoralistes. Souhaitons que les 17 et 18 mai (dates de l’élection du président des LR pour laquelle Bruno Retailleau, qui prône une politique plus ferme à l’égard de l’Algérie, est donné favori, NDLR) mettront un terme à cette surenchère verbale intolérable et que nous saurons revenir à la raison.»