Droits de douane : "Depuis le début de cette offensive commerciale, la question, c'est comment ça se termine", affirme le président de France Industrie
Comment se porte l'industrie européenne ? Emmanuel Macron a inauguré, lundi 12 mai, le laboratoire d'excellence du leader franco-italien de l'optique EssilorLuxottica, à Wissous, dans l'Essonne. Il a déclaré pour l'occasion qu'il fallait continuer de "réindustrialiser le pays et le continent", en jouant selon lui sur la fiscalité, l'attractivité et l'accompagnement des entreprises.
Alexandre Saubot, président de France Industrie et président du conseil d'administration de France Travail, est l'invité éco de franceinfo.
Franceinfo : Cette inauguration montre-t-elle que la France est toujours attractive ?
Toutes les implantations sont des bonnes nouvelles. Souvent, ce qu'on voit aujourd'hui, c'est le résultat du travail qui a été fait il y a deux, trois ou quatre ans. Ce qui m'inquiète, c'est que la période actuelle est moins favorable et on risque d'avoir une baisse de l'attractivité de la France et des implantations en France mais surtout en Europe dans les années qui viennent, compte tenu de la réglementation, de la fiscalité, du prix de l'énergie. Tout ce qu'on fait maintenant, c'est pour des annonces dans deux, trois ou quatre ans.
Le président de la République va réunir le sommet Choose France lundi prochain. Craignez-vous qu'il y ait moins d'investisseurs étrangers que par les années passées ?
J'espère qu'il y en aura autant et que la France restera attractive. Maintenant, je partage avec les autorités publiques tous les risques et toute la nécessité de continuer à prendre des mesures favorables à l'industrie si on veut que la dynamique se poursuive.
Les États-Unis et la Chine ont décidé de mettre leurs différends commerciaux sur pause. Est-ce une bonne chose pour l'Europe ?
C'est une bonne chose qu'on apaise la guerre commerciale. Les niveaux de droits de douane dissuasifs qui avaient été mis en place se traduisaient de fait par une large abrogation ou fin des échanges commerciaux entre les deux plus grandes puissances économiques du monde. Tout le monde savait que ce n'était pas soutenable. Maintenant, c'est mis entre parenthèses pour 90 jours, comme ce qui a été fait avec l'Europe. Ce qui est important, c'est comment, dans cette période, les négociations vont se poursuivre et quel va être le point de sortie. C'est ça qui sera important pour la France, pour l'Europe et pour le commerce mondial.
Mais espérez-vous que ça permette à l'Europe de souffler un peu ? Et d'éviter que la Chine ne détourne vers l'Europe les produits qui ne rentreraient pas aux Etats-Unis ?
Oui, à court terme, sans doute que ça allégera un peu la pression. Mais ce qui est important, c'est le point final de la négociation. Ce ne sont pas les péripéties des négociations, des pics de tension, des moments d'apaisement, c'est l'état du nouveau paysage du commerce mondial à la fin de toutes ces négociations. Et c'est à ce moment-là qu'on pourra bien mesurer les risques.
"Et dans ce contexte, il est important que l'Europe reste prête à se protéger et surtout à surveiller tous les mouvements et tout ce qui se passe."
Alexandre Saubot, président de France Industrieà franceinfo
En attendant, l'industrie européenne est morose, avec 1 400 suppressions de postes chez ArcelorMittal en Europe, dont 636 en France. France Chimie parle de 15 000 à 20 000 emplois menacés en France à court terme. Etes-vous inquiet, vous aussi ?
Quand on voit à la fois la difficulté de l'Europe à se réformer sur toute la simplification réglementaire, après les constructions technocratiques un peu folles qu'on a eues pendant le mandat précédent de la Commission, on ne peut pas ne pas être inquiet. On a des difficultés sur le prix de l'énergie. Et aujourd'hui, en plus, on a une conjoncture qui est assez atone. Dans cet environnement, on le voit dans l'automobile, dans la chimie, mais aussi dans bien d'autres secteurs, l'activité est fragile et la croissance est insuffisante.
