"On est fiers d'être le premier contributeur fiscal en France", déclare Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole

Après dix ans à la tête du Crédit Agricole, la première banque française - la troisième en Europe et la neuvième au rang mondial - Philippe Brassac, passera le relais demain à son successeur, Olivier Gavalda. Cela se passera au cours de l'assemblée générale des actionnaires, mercredi 14 mai. Avec 27 milliards d'euros de revenus annuels, le Crédit Agricole regroupe une banque d'investissement, des caisses régionales, et est la seule banque mutualiste du CAC 40.

franceinfo : En quoi le fonctionnement, l'organisation, la gouvernance du Crédit Agricole en font un établissement bancaire à part ?

Philippe Brassac : Je pense que nous sommes le modèle le plus poussé de la banque universelle. Une banque qui essaie d'installer des réponses globales aux problèmes patrimoniaux des ménages comme des entreprises et de le faire partout, tout le temps et pour tous. Des plus fortunés aux plus modestes, des tout petits professionnels de proximité aux très grandes entreprises internationales. Et donc, ce que vous décrivez, ce n'est pas un morcellement de métiers différents, c'est la complétude d'une approche globale des besoins des clients.

Et vous pensez que vous êtes unique en votre genre, que les autres banques n'offrent pas cette diversité de services ?

On est unique par la façon absolument complète et systémique de l'application de ces principes d'utilité au territoire et d'universalité. Et la seule preuve, c'est que si vous vous promenez dans les arrière-pays des territoires, et par exemple les distributeurs de billets, partout ailleurs, on optimise, on sélectionne, on se concentre sur ce qui serait le plus rentable. Nous, on prend le tout et au total ça fonctionne très bien.

Vous gardez des établissements bancaires partout sur le territoire, avec 150 000 collaborateurs, 110 000 en France et ça, c'est assez exceptionnel.

Parce que le fondement du Crédit Agricole, ce sont les caisses régionales du Crédit Agricole que tout le monde connaît, 39 caisses régionales. Et leur statut, c'est d'être totalement attaché, dédié au développement du territoire en France. Donc, on a des entreprises dont la finalité, c'est bien le développement des territoires français. Et ça, ce sont les caisses régionales du Crédit Agricole.

Au cours de ces dix dernières années, contrairement à vos concurrents, vous n'avez donc pas fermé d'établissements bancaires ni supprimé de personnel ?

Non, on a surtout continué à nous développer sur le champ de service à la clientèle. Avant, on ne faisait que de la banque. Après, on a rajouté de l'assurance, de l'assurance d'épargne puis de l'assurance des biens des personnes. On a rajouté de l'Asset management, les SICAV, les fonds communs de placement. On a rajouté des solutions en immobilier. Et aujourd'hui, on rajoute des solutions de transition pour l'énergie, des solutions d'accessibilité à la santé, parce que des populations sont vieillissantes. 

"Cette extension permanente qui suit les besoins des clients, ça nous permet de continuer à croître."

Philippe Brassac

à franceinfo

Vous avez traversé de nombreuses crises en dix ans. Le Covid, plusieurs crises agricoles, les gilets jaunes... Est-ce que c’est la vie normale d'une banque ou est-ce que ça a été une décennie exceptionnelle ?

Je pense que ça devient la vie normale des entreprises de façon générale. Et d'une certaine façon, si on veut bien comprendre que l'utilité est le seul moteur des entreprises, pour un établissement financier, vous êtes particulièrement utiles lorsqu'il faut aider vos ménages, vos professionnels ou vos entreprises à passer au-dessus des difficultés. Et d'une certaine façon, les crises sont des moments dans lesquels notre utilité est la plus probante. Et j'en veux pour preuve la crise Covid, dans laquelle nous avons été des sortes de professionnels de la santé économique. Pour permettre de passer d'un état "avant confinement" à un état "toujours vivant après confinement".

Et comment doit se positionner un banquier aujourd'hui ? Comment est-ce qu'il doit rassurer les investisseurs, les ménages et les entreprises ?

Je pense qu'il va d'abord rassurer parce que justement son moteur, c'est l'utilité. La régularité de la croissance de nos revenus n'est rien d'autre que l'accroissement du nombre de nos clients et l'accroissement du champ de notre service en tant que tel. Ce qui fait que cette régularité dans la croissance est un facteur qui rassure beaucoup. Et puis, par ailleurs, il faut être un acteur de bon sens. Il ne faut pas aller chercher les risques maximaux pour optimiser les recettes.

"Il faut naviguer toujours un peu au large de ce qui peut paraître excessif, pour que le Crédit Agricole soit une utilité tranquille, permanente, présente."

