«J’ai assisté à un crime» : ces voyageurs traumatisés pendant leurs vacances

«Je travaillais sur ma terrasse quand j’ai entendu des hurlements dans la maison d’à-côté. Par la fenêtre, j’ai vu un couple armé d’une machette en train de s’acharner sur la femme de ménage. Impuissante, j’ai assisté de mes propres yeux à un crime», raconte Astrid. Comme tous les ans, la journaliste originaire de Bayonne part en vacances à Hawaï lors des fêtes de fin d’année, notamment pour raisons familiales. À l’hiver 2017, le séjour prend une tournure tragique qu’elle était loin d’imaginer sur l’archipel américain où elle loue toujours la même maison auprès d’amis. «Les meurtriers ont attaqué au hasard, sans cible précise. S’ils avaient choisi ma maison, ça aurait pu être moi.»

Pour ne rien arranger, elle reçoit sur son téléphone à la veille de son retour en France une (fausse) alerte aux missiles nucléaires venus de Corée du Nord, précisant qu’«il ne s’agit pas d’un test» et invitant la population se mettre à l’abri. Au retour d’un séjour qu'elle décrit comme «maudit», Astrid développe des troubles de stress post-traumatique (TSPT). «Je n’avais plus aucune volonté», se souvient-elle. Elle les soigne lors d’une thérapie EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou «désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires»), qui s’appuie sur les mouvements des yeux pour cibler les vécus traumatiques.

«Cela a été redoutablement efficace, ajoute Astrid. Mais il m’a fallu attendre la fin du deuxième procès, dans lequel j’étais convoquée en tant que témoin, pour me sentir guérie psychologiquement. Désormais, à chaque séjour à Hawaï, j’arrive à profiter de mes vacances presque normalement, même si la culpabilité de ne pas avoir pu aider la victime ne me quittera sans doute jamais.»

«Un arrachement à l’insouciance» des vacances

Agression, accident, maladie tropicale grave, catastrophes naturelles... Autant d'événements qui peuvent survenir dans la vie de tous les jours mais qui prennent une dimension particulière en voyage, période d'insouciance où l’attention se relâche. Si certains touristes n’y voient qu’un mauvais souvenir, d’autres peuvent développer des traumatismes. «Cela survient après un événement violent et inattendu qui opère dans le cerveau une effraction psychique, un arrachement à l'insouciance. Cet événement fait se rencontrer le réel avec la notion de mort et place la personne qui la subit dans un état de sidération, analyse pour Le Figaro Marilyne Baranes, docteure spécialiste des psychotraumatismes.

À l’étranger, dans un environnement qui nous est inconnu, les risques sont multipliés. «En voyage, la perte de repères peut être source d'anxiété. Dans un pays étranger dont on ne maîtrise pas la langue et les codes sociaux et où l'on ne connaît personne, le risque anxiogène peut s’ajouter à l'aspect traumatique. L’absence de figures rassurantes et familières peut mener à un sentiment d’extrême angoisse qui se manifeste par exemple par des crises de panique.» Sans suivi psychologique, la victime peut développer des comportements d’évitement ou d’hésitation pour ne plus être exposé de nouveau aux mêmes risques.

Après mon agression, j'étais reclus sur moi-même et j'évitais les gens et les foules. J'ai adapté mes séjours en privilégiant la pleine nature.

Alexis, 29 ans

C’est ainsi qu’Alexis a changé sa manière de voyager après avoir subi une agression. À l’été 2021, en fin de soirée dans les rues de Madrid, «un groupe de trois jeunes alcoolisés s’en est pris à moi et à mon ami sans aucune raison. Je n’étais pas méfiant, l’Espagne  n’est pas connue pour son insécurité», témoigne le développeur informatique de 29 ans. S'il s'en est sorti avec des blessures superficielles, l'ami qui l'accompagnait a dû passer quelques heures aux urgences. 