Comment l'Europe doit-elle réagir, notamment concernant les droits de douane ? Ursula van der Leyen a parlé d'augmenter les droits de douane sur les voitures et les avions américains, notamment. Est-ce la bonne manière de faire ?
L'objectif doit être qu'il n'y ait pas de droits de douane des deux côtés de l'Atlantique entre deux partenaires commerciaux, deux alliés qui partagent des niveaux technologique, de vie et de salaires. Il faut que l'Europe soit prête à utiliser tous les moyens en sa possession pour être crédible dans la négociation qui a été ouverte par la suspension, il y a quelques semaines, et qui va se terminer dans le courant du mois de juin.
Et quels sont ces arguments ?
C'est de dire que si vous n'êtes pas prêts à aller vers de la désescalade, on est nous aussi capables de prendre des mesures qui feront mal à l'économie américaine.
Donc c'est ce qu'est en train de faire Ursula van der Leyen.
Donc la Commission élabore avec les États, avec les secteurs, l'ensemble des mesures pour bien identifier ce qui a des effets positifs dans cette négociation. Pour être le plus fort possible dans les échanges avec les autorités américaines, c'est indispensable.
Concernant le prix de l'énergie, on sait que les industriels français n'étaient pas contents du précédent président d'EDF, Luc Rémont, qui a été remplacé par Bernard Fontana. Pensez-vous que les industriels français vont maintenant réussir à se mettre d'accord avec EDF sur le prix de l'électricité dans les années qui viennent ?
La question, ce n'est pas d'être ou de ne pas être content de tel ou tel responsable, mais que les négociations, notamment pour nos "électro-intensifs" - une quinzaine ou une vingtaine d'implantations en France - trouvent une solution pour leur permettre d'être compétitif et de poursuivre l'activité, au moment où le dispositif ARENH va venir à son échéance à la fin de cette année. Après, chacun a sa contrainte, chacun a sa négociation. Et ce n'est évidemment pas le rôle de France Industrie d'être au milieu de chaque négociation individuelle.
Le gouvernement est à la recherche de 40 milliards d'euros d'économies l'an prochain. Craignez-vous que l'industrie soit mise à contribution dans le cadre du prochain budget ?
On porte une conviction forte : on ne réglera aucun des problèmes du pays en augmentant les impôts. On a le pays le plus fiscalisé d'Europe, on a le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé.
"On a des sujets de compétitivité qui ont été identifiés depuis 15 ou 20 ans, rapport après rapport. Donc, je pense qu'on doit poser comme axiome de cette discussion : on n'augmente pas les impôts."
Alexandre Saubotà franceinfo
Et réduire une niche fiscale, c'est augmenter les impôts.
Vous pensez à quelles niches en particulier ?
On a raboté plusieurs fois le CIR, le crédit impôt recherche. On a écrêté les allégements de charges d'une façon très défavorable à l'industrie dans le budget 2025. Moins que ce que les gens avaient imaginé, mais c'est quand même douloureux quand ça s'est produit. Donc le principe est : on n'augmente pas les impôts, et donc il faut rechercher des économies. Et pour ça, il faut aller regarder du côté de l'organisation de l'État, du mille-feuille territorial et de l'ensemble des gros postes de dépense comme on le fait.
Vous avez des idées ?
Il y a toute la sphère sociale. Comment on incite mieux au retour à l'emploi ? On essaie de faire pas mal de choses à France Travail. Il y a plein d'autres domaines dans lesquels il faut continuer. L'idée, ce n'est pas de faire moins, c'est de faire mieux. Nos concitoyens ne demandent pas moins de service public, mais je pense que si on est capable de leur rendre le service pour un coût moindre, parce qu'on est mieux organisé, parce qu'on a rationalisé les niveaux des collectivités territoriales, parce que les administrations fonctionnent mieux, je pense que tout le monde sera content. Moins d'impôts pour le même service, je pense que c'est un très bon objectif.
Donc pas de hausses d'impôts, mais plutôt baisser les dépenses.
Les hausses d'impôts détruiront de l'activité, feront baisser la croissance et monter le chômage, ça, c'est une certitude.