Philippe Brassac

à franceinfo

Et ce Crédit Agricole, dont je voudrais surtout souligner que j'y ai travaillé pendant plus de 42 ans, au-delà des dix années qui viennent de se passer, c'est vraiment ce que je retiens le plus, et que je garde dans le cœur.

Mais quand on est dans un monde géopolitique incertain, quand on a le président Trump qui fait chuter ou bondir le cours de Bourse, comment maintient-on cette tranquillité, cette gestion de bon sens ?

Il faut que votre business ne soit vraiment corrélé qu'aux utilités microéconomiques, auprès de chacune de chacun. Ça, c'est invariant et ça ne fait que croître. Lorsqu'on voit les annonces du président Trump, je pense qu'au tout départ, c'était très déstabilisant. Mais on voit bien que les marchés de façon générale ont compris que c'était plus de la tactique qu'un changement de paradigme.

Le cours de Bourse des banques a été affecté quand même ?

Pas tant que ça. Et on voit bien que ça remonte très vite. Le mouvement envoie le bouchon très loin, hors de ce qui nous paraît raisonnable et soutenable. Et puis très vite, lorsque ça mord, il revient dans un périmètre que l'on considère comme raisonnable ou soutenable. Ce sont les taxes douanières, qui passent de 10 à 130%, puis d'un coup, il revient à 30%. Et d'une certaine façon, je pense que le système s'est dit que le président était très provocateur dans ses annonces, mais qu'en fait, très vite, les décisions redevenaient, si ce n'est raisonnable, en tout cas très classique. Et donc je pense que le système financier, les banques tout particulièrement, sont tout à fait aptes à traverser ce champ très particulier.

Pour les banques européennes, comment faut-il se positionner aujourd'hui avec ce nouvel ordre mondial que sont en train de décider les États-Unis, mais aussi la Chine ?

Je pense que c'est paradoxalement un très bon momentum pour l'Union européenne, parce qu'elle est contrainte, de par les menaces qui pèsent sur elle, d'être beaucoup plus ambitieuse. D'avoir une réglementation bancaire qui corresponde à ses modèles et pas ceux des Américains. Je prends un exemple très concret. La réglementation américaine n'est pas critiquable, mais elle est faite pour le système américain. Si on veut toujours des crédits immobiliers à la française : taux fixe sur les revenus, et non pas des mortgage (hypothèque) à l'américaine : taux révisable sur la valeur du gage et mis sur les marchés. Il faut que les Européens décident d'avoir non pas des réglementations différentes par principe, mais adaptées au modèle qu'ils souhaitent. Et je pense que c'est le bon moment.

Donc aujourd'hui, il faut qu'il y ait moins de réglementations au niveau européen, sinon, le risque, c'est de se retrouver avec des taux variables à l'américaine ?

Je pense que vraiment le principal enjeu, c'est que l'Europe profite de cette contrainte. Qu'elle réinvestisse parce que c'est une contrainte dans l'armement, c'est une question qui est posée. Qu'elle réinvestisse dans son industrie, dans sa souveraineté alimentaire. Et qu'au marché de consommateurs très efficace qu'elle a fabriqué, elle rajoute enfin un marché de producteurs compétitif, rentable sur l'espace européen. Et je pense que c'est le moment ou jamais pour l'Europe de faire cela. Et c'est crédible et en tout cas, c'est attendu.

Vous êtes l'un des plus gros contributeurs à la surtaxe d'impôt sur les sociétés, à hauteur de 330 millions d'euros, selon vos estimations, pour l'ensemble de l'année 2025. Est-ce que vous vous plaigniez de cette surtaxe ? On a entendu notamment Bernard Arnault, à la tête de LVMH la critiquer violemment.

D'abord, si vous êtes premier de la surtaxe, c'est que vous êtes premier de la taxe, puisque c'est une proportion qui est prélevée. Donc pour 330 millions, ça veut dire que le Crédit Agricole va payer 1,33 milliard, puisque c'est grosso modo 30% de plus en impôts sur les sociétés.

Bernard Arnault dit que ça peut pousser les patrons à délocaliser.

Pour le coup, je pense qu'il faut faire bon cœur face à une forme d'adversité. Le rétablissement des finances publiques est une priorité absolue. Je ne commente pas le mix entre plus d'impôts et plus d'économies qui sont absolument nécessaires. Probablement à court terme pour les premiers et à moyen long terme pour les secondes. Et à cet instant, je vais juste dire que, après tout, on est fiers d'être le premier contributeur fiscal en France, parce que c'est le signe de notre développement et d'une forme de citoyenneté. Parce que l'essentiel de notre action est destinée à nos territoires.