«J'étais reclus sur moi-même et j’évitais les gens et les foules. Il m'a fallu plusieurs mois avant de reprendre des sorties nocturnes à Paris . Pour autant, je n’ai pas voulu faire une croix sur les voyages, alors j’ai adapté mes séjours en faisant du vélo et la randonnée en pleine nature avant de renouer avec des séjours citadins trois ans plus tard», détaille Alexis.

Stratégies d’évitement

Des milliers de touristes ont dû être évacués après le séisme qui a touché le Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023. (ici à Marrakech) PHILIPPE LOPEZ / AFP

Toujours en Espagne, à Ibiza, Kévin a retrouvé son logement Airbnb cambriolé. «Au-delà de la perte d’argent liquide et de biens matériels, ça a été un choc, je ne m’attendais pas à vivre une telle chose en vacances. J'ai continué à voyager normalement depuis, mais ça a quand même laissé des traces. Je n’envisage plus de séjourner dans un Airbnb, ni un appartement ou une maison de location. Les hôtels offrent un environnement qui me rassure avec leur réception, leurs agents de sécurité et leur vidéosurveillance», témoigne ce responsable d’une agence de presse.

Je ne suis pas près de retourner à Bali, car le lieu est trop lié aux séismes que j'ai ressentis.

Héloïse, 26 ans

Si les agressions physiques peuvent marquer, c’est aussi le cas des catastrophes naturelles, à l’image des incendies qui ont conduit à l’été 2023 à l’évacuation de milliers de touristes sur les îles grecques. Héloïse a été exposée à un autre risque naturel, les séismes, lors de son séjour à Bali à l’été 2017, son premier voyage en dehors de l’Europe : «L’un des restaurants où je déjeunais s’est mis à tanguer. Pendant plusieurs jours, j’ai ressenti les séismes, accompagnés d’alertes au tsunami et à l’éruption volcanique. J’ai assisté à des évacuations de l’île, vu des gens paniqués... Il m’a fallu six ans avant d’oser remettre les pieds en Asie . Mais je ne suis pas près  de retourner à Bali, car le lieu est trop lié à cet événement.»

L’entrepreneure de 26 ans, cofondatrice de Noomady, plateforme de location de matériel de voyage, adapte désormais un réflexe, celui de s’informer sur les organismes à contacter en cas d’urgence, notamment les ambassades françaises. Et elle est attentive aux dangers naturels de ses destinations : «Pour mon premier voyage aux États-Unis, j’hésitais entre Los Angeles et New York. J’ai finalement choisi New York, car la Californie est connue pour ses risques sismiques.»

Maladies tropicales : des impacts psychologiques encore mal traités

Parmi les autres aléas naturels, les maladies infectieuses peuvent gâcher les vacances mais aussi être à l’origine de traumatismes. Fièvre intense, symptômes graves, longue hospitalisation... Ces expériences peuvent marquer à la fois physiquement et mentalement les personnes remises de la dengue ou du paludisme. «Les services hospitaliers de médecine des voyages traitent avant tout les pathologies infectieuses mais assez peu les conséquences psychologiques d’une infection, souligne le Pr. François Chappuis, chef du service de médecine tropicale et humanitaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en Suisse. Si un patient manifeste un stress important à son retour de voyage, notre rôle est néanmoins de faciliter une prise en charge psychologique, notamment au sein de l’hôpital.»

Les maladies infectieuses suscitent souvent des craintes avant même le départ. «Les consultations de vaccination avant le voyage doivent permettre de lever ces craintes. À cette occasion, les médecins recommandent des traitements préventifs et livrent des conseils pour réduire les risques d’infection», poursuit le Pr. François Chappuis.

Avant de partir et pour éviter les situations dangereuses, les voyageurs peuvent consulter le site du ministère des Affaires étrangères, France Diplomatie, qui mène une veille permanente à la fois sur les risques sanitaires et sécuritaires pays par pays. Une manière de se tenir prêt à toute éventualité. Même si, par définition, les événements inattendus surviennent quand on ne s’y attend pas...


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